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L’accord
« politique » dont Angela Merkel vient, faute de mieux, de se
prévaloir pour tenter de calmer le jeu ne fait pas l’affaire, si
l’on en croit Jean-Claude Trichet. Estimant que le temps joue contre
les dirigeants européens, celui-ci s’alarme (mieux vaut tard que
jamais) que la crise européenne est entrée dans une «
phase systémique » et qu’il est vital de renforcer
d’urgence la crédibilité de la dette souveraine, point
d’appui essentiel pour éviter la réédition
d’un épisode de crise type 2008. On ne peut en effet pas lui
donner entièrement tort, car les obligations d’Etat sont un des
éléments clé du système financier, en particulier
pour les établissements bancaires qui s’appuient dessus. Mais
comment faire, si le plan A ne fonctionne pas comme on le constate en ce
moment ?
Au
passage, le président de la BCE se défend d’avoir
sous-estimé le besoin de renforcement du système bancaire, alors
qu’il a toujours accordé la priorité absolue à la
réduction de la dette publique et doit simplement se mettre au
goût du jour, tout en se défaussant sur le FESF, ce dont les
Allemands ne veulent pas entendre parler. Le monde est compliqué.
Dans
ce contexte, on peut s’interroger sur les chances que l’EBA
– l’organisme européen de régulation des banques
– a d’obtenir l’approbation des autorités
européennes, lorsqu’elle propose de fixer un ratio
immédiat et minimum de 9% des fonds propres des banques par rapport
à leurs engagements, faute de quoi elles seront sommées de se
recapitaliser. Une manière de crédibiliser la troisième
vague de stress tests qui a dans les faits débuté mais qui
n’ose même plus dire son nom.
Il
est aussi permis de se gratter la tête, lorsque Jean-Claude Juncker,
chef de file de l’Eurogroupe sur le départ, estime que la
décote de la dette souveraine grecque devrait être portée
à 60% au lieu des 21% déjà acquis. Car ce ne serait pas
sans conséquences pour la détermination du ratio
précédent. Ainsi que lorsqu’il affirme, toujours à
propos du renforcement des banques, que « nous devons nous assurer que
ceux qui mettent du capital à disposition, sous quelque forme que ce
soit, se retrouvent impliqués dans les organes de décision de
ces banques, dans le conseil de surveillance, le conseil
d’administration, la direction. Et de participer aux
bénéfices ». En phase avec ce qu’il appelle sa
vision « vieille école »…
José
Manuel Barroso a apporté sa contribution sur un mode on s’en
doute moins incisif, appuyant en général l’idée
d’une augmentation du niveau des fonds propres durs comme
critère permettant de calibrer la recapitalisation des banques, y
ajoutant qu’il faudrait interdire aux banques qui seraient en dessous
du ratio retenu – qu’il n’a pas précisé
– de verser des dividendes et des bonus.
Le
tir de barrage de la Fédération bancaire Française (FBF)
et de la fédération des banques privées allemandes (BdB)
était donc une bataille d’arrière garde, si ces
propositions sont suivies d’effet. L’une voudrait que tout le
monde soit, tant qu’à faire, obligé de se renforcer, pour
éviter de stigmatiser celles qui seraient seules dans
l’obligation de le faire, tandis que l’autre s’oppose
à une opération « à la louche » et
réclame un traitement au cas par cas… Des arguments
contradictoires pour tenter d’esquiver la peine, une fois entendu que
les unes et les autres se portent comme des charmes.
Mais
ne faut-il pas aller directement à la question essentielle : à
quoi un renforcement des fonds propres des banques peut-il bien servir ? Une
fois rappelé que ce critère est en soi sujet à caution,
puisque Dexia avait satisfait au précédent test. De plus, il
reste mille et une manières d’enjoliver les comptes, qui n’ont
pas toutes été débusquées, et l’on peut
penser sans procès d’intention excessif que le résultat
du nouvel examen de passage sera comme d’habitude très
politique. Il suffira de placer le curseur que représente le ratio des
fonds propres en fonction des résultats que l’on veut obtenir,
et de ne pas trop entrer dans les comptes fournis par les banques.
Quoiqu’il
en soit, les partisans de la théorie du bazooka avancent qu’il
faut une fois pour toute intimider les marchés, en se servant
comme modèle du précédent américain du TARP,
d’autres considérant, sans trop insister sur le sujet,
qu’il s’agit d’anticiper des restructurations qui vont
suivre celles de la dette grecque, puisque le chemin est maintenant ouvert,
sinon tout tracé. D’autres, enfin, estiment que cela sera un coup
d’épée dans l’eau, si des problèmes
structurels propres à la zone euro ne sont pas réglés.
Par le grand bout de la lorgnette, les uns voient la réduction des
déficits, par le petit bout les autres observent la relance de la
croissance. Mais il s’agit dans les deux cas de vœux pieux, car
personne n’assortit sa vision d’un mode d’emploi
convaincant.
Or,
si l’on considère la réduction du déficit, les
derniers chiffres grecs ne portent pas à l’optimisme. Celui-ci
continue de gonfler, en dépit de l’accumulation de mesures de
rigueur. Sont principalement en cause la baisse des recettes fiscales dues
à la récession, le poids croissant du service de la dette ainsi
que les nécessités de financement des caisses de retraite et de
chômage, en raison du recul de l’emploi.
La
Troïka, qui propose de débloquer le versement de 8 milliards
d’euros, n’en fait pas davantage preuve en reconnaissant que la
récession sera « plus profonde qu’anticipé »,
reculant une nouvelle fois l’année où la reprise devrait
intervenir, désormais fixée à 2013. L’espoir ne
fait toutefois pas vivre le FMI, car il n’est plus question dans ses
différentes déclarations d’une nouvelle intervention
financière de sa part, comme si la cause était
considérée comme désespérée sur ce mode,
laissant les Européens face à ce petit problème. Signe
que le Fonds est arrivé à la conclusion que seule une
restructuration importante de la dette Grecque peut sauver la situation.
Les
nouvelles espagnoles ne sont pas davantage encourageantes. L’inflation
augmente encore, au rythme moyen de 3% pour l’Europe, résultat
en priorité des augmentations de prix décrétés
par les gouvernement et les collectivités, et de taxations
supplémentaires. Mais elle s’inscrit dans le contexte
d’une baisse de la croissance, qui continue à se ralentir et qui
devrait stagner au troisième trimestre. Un schéma qui va
retentir sur les recettes fiscales de l’Etat et des
collectivités et qui fait insensiblement entrer l’Espagne,
après le Royaume-Uni, dans le monde de la stagflation.
Les
tenailles se resserrent donc, ne cessant de démentir des
prévisions de croissance qui se révèlent avoir
été surestimées pour les besoins de la cause.
L’Union européenne en prend implicitement acte dans son rapport
trimestriel, en avertissant que des « mesures
d’austérité permanente » vont devoir être
mises en place, « en plus de celles qui ont déjà
été adoptées ».
Un
match est engagé entre les autorités européennes et le
FMI, qui se poursuit. Les premières privilégient la rigueur et
le désendettement, le second dénonce l’erreur qui
consisterait à « vouloir atteindre des cibles chiffrées
en matière de déficit », ce qui « ne doit pas se
faire au risque d’une contraction à grande échelle de
l’activité économique ».
Il
est à craindre que, une fois encore, la ligne de plus grande pente
prévaudra par défaut, grande inspiratrice de la
stratégie des autorités européennes.
Billet
rédigé par François Leclerc
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