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La critique de
la situation d’endettement de la France conduit bien souvent à
une autre : celle de la « Loi Rotschild »,
qui en serait la cause.
Dans son article
25 (section 3), la Loi du 3 janvier 1973 sur la Banque de France interdisait
ainsi au Trésor de présenter « ses propres effets
à l’escompte » de cette dernière. Sous le
jargon mi-économique, mi-juridique,
cela revenait simplement à priver le gouvernement du moyen de
s’endetter sans frais, et donc sans fin.
La magie
opérait comme suit : le ministère des Finances (le
Trésor) écrivait une obligation sur lui-même de 100
francs (ses propres effets) qu’il vendait à rabais (à
l’escompte, par exemple 99 francs) à la banque centrale du pays,
pour lui racheter quelque temps plus tard à sa valeur nominale (100
francs).
Au fond, cela
revenait pour le gouvernement à emprunter 99 francs à la Banque
Centrale à un taux d’à peine plus de 1% — et en
tout cas à un taux largement inférieur à ce qu’il
lui en aurait coûté sur le marché.
Mais ce prix
même de l’endettement public était pur artifice. En effet,
où le gouvernement trouvait-il les 100 francs nécessaires pour
conclure l’opération ? Il les empruntait à nouveau,
se contentant d’écrire une seconde obligation qu’il
rembourserait, le moment venu, de la même façon. De toute
façon, la banque centrale appartenant à l’État, ce
dernier en recevait finalement les dividendes.
Interdisant
cette pratique et obligeant l’État à s’endetter
auprès de créanciers privés, la loi de 1973 aurait,
entend-on, élevé le coût (et donc, par un cercle vicieux,
le niveau) de l’endettement public, et cela au profit d’intérêts
bancaires privés (d’où le surnom de « Loi Rotschild » de cette législation en
réalité proposée par Valéry Giscard
d’Estaing sous Georges Pompidou, lequel avait été le
directeur général de la Banque Rothschild de 1956 à
1962.)
Il n’en
est rien, cependant. Élevant son coût, le nouveau dispositif limitait la capacité d’endettement
de l’État et agissait ainsi comme un élément de
discipline fiscale.
J’emploie
l’imparfait, parce que la loi tant débattue est en
réalité abrogée depuis près de 10 ans.
Conformément à l’article 104 du Traité de
Maastricht préparant l’Union monétaire, la loi du 4
Août 1993 est en effet venue renforcer celle de 1973, interdisant
à la Banque de France d’accorder crédit aux acteurs
publics, ou bien d’acquérir directement auprès
d’eux des titres de leurs dettes.
Le
problème, comme souvent, tient à « ce que l’on
ne voit pas », c’est-à-dire au prix caché de
la monétisation de la dette. Celui-ci est triple.
- À peu de choses
près, la situation d’avant 1973 autorisait le gouvernement
à imprimer l’argent nécessaire à ses
dépenses. Le coût caché, ici, est donc que ces
dernières étaient, de ce point de vue, virtuellement sans
frein.
- Outre les conséquences
néfastes du point précédent, cela se traduisait par
une allégeance de la politique monétaire aux besoins de
financement du gouvernement. Le coût caché, ici, est donc
une inflation et une baisse du taux de change faisant payer au peuple,
à commencer par les plus pauvres, l’endettement
« gratuit » de l’État.
- L’inflation
n’élève pas seulement le coût de la vie
présente, mais abaisse tout aussi bien le niveau de vie futur.
Nuisant aux épargnants et aux investisseurs, elle se paie en
cachette par moins d’emploi et de croissance — à
nouveau, aux dépens des moins favorisés.
Derrière
l’attaque contre la « Loi Rothschild » se trouve
toujours une certaine théorie du complot selon laquelle les
« politiciens » auraient soumis
l’intérêt général à celui des
« banksters ». Cette fiction
parle peut-être à l’imagination, mais ne résiste
pas à un simple début d’analyse.
En premier
lieu, la nécessité de passer par le marché ne permet
pas, mais au contraire interdit, que la vente d’obligations souveraines
favorise certains intérêts particuliers. Les acteurs de telles
enchères sont en effet non seulement nombreux et concurrents, mais en
outre non nationaux, pour l’essentiel.
En second
lieu, ces spécialistes en valeurs du Trésor sont de simples
intermédiaires entre l’État et ceux qui désirent
réellement détenir ses obligations sur le marché
secondaire. En cette qualité, leur rôle est d’estimer le
coût réel de l’emprunt public (en termes de taux
d’intérêt, mais aussi de risque, d’inflation, de
liquidité…). Si d’aventure ils y gagnaient un profit
extraordinaire, les acheteurs se bousculeraient sur le marché primaire
de la dette publique, et l’équilibre tendrait à se
rétablir.
En vérité,
la « Loi Rothschild » visait tout autre chose :
1. Permettre l’indépendance
de la banque centrale, et donc de la politique monétaire, à
l’égard du gouvernement — notamment dans sa lutte contre
l’inflation et ses conséquences si néfastes ;
2. Discipliner la dépense publique
en la rapprochant des capacités réelles de financement de
l’État.
La
débâcle souveraine peut prêter à rire devant ce
dernier point. Ici encore, il faut cependant prendre garde à ce que
l’on ne voit pas. Les gouvernements auraient-ils été
autorisés à emprunter directement et sans frais auprès
de la banque centrale, leur endettement aurait été plus
désastreux encore et ce désastre moins perceptible, et donc
plus insidieux.
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