Comment
sortir de la nasse dans laquelle les pays européens sont
entrés ? La question agite les dirigeants, en pure perte. Nicolas
Sarkozy vient d’ajouter un épisode à une histoire qui en
comporte déjà beaucoup.
Pour
l’aile libérale convaincue, la cause est entendue, un programme
de réformes structurelles permettra à l’Europe de
dégager des marges de compétitivité et
d’améliorer ses résultats à l’exportation
hors de la zone euro. Pour le président français et les plus
pressés, l’idée est de baisser la valeur de l’euro,
afin d’aboutir au même hypothétique résultat.
Maintenant
la perspective sans nuance d’un apurement de la dette publique en
continuant d’ignorer la crise du système bancaire privé,
Nicolas Sarkozy évoque le choix entre la déflation et la
croissance, pour privilégier la seconde, en évoquant un spectre
jusqu’ici tabou.
Si
l’on comprend bien les stratégies de relance proposées,
il s’agit dans les deux cas de renouer avec la croissance grâce
au développement des exportations dans un contexte peu propice car
marqué par le resserrement des échanges internationaux.
Eurostat vient par ailleurs d’annoncer un excédent du commerce
extérieur de la zone euro de 2,8 milliards d’euros en
février, après un déficit de 7,9 milliards en janvier,
mais cela va changer quoi ?
L’élection
éventuelle de François Hollande, suivie des changements
politiques qui pourraient intervenir en Allemagne à la suite des
élections législatives de 2013, fondent les espoirs de ceux qui
attendent une évolution stratégique plus crédible. Les
intentions du candidat n’ayant pas été clairement
exprimées, un recul tactique ayant été même
enregistré à propos de la renégociation du traité
de discipline budgétaire – auquel il s’agit
d’ajouter un volet croissance – qu’en reste-t-il ? Une
phrase sibylline dans Le Monde de décembre dernier, selon laquelle il
faudrait « changer la pratique de l’intervention de la BCE
».
A
l’appui de la relance, différentes hypothèses ont
été évoquées, reposant sur la mobilisation ou la
réaffectation de capacités financières
européennes existantes, de la Commission ou de la Banque
européenne d’investissement (BEI). Du côté des
sociaux-démocrates allemands, la définition d’une
politique alternative est encore moins précise et achevée.
La
triste vérité est que toutes ces propositions ont en commun de
ne pas remettre en cause la stratégie défaillante qui
sévit, juste de l’infléchir. Et que le débat
d’orientation plus ou moins feutré qui se poursuit, et va se
continuer plus ouvertement, va être confronté à la
montée du nouvel épisode de la crise européenne, dont
l’Espagne est le catalyseur. En particulier parce qu’elle va
mettre en évidence que c’est une crise bancaire – donc de
la dette privée – qui en l’espèce en est le
principal moteur.
L’Espagne
fait aujourd’hui ce que les dirigeants européens, au pouvoir ou
en passe d’y accéder, se refusent à effectuer : elle
infirme pratiquement la stratégie actuelle. En premier lieu en raison
de sa crise bancaire, en second parce qu’elle effraye les
marchés plus par la destruction de son économie qui est en
train d’être opérée et la récession dans
laquelle elle est entrée que par l’ampleur de son déficit
public. Car si une chose est établie à leurs yeux, c’est
que le plan de réduction de la dette publique n’a aucune
crédibilité.
Dans
une ultime tentative destinée à éviter la mise en
œuvre d’un plan européen de soutien financier aux banques,
le gouvernement espagnol cherche à mettre en place une bad bank, car le
fonds de soutien (Forb) lancé en 2009
n’a pas la dimension requise pour financer le système bancaire.
S’agissant de la réduction du déficit public,
l’économiste Luis Garicano a
estimé dans El Pais qu’atteindre l’objectif de 5,3% du PIB
d’ici la fin de l’année, revenant à effectuer une
correction de 3,2%, impliquait de trouver ou de ne pas dépenser entre
53 et 64 milliards d’euros. La messe est dite.
Il
y a dans les réflexions actuelles des dirigeants européens,
telles qu’elles nous sont livrées, l’invocation commune
à un deus ex machina, l’appel à une
divinité pour résoudre une situation
désespérée : en l’occurrence l’intervention
de la BCE. A leur décharge, on conviendra qu’ils peuvent
espérer de celle-ci l’équivalent pour les Etats du
soutien qu’elle a accordé aux banques. Mais ils ne remarquent
pas ses limites, déjà rencontrées, car si ce soutien
permet de gagner du temps, il ne résout rien : c’est tout du
moins ce que l’on observe clairement en Espagne. Ce qui conduit ses
dirigeants à rechercher un miracle qui procède en
réalité d’une échappatoire : leur refus de prendre
en compte dans toute sa dimension et ses caractéristiques propres la
crise financière européenne.
Dans
le domaine de l’invocation, les dirigeants européens n’en
restent d’ailleurs pas là. Ils cherchent un mécanisme
déclenchant le retour de la croissance sans s’interroger sur la
nature de celle-ci. Pour jeter en vrac sur le tapis les
éléments d’une stratégie de développement
reposant sur des têtes de chapitre qui ont tout du poncif,
appelées recherche, formation, énergies nouvelles, etc…
Tous points d’appui à la croissance qui n’ont des effets
qu’à long terme. Pour certains, soucieux des
déséquilibres internes à la zone euro dont ils voient la
cause principale dans la crise actuelle, un rééquilibrage entre
les pays exportateurs et les autres est préconisé, afin que les
premiers se recentrent sur leur marché intérieur. Une politique
contradictoire avec les intentions – si ce n’est les
intérêts – de l’Allemagne qui est la maitresse du
jeu.
Une
réflexion sur la croissance – qui fait défaut –
peut-elle faire l’économie d’une autre sur la
redistribution de la richesse ? Les deux sont d’ailleurs liés
entre eux. Tel est le second point d’achoppement de ce que nous
entendons. Il y a des solutions arrangeantes et des vérités
dérangeantes.
Dans
leur état actuel, les réflexions qui nous sont proposées
reposent donc sur un double déni bien ancré. Il reste donc du
chemin à parcourir, non compte tenu de la persévérance
du clan des ayatollahs que représente Jörg Assmusen,
membre du conseil des gouverneurs de la BCE. Estimant dans le Wall Street
Journal que le pire de la crise semble être derrière nous, ce
dernier considère que « la balle est dans le camp des
États », opposant à la relance du programme d’achat
obligataire de la BCE sur le second marché – à laquelle
il n’est pas favorable – le fragile pare-feu du
Mécanisme européen de stabilisation financière (MES).
Dernières
nouvelles : Le taux des obligations espagnoles à dix ans a
dépassé ce lundi le seuil des 6% pour atteindre 6,105% en fin
de matinée. Des adjudications du gouvernement sont prévues
jeudi prochain. A leur manière, les marchés
réclament aussi l’intervention de la BCE…
Billet rédigé par
François Leclerc
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