Quiconque
défend le « libéralisme » sait à
quel point, loin d’être la pensée unique et dominante de
l’époque, une telle position expose à toutes les
attaques. Au mieux, on sera considéré comme une sorte de grand
autiste sans cœur, aveugle et sourd à tous les malheurs du monde.
Au pire, on sera traité de psychopathe servile aux puissances les plus
sombres et au statu quo en place.
Aussi
véhémentes soient-elles, l’une et l’autre critique
reposent cependant sur un malentendu.
Concernant la
première, l’économiste autrichien Ludwig von Mises insistait déjà sur le fait
qu’il existe un consensus de bon sens quant aux fins qu’il serait
socialement désirable d’atteindre. Dans le domaine
économique, tout le monde s’accordera sur un certain
utilitarisme visant la plus grande prospérité possible pour le
plus grand nombre possible. À cet égard, il n’y a pas
grande différence entre un libéral, un socialiste, un
communiste, etc. Ceux-ci ne s’opposent, comme il le notait, que sur les
moyens qu’ils pensent les
mieux à-même d’atteindre cette fin.
Mais alors le
débat devient purement technique : il ne porte plus sur des
questions de valeur, mais relève, ou plutôt devrait relever,
d’un échange scientifique pacifié.
Pour prendre
un exemple, la question du salaire minimum ne consiste pas, comme on a
tendance à la présenter, à savoir si les entreprises
sont en droit d’offrir n’importe quelle compensation de
misère à des hordes qui sont bien obligées de
travailler, et cela au nom d’une sacrosainte
« liberté » ; elle consiste plutôt
à savoir quel est le meilleur moyen de promouvoir le
bien-être des moins qualifiés et si une telle
réglementation les protège réellement ? Ou bien une
telle mesure, bien que marginalement utile peut-être, n’est-elle
pas largement contreproductive en raison de la barrière qu’elle
impose à l’entrée sur le marché du travail, et au
chômage qui en résulte ?
La seconde
critique est plus confuse encore, cependant. Généralement, elle
revient à honnir le libéralisme pour ce qu’il n’est
pas, et cela parce qu’elle préjuge que les libéraux défendent
le statu quo.
L’origine
de cette erreur n’est pas difficile à retracer : elle
provient du présupposé marxiste selon lequel le « capitalisme »
est un système par lequel une caste privilégiée accapare
et exerce le pouvoir dans son intérêt. D’après
cette définition, certes, le monde actuel est à bien des
égards « capitaliste », et effectivement peu
défendable.
Mais la
confusion provient de ce que le capitalisme défendu par les libéraux, ou
« libéralisme économique», n’a rien
à voir avec ce triste état de fait. Ceux-ci refusant
l’intervention du gouvernement dans l’économie, il est
clair qu’ils s’opposent aussi bien aux faveurs faites aux grands
intérêts privés qu’à tout autre groupe
particulier dans la société.
On a ainsi
beaucoup entendu, ces derniers temps, que les tenants du capitalisme prônent
la libre poursuite du profit privé, et renvoient sans cesse les moins
fortunés à la « responsabilité individuelle »,
mais n’en ont pas moins appelé au partage des pertes des
banques. La conclusion logique, cependant, est non pas que le libéralisme
est un système contradictoire et mensonger, mais que nos
sociétés actuelles sont à mille lieues
d’être capitalistes au sens
où les libéraux l’entendent et le défendent.
Cette question
n’est pas seulement d’actualité. Elle est des plus
symptomatiques, car il existe un critère bien simple pour savoir si un
système est véritablement capitaliste au sens libéral, ou
non. De Marx à Rothbard, tout le monde
s’entend au moins sur le caractère essentiel du
libéralisme, à savoir la propriété privée
du capital productif. Or, dans toute économie tant soit peu
développée, à tout capital productif correspond un
capital financier. Logiquement donc, un système ne peut
prétendre être libéral si le capital financier
n’est pas, pour l’essentiel, privé. Et il ne suffit pas
non plus que les titres correspondants soient majoritairement détenus
par des acteurs privés : il faut encore que ce soient ces
derniers qui déterminent le montant de l’épargne, ainsi que
le niveau des taux d’intérêt.
Pour le dire
autrement, le libéralisme est incompatible avec la politique
monétaire. L’existence même d’une banque centrale
signifie en effet que c’est fondamentalement une branche du
gouvernement qui décide de la marche de l’économie, en
tentant de planifier le montant du crédit et de
l’investissement.
Les critiques
du « capitalisme » s’en prennent bien souvent aux
banques. Mais si celles-ci constituent indéniablement un cartel,
c’est parce que celui-ci est rendu obligatoire par toute loi de cours
légal. De même, il est parfaitement oiseux de
s’écrier contre la spéculation enflamment les
marchés sans mettre les cycles financiers en relation avec les
aléas de la création monétaire et le constant yo-yo des
taux d’intérêt.
Certainement,
la haine dont le libéralisme fait l’objet disparaîtrait
bien vite si l’on se rendait compte que ceux qui le défendent le
font au nom même de ces fins sur lesquelles tout le monde
s’accorde, et en proposant des moyens bien différents du
système actuel.
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