Après
d’humiliantes auditions de représentants d’Amazon, Google,
et Starbucks, le Comité des Comptes Publics britannique vient de
rendre un rapport qualifiant
d’ « immorales » les pratiques
d’optimisation fiscale de ces multinationales, et appelant le
gouvernement à dénoncer les entreprises ne s’acquittant
pas de leur « juste part, » ainsi qu’à mettre
fin aux failles législatives dont elles profitent.
Le ministre des finances du
pays s’apprête à annoncer, dans la foulée, une
série de mesures, et a déjà indiqué que cette
question serait une des priorités de la réunion du G8 que le
Royaume-Uni accueillera l’année prochaine. Reste que les autorités
britanniques ne comptent pas seulement sur l’action politique, mais au
moins autant sur la prise à témoin des
contribuables-consommateurs, à l’aide de la presse..
La raison en est simple. Les pratiques
incriminées relèvent bien de l’optimisation, et non de la
fraude, fiscale. C’est-à-dire qu’elles sont
légales, au moins pour l’instant.
De fait, une modification de la législation
pourrait bien tenter de les rendre illégales, mais les marges de
manœuvre sont ici étroites, comme je l’expliquerai
ci-dessous. Dès lors, la solution semble résider dans une plus
grande collaboration internationale. Mais, là encore, les
avancées risquent d’être limitées. Un certain
volontarisme a bien été affiché lors de la
réunion du G20 à Mexico, l’été dernier.
Mais cela fait déjà 10 ans que le (prétendu)
problème est censé être une priorité…
Dans cette mesure, la vindicte populaire fait sens. Le
gouvernement aide à propager, dans l’opinion,
l’idée que certaines compagnies « volent »
les contribuables, afin que ceux-ci le leur fassent payer en tant que
consommateurs.
D’ailleurs, elle semble fonctionner. Starbucks
s’est d’ores et déjà engagé à amender
ses pratiques.
Depuis son entrée sur
le marché britannique en 1998, Starbucks a écoulé pour
un peu plus de 3,5 milliards d’euros de cafés, mais payé
un peu moins de 10,5 millions d’euros d’impôts sur les
profits.
La raison en est, comme
l’expliquait son directeur financier, que la multinationale a
dégagé un profit négatif chaque année depuis son
implantation dans le royaume, à l’exception de
l’année 2006.
Ceci, à
son tour, peut sembler étrange, mais provient
précisément de la stratégie comptable par laquelle la
compagnie déplace ses profits afin de les déclarer là
où leur imposition est la plus faible.
Les moyens
utilisés peuvent être complexes, mais le procédé,
au moins, est simple à comprendre, tout comme certains exemples
éclairants.
Comme toute
multinationale, l’activité de Starbucks est répartie sur
différents pays, et implique donc des échanges entre des
sociétés appartenant au même groupe, mais
localisées dans des États aux fiscalités
différentes. Ceci lui permet de « se » facturer
les différentes étapes de sa production à des prix tels
que ses filiales implantées dans des pays à forte imposition
n’y réalisent pas de profits, ceux-ci étant
transférés et enregistrés aux comptes des unités
les moins taxées.
Ainsi a-t-on
récemment appris que Starbucks Royaume-Uni payait 20% de prime
à la filiale suisse du groupe auprès de laquelle elle se
fournit en grains de café, et reversait près de 5% de ses
revenus à son siège européen, implanté aux
Pays-Bas, au titre des recettes et du nom de marque qu’elle utilise.
L’impôt sur les profits est de 26% au Royaume-Uni, contre 12% en
Suisse. Les Pays-Bas, quant à eux, ont une législation
particulière exemptant de taxe certains revenus, tels que les
royalties versées par des filiales étrangères.
On voit bien,
ici, les deux limites auxquelles fait face la volonté politique
d’imposer aux multinationales le paiement de leur « juste
part. »
D’un
côté, l’idée de mieux encadrer la pratique des
« prix de transfert » semble simple, mais son
application est en réalité infiniment complexe, et risque de
sombrer dans l’arbitraire de la planification.
D’un
autre côté, le renforcement de la coopération entre les
États est tout aussi difficile, puisqu’elle dépend en fin
de compte de ceux d’entre eux qui cherchent précisément
à tirer profit de la concurrence fiscale impliquée par
l’activité des multinationales. Ainsi la législation des
Pays-Bas vise-t-elle à attirer des sociétés qui
n’auraient, outre cet avantage, aucune raison d’y implanter leur
siège.
Pour ces deux
raisons, les politiciens prennent à témoin les populations.
Mais, avec quel argument ? Y a-t-il vraiment quelque chose
d’ « immoral » à réduire sa
charge d’impôt au minimum permis par la législation ?
A suivre…
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