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Je l’ai dit, écrit et rappelé il y a
quelques jours : les innovations technologiques s’accumulent, à
un rythme de plus en plus soutenu, et il va bien falloir s’y adapter. Certains
individus seront mieux outillés que d’autres, certains pays
s’y préparent mieux que d’autres. La France, elle, choisit
de courir vers son futur en regardant obstinément son passé. On
peut s’attendre à une belle gamelle.
Et c’est vrai qu’en matière de
technologies, il est parfois difficile de se tenir à jour. Pour
prendre un simple exemple, j’avais parlé en novembre 2011 d’un produit, le NeverWet, dont les caractéristiques
super-hydrophobes laissaient songeur quant à l’ensemble des
applications possibles. À l’époque, il s’agissait
de vidéos de démonstration du concept et des applications, sans
qu’il soit alors possible d’acheter un bidon ou deux pour
essayer. Un peu plus d’un an après, on trouve un produit
très proche, l’UltraEverDry,
maintenant disponible sur le marché.
De la même façon, on se rappellera d’un précédent article sur l’impression en
trois dimensions dans lequel j’évoquais la possibilité,
pour le citoyen lambda, d’imprimer des pièces
détachées à la volée, en ce compris celles
nécessaires pour construire, par exemple, une arme à feu. En
quelques années, l’impression 3D est passée d’un
hobby pour originaux en mal de bricolages rigolos dans leur garage à
un développement industriel de plus en plus crédible et
sérieux : ce type d’impression permet en effet de
répondre à des problématiques complètement
différentes des problématiques industrielles habituelles.
Par exemple, l’impression 3D se concentre sur la
très petite série, le prototypage rapide, et la production de
pièces dont l’équivalent par les moyens traditionnels est
soit impossible (le parcours des outils d’extrusion ou de
découpe étant trop complexe), soit extrêmement
coûteuse (la programmation des machines outils
ou la nécessité d’un assemblage ultérieur de
pièces séparées et leur rattachement rendant
l’opération non rentable). On voit tout de suite la nature
disruptive de cette technologie sur les boutiques dont le cœur de
métier consiste à vendre des pièces de remplacement, sur
les métiers dont une part importante de l’activité est
justement de concevoir des pièces destinées à la
fabrication industrielle, etc… L’impression 3D va modifier
durablement ces industries et ces métiers-là, de façon
durable, de la même façon que l’arrivée du
numérique aura complètement refaçonné le monde de
la photographie, par exemple.
L’impression 3D est aussi l’occasion de
répondre de façon très compétitive et très
rapide à des problèmes qui n’avaient pas de solution
abordables économiquement ; l’exemple des prothèses
humaines vient naturellement à l’esprit, comme en
témoigne la récente réalisation d’une main mécanique pour un enfant handicapé ;
le fait que l’enfant grandira et qu’il faudra
régulièrement réadapter la prothèse explique
pourquoi les solutions industrielles traditionnelles sont rapidement hors de
prix, alors que l’impression 3D propose ici une alternative
crédible et efficace.
Sur un sujet plus proche de nous, et là encore
j’en ai déjà parlé, il y a bien sûr la
voiture sans conducteur, dont l’impact est, pour le moment,
économiquement, politiquement et socialement très sous-estimé.
Un article de Forbes, en plusieurs parties, étudie en
détail l’échelle de temps, les technologies et la
révolution que cette innovation va provoquer sur la
société humaine et montre surtout que cette révolution
aura lieu dans un temps très court (on parle, ici, d’une ou deux
poignées d’années).
Parallèlement au développement de
l’impression 3D et de la voiture complètement autonome, les
recherches en matière d’intelligence artificielle continuent
leurs avancées. On se rappellera à propos la performance, en
2011, de Watson, l’ordinateur d’IBM, qui avait battu
à plates coutures les deux meilleurs joueurs humains au Jeopardy, un jeu basé sur un principe
équivalent à « Question Pour Un Champion ». La
petite vidéo ci-dessous permet d’avoir une idée du niveau
atteint par la machine en question en matière de reconnaissance
vocale, d’interprétation des questions, de capacités
d’inférences et de data/knowledge mining :
Un fort intéressant livre de Ray Kurzweil, How To Create A Mind,
fait d’ailleurs le point de façon intéressante et
précise sur l’état des lieux en matière de
neurobiologie et de l’actuelle tentative, dans plusieurs laboratoires
de recherche, de simuler tout ou partie du cerveau humain in silico.
La lecture de l’ouvrage permet de se rendre compte que la
compréhension du cerveau humain a plus progressé dans les dix
dernières années que sur les mille précédentes.
Aussi improbable cette réalité pouvait-elle être il y a
seulement une décennie, la simulation complète d’un
cerveau humain telle que l’envisage le projet
Blue Brain est maintenant parfaitement
crédible, à portée de calcul.
Et si l’on regarde ce qui se passe à
l’heure où vous lisez ces lignes, on découvre une
révolution silencieuse mais effective, celle de l’apparition des
assistants logiciels, fils ou petits-fils de Watson,
à mi-chemin entre ce dernier et la simulation complète dont je
viens de parler : la technologie permet dès à présent de
faire effectuer la gestion des tâches répétitives et
lassantes, auparavant accordées aux équipes de pays
émergents pour bénéficier de la différence de
salaires, à des logiciels conçus spécialement pour
ça. Et le calcul économique est sans appel : là
où un travailleur dans un pays occidental coûtera dans les
80.000$ à l’année, l’équipier indien ne
coûtera que 30.000$, mais sa version électronique ne
coûtera que la moitié. Un opérateur téléphonique
a récemment remplacé son équipe offshore de 45 Indiens
par un ensemble logiciel, générant 1.25 millions de dollars
d’économies, qui ont été réinvesties dans
le recrutement de 12 personnes localement, bien mieux payées, pour des
tâches innovantes.
On le comprend : la révolution qui s’annonce va
profondément bouleverser l’organisation de toutes les
sociétés humaines. Les délocalisations vont
complètement changer de profil voire se transformer en relocalisation,
les déplacements individuels ne seront plus jamais les mêmes, la
résolution de problèmes va profondément être
affectée par l’existence de systèmes experts
informatiques bien plus performants et plus pointus qu’aucune
équipe de chercheurs. La notion même de travail va changer, et
il devient de plus en plus probable qu’une économie
complètement différente va remplacer celle que nous connaissons
aujourd’hui.
Heureusement, en France, nous avons des syndicats qui ont bien
compris ce qu’il y avait à perdre à se tenir à
jour technologiquement et qui luttent de toutes leurs forces pour
s’assurer que tout reste bien comme ils l’entendent, en
déversant à la force d’un poignet collectiviste et
turgescent les barils de formol indispensables à l’immobilisme
qu’ils chérissent. On apprend ainsi que La Poste, ayant bêtement
décidé de se mettre à la page, va distribuer des smartphones à ses facteurs. Ces engins, en plus des traditionnels coup de fil, pourront envoyer et
recevoir des SMS et courriels, permettent le surf sur internet,
accéder aux actualités du groupe postal, aider à
préparer la tournée du facteur (plans, codes, étages,
…), remplaceront les bordereaux, liront les codes
barres des colis, etc… La géolocalisation sera
activée en fonction des besoins et permettra ainsi au
préposé de s’orienter. Bref : on imagine sans mal les
gains de productivités que l’entreprise espère
dégager avec cette technologie.
Pas pour les syndicats qui y voient tout de suite la
réduction de postes salariés que cette introduction
entraîne mécaniquement : une bonne partie de la paperasse sera
éliminée, et la charge de travail des guichetiers s’en
trouvera notoirement allégée. Pas de doute : si les facteurs en
étaient resté au vélo et se
passaient complètement de ces innovations, on pourrait sans aucun
doute doubler le nombre de joyeux pédaleurs pour aller distribuer le
courrier, et réduire d’autant le chômage, c’est une
évidence ! Par extension, on comprend que la somme d’innovation
que j’ai décrites dans les paragraphes
précédents trouvera, au moins en France, une opposition
farouche : chaque nouveauté présentée verra en effet des
pans entiers de la société disparaître
complètement pour être remplacés par une multitude
d’autres qu’on ne peut pour le moment même pas imaginer.
Le plus triste, c’est que ces innovations, ces nouvelles
technologies et ces révolutions techniques, économiques et
sociales sont à peu près inévitables. On peut le
regretter, on peut rouspéter, on peut, comme les syndicats,
s’arc-bouter sur le passé. Mais le résultat sera le
même.
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