Narrer de manière à la fois cohérente et cohésive les évènements du passé est
une étape naturelle de notre processus de compréhension. Toutes les
meilleures histoires ont un début, une intrigue et une fin. Mais qu’en est-il
lorsque la fin d’une histoire appartient encore au futur ?
Mencius Moldbug a inventé le terme ‘histoire lente’, qu’il
utilise dans ces deux
articles
pour décrire sa passion qu’est la lecture d’anciens mémoires et journaux
intimes (et particulièrement ceux écrits par des personnes n’appartenant pas
au courant de pensée politique de leur temps). Il écrit ceci : ‘Celui
qui étudie l’histoire lente et n’a aucune confiance en un consensus de la
sagesse, en la vérité officielle et en les croyances populaires. Il est prêt
à reposer tous ses jugements sur source une unique, indisputable et
authentique’.
Il développe son idée en présentant une analogie entre le
fast food et un plat qui se
mange lentement. L’histoire rapide n’est rien de plus qu’un consensus
historique. Elle est l’histoire que tout le monde connaît, parce qu’elle a
été rendue homogène par les masses. Elle est similaire au fast food dans le
sens où elle contient les mêmes ingrédients initiaux qu’un plat qui se
déguste avec lenteur, et pourtant, elle a été transformée, filtrée et
emballée jusqu’à ce que les ingrédients qu’elle contient ne soient rien de
plus que du polystyrène aromatisé.
J'aime l'idée de lire des documents qui ont été rédigés
alors que l’Histoire s’écrivait encore et de les comparer aux textes qui ont
été assemblés après les faits. Ces deux types de lectures ont bien entendu
leur utilité respective, mais l’Histoire qui a été écrite au moment des faits
n’est pas moins très différente de tout ce que nous pourrions trouver dans
des manuels d’histoire qui ont été traités et filtrés sur des bases
sociétales dans la perspective d’un consensus.
Puisqu'il est dans notre nature de rechercher des
documents bien présentés et qui proposent des conclusions claires, puisque
cela fait partie de nos processus de compréhension, les points de vue
individuels qui existent des évènements passés tendent à correspondre à un
discours dont la conclusion date également du passé. Par exemple, la Grande
Dépression qui a mis fin à l’étalon or est la conclusion d’une histoire qui
naît dès la fin de la première guerre mondiale, avec au milieu les années 20
rugissantes. Le Choc Nixon est la conclusion d’une histoire qui a commencé à
Bretton Woods, avec au milieu la London Gold Pool des années 1960. Et le record
du prix de l’or de 1980 est la conclusion d’une histoire qui a commencé avec
le Choc Nixon.
Ces histoires épurées, empilées les unes sur les autres,
nous permettent d’appréhender le présent comme s’il n’était rien de plus que
le résultat de notre passé le plus récent, et de nous attendre à ce que
l’Histoire se répète encore et encore (ou rime, comme le veut le proverbe).
En partant d’un tel point de vue, nous pourrions nous attendre à ce que les
années 1970 se répètent pour les sociétés minières et que le prix de l’argent
gonfle encore une fois avant que tous les métaux précieux ne s’effondrent.
Nous pourrions même nous attendre à voir réapparaître un étalon or géré par
les Etats-Unis qui naîtrait après une conférence qui ressemblerait de très
près à Bretton Woods 2.
Mais qu’en serait-il si la fin de l’histoire qui a
commencé avec la fin de la première guerre mondiale appartenait encore au
futur ? Les écrits d’ANOTHER nous indiquent que ce pourrait être le cas.
Peut-être la meilleure manière d’expliquer les évènements qui jouent un rôle
clé dans cette histoire est-elle de le faire par des textes qui ont été
rédigés à l’époque des évènements plutôt que par une version condensée écrite
ultérieurement par quelqu’un qui les appréhende comme appartenant au passé et
non plus au présent.
C’est pourquoi je lis ANOTHER différemment des autres
analystes du marché de l’or. Lorsque je lis un texte écrit par un analyste
moderne dont les idées diffèrent de celles d’ANOTHER, je sais que je lis une
histoire condensée, une histoire rapide et épurée. Mais lorsque je lis
ANOTHER, j’ai l’impression d’écouter un centenaire raconter lentement la vie
qu’il a vécu, les choses qu’il a vues de ses propres yeux, faites de ses
propres mains, et de réellement apprendre comment et pourquoi la réalité
diffère parfois du consensus. Pour moi, lire ANOTHER est un peu comme
imaginer Moldbug lire le journal intime d’Ulrich von Hassell, de Thomas
Carlyle ou de Clarendon.
Je vous offrirai donc ici quelques passages d’histoire
lente – sous forme d’anciens articles de journal. Je dispose également d’une
large collection d’articles plus longs. Pour dire les choses telles qu'elles
sont, les sources dont je dispose sont très nombreuses. Et pour les puristes
(et Moldbug lui-même, qui a été assez aimable pour m’expliquer ses idées par
email il y a quelques jours), je réalise que j’ai pris ici quelques libertés
quant à l’utilisation des termes ‘histoire lente’, et je m’en excuse.
1947
Pour commencer, voici un article très court tiré du Leader
Post, un quotidien Canadien, daté du 9 octobre 1947. Le titre de cet article
est ‘Britain Sells Gold’. Cliquez sur l’image pour qu’elle s’ouvre dans votre
navigateur internet, et cliquez une seconde fois dessus pour l’agrandir.
Avez-vous relevé les
incroyables détails que contient ce petit texte ? Dans mon précédent
article intitulé Checkmate (Echec et Mat), j’ai surnommé la période 1950-1957
‘le sommet de la colline’ pour ce qui concerne la durée de vie limitée du
dollar. Il s’agit là de la période à laquelle les Etats-Unis disposaient
encore de 20.000 tonnes d’or. Au cours des cinq premières années
d’application du système de Bretton Woods, les Etats-Unis ont enregistré un
important flux entrant d’or, flux qui a également compris l’or Britannique
mentionné dans l’article. Ce flux a fait passer les réserves d’or Américaines
de 17848 tonnes en 1945 à 20279 tonnes en 1950. A partir de 1958, ces
réserves ont commencé à s’épuiser rapidement.
Voici les
quantités d’or détenues chaque année par les Etats-Unis entre 1945 et
1972 :
|
Année
|
Tonnes
|
1945
|
17848
|
1950
|
20279
|
1951
|
20326
|
1952
|
20663
|
1953
|
19631
|
1954
|
19367
|
1955
|
19331
|
1956
|
19602
|
|
|
Année
|
Tonnes
|
1957
|
20312
|
1958
|
18291
|
1959
|
17335
|
1960
|
15822
|
1961
|
15060
|
1962
|
14269
|
1963
|
13860
|
1964
|
13749
|
|
|
Année
|
Tonnes
|
1965
|
12499
|
1966
|
11761
|
1967
|
10722
|
1968
|
9679
|
1969
|
10539
|
1970
|
9839
|
1971
|
9070
|
1972
|
8584
|
|
1960
Passons maintenant au 23 novembre 1960 avec un article
tiré du Reading Eagle, un journal local de la vile de Reading en Pennsylvanie.
Le titre de cet article est ‘US Action About Gold is Explained’, et l’auteur
y explique quelles actions ont été prises par les Etats-Unis pour tenter de
ralentir la diminution de leurs réserves de métal.
Que de détails dans cet
article ! Celui qui a tout particulièrement attiré mon attention est
qu’il semblait commun dans les années 1960 de croire que les 11,5 milliards
de dollars d’or Américain ne seraient jamais exportés parce qu’ils étaient
nécessaire au soutien de la base monétaire du dollar. Cela ne laissait donc
que 6,5 milliards de dollars, ou 36% des réserves restantes d’or, pour le
reste du monde – si tant est que le prix de l’or restait de 35 dollars
l’once. Et à la vitesse à laquelle l’or des Etats-Unis s’épuisait à l’époque,
la partie aurait été terminée en moins d’un an.
Il n’est pas étonnant que tant de personnes s’attendaient
à une réévaluation du prix de l’or tout au long des années 1960. Ce n’était
qu’une question de mathématiques, et cette idée a été diffusée par les
journaux dès le début de la décennie, même à Reading. Parlez-moi
d’informations en retard ! Il me suffit de sortir ma calculette pour me
rendre compte que les réserves d’or des Etats-Unis de 1972 (8584 tonnes) ont
chuté jusqu’à atteindre seulement 9,66 milliards de dollars à 35 dollars
l’once, soit bien en-dessous de la limite de 11,5 milliards de dollars. Mais
voyons voir. Si je réévalue cette même quantité d’or à 42,22 dollars,
j’obtiens 11,65 milliards de dollars d’or. Voilà !
1961
Voici un court article publié par le New York Times le 13
janvier 1961.
1967
Mon premier article datant de 1967 provient du Miami News
du 17 juillet, et est intitulé ‘US Pushes Paper Gold’.
Et mon deuxième du Modesto
Bee du 13 décembre, au début de la fin de la London Gold Pool.
1968
L’article ci-dessous a été écrit seulement trois mois
après la fin abrupte de la London Gold Pool. Il provient du Milwaukee Journal
datant du 27 juin 1968 et aborde le sujet de l’abandon de la London Gold Pool
par la France et de la récupération par les Etats-Unis de la part de 9% de la
France, passant ainsi leur propre part à 59%. Il détaille les multiples
réunions qui ont conduit à la fin de la Gold Pool, dont une réunion à la BRI
qui est dite avoir coûté 120 millions de dollars d’or aux Etats-Unis pour
avoir commis l’erreur d’envoyer leur représentant du Trésor à Bâle, qui est
un sanctuaire bancaire au sein duquel aucun membre du Trésor ne devrait être
présent. Il explique également comment les choses se sont terminées quatre
jours seulement après que les Etats-Unis aient déclaré qu’ils maintiendraient
le prix de l’or à 35 dollars l’once ‘jusqu’au dernier lingot’, le 14 mars,
alors que le Sénat approuvait d’urgence une loi qui transforma le dollar en
une devise strictement fiduciaire.
1969
L’article suivant a été écrit par Henty J. Taylor, ancien
ambassadeur Américain en Suisse et éditeur syndiqué des années 60 et 70. Son
article est intitulé ‘Our Paper Gold Quite Uncomfortable’ et a été publié
dans le Herald-Journal le 16 mars 1969. Il traite du nouveau système d’or
papier ‘à deux niveaux’ et conclue que ‘l’or papier ne sera pas un remède
efficace’.
1973
Passons maintenant à l’année 1973 avec un article publié
dans le journal Vancouver Sun le 27 juin, dans lequel le sous-secrétaire du
trésor Paul Volcker fait part au Congrès de son accord tacite pour la mise en
place de ventes directes d’or par les banques centrales sur le marché libre.
Le prix de l’or sur le marché libre était à l’époque de 122 dollars l’once,
ce qui aurait permis aux réserves d’or des banques centrales de valoir bien
plus que le prix officiel de 38 dollars par once. Le prix officiel de l’or
officiel fut changé une dernière fois, quatre mois plus tard, pour passer à
42,22 dollars, prix qui est encore d’actualité aujourd’hui.
1974
Dans ce premier article datant de l’année 1974, nous
rencontreront René Larre, un français qui était à l’époque le directeur de la
BRI. Cet article est extrait du journal The Morning Record publié à Meriden,
dans le Connecticut, le 19 janvier 1974. Dans cet article, le directeur de la
BRI estime qu’un jour viendra où les banques centrales échangeront de l’or à
prix marché, et non plus u taux officiel de 42,22 dollars par once. Il
indique également qu’en échangeant de l’or au prix marché, les banques
centrales seraient capables de réévaluer leurs réserves, ce qui aiderait leur
pays respectif à acheter plus de pétrole.
Passons maintenant au Montréal Gazette du premier mars,
dans lequel nous apprenons que des achats Arabes font augmenter le prix de
l’or – trois pays Arabes ainsi que l’Iran ayant acheté plus d’un million de
dollars d’or en seulement deux semaines. Au prix de l’époque qui était de 167
dollars par once, cela aurait représenté 186 tonnes d’or en partance de
l’Occident vers l’Orient. Pour donner quelque perspective à tout cela, sur
une année, cela représenterait 4842 tonnes d’or importées par quatre pays
producteurs de pétrole, Arabie Saoudite exclue !
Le même jour, le premier
mars 1974, a été publié cet article dans le New Straits Times, un journal anglophone
de Kuala Lumpur, en Indonésie.
Ce nouvel article provient du Wall Street Journal du 23
avril 1974. La mauvaise qualité de l’image le rend difficile à lire, mais
j’ai décidé de l’inclure à cet article pour son titre seul, qui mentionne l’utilisation
de l’or Européen pour l’achat de pétrole au Moyen-Orient : "Gold
Price Rises as EC Nations Get Closer To Using Official Holdings to Pay for
Oil."
Le jour suivant, le 24
avril 1974, a été publié dans le St Petersburg Times un article traitant de l’accord
par les Ministères des Finances Européens, sous la direction de Wim
Duisenberg, d’autoriser les banques centrales à échanger de l’or – et donc
fixer leur dette - au prix marché. L’article indique également que par le
simple fait de vendre de l’or sur le marché libre, les banques centrales
seraient capables de quadrupler la valeur totale de leurs réserves d’or. Le
prix marché de l’or au 24 avril était de 170 dollars l’once, soit quatre fois
le prix officiel de 42,22 dollars.
Le Montréal Gazette du 12
novembre 1974 nous apprend que les revenus de l’OPEP ont augmenté encore plus
rapidement que le prix de l’or. Alors que l’or passait de 35 à 180 dollars par
once, les revenus des pays producteurs de pétrole sont passés de 15 à 110
milliards de dollars en deux ans. En termes de pétrole, le prix de l’or n’a
pas été réévalué.
Je ne sais pas pour vous,
mais lorsque j’ai lu cet article, il m’est paru évident que Freegold apparaît
comme la solution idéale aux problèmes qui y sont énoncés. L’article traite
de la méthode commune qu’est le financement par le vendeur, qui selon le
directeur de la Fed Arthur Burns ne revient avec les producteurs nets que
sont les pays de l’OPEP qu’à accumuler toujours plus de mauvaises dettes sur
de bonnes dettes. Mais le problème réel est que le producteur net accumule en
permanence des excès de devises qui doivent être recyclés. Il existe deux
solutions à cela : prêter de l’argent, ou en dépenser. Qu’en serait-il
s’ils le dépensaient pour acheter un actif physique sans contrepartie pour
éviter que des obligations ne s’accumulent ? Et qu’en serait-il si cet
actif pouvait voir sa valeur flotter sans ravager l’économie par l’inflation
ou la déflation puisqu’il n’est utilisé que comme actif de réserve ? Les
devises finissent toujours par être recyclées, que ce soit par les dépenses
ou par le prêt.
1975
Cet article publié le 10 janvier 1975 dans le Windsor Star,
un journal de la ville de Windsor, Ontario, Canada, nous en apprend plus sur
l’après-midi où le PM Fix de Londres atteint 169,50 dollars.
1979
Pour finir, voici un article traitant d'un accord secret
or-pétrole. Cet article a été publié par le Gadsden Times, à Gadsden, dans
l’Alabama, le 5 février 1979. Ce paragraphe a particulièrement attiré mon
attention :
‘Le gouvernement Sud-Africain refuse d’indiquer
officiellement d’où provient son pétrole. Selon les diplomates Occidentaux, des
accords or-pétrole auraient été établis entre l’Arabie Saoudite et d’autres
nations conservatrices du Proche-Orient à un très fort premium’.
J'ai intitulé
cet article Echec et Mat 2 non pas parce qu’il détaille le scénario d’échec
et mat, mais parce qu’il va main dans la main avec mon précédent article.
Peut-être écrirai-je un jour Echec et Mat 3. A vrai dire, je n’en ai aucune
idée, je ne prévois jamais d’écrire à l’avance. Mais comme je l’ai dit, je
dispose d’une multitude d’autres extraits de journaux, et je n’ai même pas eu
le temps de tous les lire !
Quant à la
lenteur de l’Histoire, il serait une grave erreur de penser que mon intention
ici est de vous faire croire qu’elle continuera de se dérouler en douceur. A
la fin du compte, les changements interviennent sur le court terme.
FOA:
Avec le temps, il deviendra impossible de comparer les retours de
l’investissement en actions et en obligations avec ceux de l’investissement
en or physique, tout simplement parce que lorsque l’or est pris au piège au
sein d’un système monétaire, sa valeur fiduciaire s’éloigne de la réalité à
mesure que ce système dure. Seule l’usage de l’or en tant que ressource
transparaît, et non sa fonction de valeur de réserve.
Nous
traversons actuellement l’un de ces instants uniques de l’histoire de la
monnaie papier où l’écart entre la valeur de l’or et son prix en monnaie
papier s’agrandit chaque jour.