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Les
marchés physiques
Les observateurs de passage ne
sont généralement pas au courant que les écrivains financiers spécialisés dans
les métaux précieux se concentrent sur l’activité des marchés à terme et
ignorent généralement les développements qui se produisent sur le marché de
l’or physique, ce qui est tout à fait logique compte tenu du fait que les
données de marché sont disponibles pour ce qui concerne les premiers, et que
le dernier est relativement opaque. Comme pour les icebergs, ce n’est pas ce
qui est visible en surface qui importe le plus, mais bel et bien ce qui se
cache en-dessous.
Les cercles d’investissements
ne comprennent que très peu que l’or et l’argent sont des ressources pour
lesquelles les lois de l’offre et de la demande ne sont pas supplantées par
la psychologie des investisseurs. Ainsi, lorsque leur prix chute, la demande
en or et en argent augmente. La forte demande a durant longtemps supplanté
les ventes des investisseurs les plus nerveux. Même avant que leur prix ne
s’effondre, la demande en or et en argent excédait significativement l’offre.
Il en existe de nombreuses preuves, depuis les statistiques dont nous
disposons en terme de frappe de pièces d’or et d’argent et d’accumulation
d’or par les banques centrales non-Occidentales jusqu’aux informations
commerciales liées aux importations d’or non-monétaire et à la demande en or
de divers pays tels que l’Inde, la Chine, le Royaume-Uni, les Etats-Unis, le
Japon voire même l’Australie.
Toutes ces preuves nous
indiquent la même chose : la demande en or physique augmente lors de
chaque baisse de prix. Il existe donc un conflit entre les marchés à terme et
les marchés au comptant qui n’implique pas nécessairement le règlement mais
le renouvellement des positions spéculatives et du métal physique
sous-jacent. Les analystes commettent également l’erreur d’observer l’or
purement en termes de production minière et de recyclage, alors que
l’intégralité des quantités d’or jamais extraites est théoriquement
disponible sur le marché, pour autant que ce soit au juste prix et sous des
conditions appropriées. L’autre face de la pièce est si le prix de l’or est
supprimé par l’activité des marchés papiers au point d’être inférieur à ce
qu’il devrait être. La demande physique, basée sur un marché de 160.000
tonnes, a de fortes chances d’être considérablement plus importante en cas de
chute de prix que ce que pourraient espérer les analystes qui ne perçoivent
que la production annuelle de 2750 tonnes de métal. Les données disponibles
confirment que c’est le cas, et que ça l’a particulièrement été au cours de
ces dernières semaines, au vu de la hausse sans précédent de la demande tout
autour du globe.
C’est là la racine d’une crise
que n’ont pas encore perçu les commentateurs de marchés. La demande en métal
physique a accéléré le transfert de métal physique depuis les marchés des
capitaux vers les accumulateurs et depuis les marchés Occidentaux vers les
autres pays. C’est une tendance qui se poursuit depuis la crise pétrolière
des années 1970. C’est ce qu’il se
cache derrière la pénurie d’or physique sur les marchés des capitaux, et qui
explique pourquoi les banques commerciales ressentent aujourd’hui le besoin
de réduire leurs positions à découvert.
Bien que nous pourrions
détailler leur exposition sur les marchés à terme, aucune statistique n’est
disponible en ce qui concerne les marchés hors-cote, notamment celui de
Londres, qui prédomine cette forme de négoce. Les contrats à terme normalisés
sont considérablement plus flexibles que les contrats à terme de gré à gré en
tant qu’outils de négoce, et génèrent des profits, des commissions, des frais
et des opérations bancaires garanties. La capacité de gérer des comptes
clients non-alloués, qui permettent aux banques de comptabiliser l’or de
leurs clients sur leurs bilans, est une activité extrêmement profitable
lorsque les conditions de marché sont stables. Les conséquences en sont que
les positions à terme normalisées sur le marché papier sont bien plus
importantes que les quantités de métal disponibles. L’étendue de cette
relation entre le métal physique et l’or papier n’est pas divulguée, mais à en
juger par l’étendue du turnover quotidien sur le marché de Londres, il existe
une position physique à découvert conséquente. Pour cette raison, une brutale
hausse du prix de l’or s’avèrerait catastrophique, et toute chute des
quantités d’or physique disponibles accentue ce risque.
La Banque d’Angleterre, avec
l’aide d’autres banques centrales Occidentales et de la BRI, supervise ce
marché. Leurs intérêts combinés vont bien entendu dans le sens de la
stabilité des prix. Elles alimentent les marchés dès que nécessaire, ce qui a
été confirmé par des opérations de prêt qui ont ouvertement été établies par
le passé ainsi que par des opérations secrètes détectées par certaines
analyses indépendantes de l’offre et de la demande menées au cours de ces 15
dernières années. Ajoutons également que, puisqu’elles ont le monopole de
l’impression monétaire, les banques centrales ne tireraient aucun avantage
d’admettre que l’or est une bien meilleure réserve de valeur que leur propre
monnaie papier.
Nous ne pouvons que spéculer
quant aux interventions quotidiennes des banques centrales Occidentales sur
les marchés de l’or. Il semblerait que la chute des prix de l’or et de
l’argent des 12 et 15 avril dernier ait été déclenchée par une vente très
importante d’or papier. Si cette version des faits s’avérait correcte, il ne
pourrait s’agir que de l’intervention d’une banque centrale qui désirait
délibérément influencer le prix de l’or à la baisse. Compte tenu de l’état du
marché et du fait que les gestionnaires monétaires des marchés à terme soient
déjà en position de découvert et vulnérables à un squeeze baissier, cela
semble plutôt crédible. L’objectif de cette intervention serait de persuader
les détenteurs d’ETF et de comptes alloués de vendre et donc d’alimenter les
marchés en leur faisant croire que le marché haussier est terminé.
Conclusions
Au cours de ces 40 dernières
années, la possession d’or physique s’est déplacée d’Ouest en Est, vers
l’Asie et le Proche-Orient, où les gens lui attribuent bien plus de valeur.
Les acheteurs d’or de l’Est ne sont pas des investisseurs, mais des
accumulateurs qui ont moins confiance en l’avenir des devises papier que le
système bancaire Occidental et la communauté des investisseurs. Une pénurie
de métal physique est survenue sur les plus gros marchés juste avant la
récente chute de prix, et n’a depuis fait que s’accentuer compte tenu de la
hausse de la demande qui en a découlé. Si l’effondrement du prix de l’or a
été orchestré par les banques centrales, ses conséquences sont désormais contraires
à l’effet recherché.
L’ère de la gestion des
marchés physiques par le biais de l’intervention des banques centrales touche
à sa fin. Les banques centrales auront bientôt à sauver par d’autres moyens
les banques commerciales de la crise qu’est celle de la hausse des prix de
l’or et de l’argent, si tant est qu’elles désirent maintenir la confiance du
public envers leurs devises papier. L’or détenu par les nations de la zone
euro, théoriquement disponible sur les marchés, pourrait depuis longtemps
avoir été vendu.
Cette situation entraînera
certainement le développement d’une nouvelle crise au pire moment possible, à
une heure où les banques centrales sont forcées d’inonder les marchés de
devises papier pour maintenir les taux d’intérêts proches de zéro, de
supporter la solvabilité des banques et de financer les dépenses des
gouvernements. Elle menace, plus que toutes les autres crises que nous avons
traversé jusqu’à maintenant, de déstabiliser la confiance envers les devises
garanties par les gouvernements et de mettre fin à toute tentative de
répondre aux autres problèmes systémiques.
L’Histoire pourrait un jour se
souvenir du mois d’avril 2013 comme de l’époque à laquelle les actions
précipitées des banques centrales Occidentales sur les marchés physiques leur
ont fait perdre le contrôle de l’ensemble des marchés financiers.