On le sait : la crise a frappé violemment une France en pleine croissance avec des muscles et du jarret partout. Patatras. Elle s’est vautrée sur le bas côté comme un animal agonisant après un marathon sans dopage. Heureusement, tous les jours, des gens puissamment armés de leur intelligence prennent leur tête dans leurs mains et réfléchissent très fort pour nous sortir de là. C’est le cas d’Emmanuel Farhi qui a gagné une pochette surprise une interview suite à un concours organisé par « Le Monde » en partenariat avec le Sénat, le vénérable rassemblement de sémillants gobeurs de yaourt qui nous sert de chambre haute. Décryptage.
Et dans ce court entretien accordé au plus illustre des journaux français neutres de gauche, en quelques lignes d’introduction, l’économiste campe le décor : ayant fricoté avec des références keynésiennes comme Olivier Blanchard (du FMI, lui-même) ou carrément Daniel Cohen, soyons fou, il nous explique que la crise qui se joue aura un impact intellectuel essentiel, puisqu’elle permettra à sa génération d’apporter des réponses économiques nouvelles pour aider les États à se sortir du caca dans lequel ils ont été propulsés (peut-être par les économistes de la génération précédente, allez savoir).
Fort bien. Et quelles sont donc les recommandations qu’il retire de ses trépidantes recherches pour faire face aux crises en cours ?
Eh bien c’est très simple.
Au-delà de la création d’un gros mot avec des tirets pour frapper les esprits, comme Électro-Suppositorium ou Régulation Macro-Prudentielle, il s’agira essentiellement d’une nouvelle forme … d’intervention. Parce que voyez-vous, on sait depuis bien longtemps qu’il faut réguler le secteur financier. C’est sûr et certain. Or, avant, et malgré les codes de lois bancaires et financières dont les numéros de page utilisent la notation scientifique tant ils sont légers, on faisait plutôt dans la régulation au niveau microéconomique. C’était de la microrégulation, en quelque sorte. Maintenant, on va passer à la macro-régulation, voire à l’hippoporégulation si l’on veut être logique.
Pour notre brave Emmanuel, ce sera « un nouvel outil de pilotage de l’économie », qui est « potentiellement très prometteur » (comme l’ont été pendant de nombreuses années les éoliennes, le photovoltaïque, les voiturettes électriques et les avions renifleurs). Il conçoit cependant qu’il y a un risque: « introduire un nouvel ensemble de règles complexes, opaques et mal ficelées, qui ne feront qu’aggraver les choses. »
Ce serait ballot, tant il est vrai que la plupart du temps (pour ne pas dire tout le temps), chaque nouvelle règle est introduite dans le système existant avec la délicatesse d’un horloger suisse qui insère un petit engrenage précis dans un mouvement particulièrement complexe d’horloge fine et qui vient ensuite sceller le boîtier à grands coups de burin pneumatique, dans le noir et avec des gants de boxe.
Bien sûr, il serait naïf de penser qu’on éliminera les crises, mais on va y répondre « intelligemment » au contraire des fois précédentes où les économistes (un peu benêts) avaient essentiellement utilisé la politique monétaire (quels enfants, tout de même). Cette fois-ci, Emmanuel est formel : « La bonne nouvelle, c’est qu’il y a plein de bonnes idées. ».
Et quelles sont ces bonnes idées nouvelles à déguster sans attendre ?
Eh bien il y a par exemple le fait de s’engager à baisser les taux d’intérêts futurs (puisque les taux d’intérêts présents sont au ras des pâquerettes). Ce qui signifie qu’on devra aussi implicitement s’engager à les avoir remontés à un moment ou un autre, ce qui, inévitablement, va déclencher du bonheur par grosses vagues mousseuses sur les marchés (pour information, une remontée même mineure des taux d’intérêts de la dette française coûte immédiatement des ponts au Trésor Public). Que voilà une bonne idée nouvelle, ne trouvez-vous pas ?
Les Banques Centrales peuvent aussi acheter ou accepter en collatéral (garantie) des actifs risqués, ce qui n’est pas du tout ce que fait la BCE actuellement en acceptant les vieux trucs pourris et autres cadavres moisis des banques des PIIGS en l’échange de bons crédits bien frais bien dodus. Ce n’est pas non plus ce qui a été fait avec les subprimes pour rattraper les banques américaines. Et puis, de l’actif bien risqué et bien toxique dans les comptes d’une banque centrale, c’est une façon claire de dire « Ma Banque Centrale, C’est Du Solide, Les Gars, Venez-y ! » Vraiment, c’est une idée innovante et rassurante.
Oh, et attendez un peu, il y a aussi la nouveauté qui consiste à « accepter un peu plus d’inflation ». Par exemple, en injectant un peu d’argent dans le système. Il s’agit bien sûr de quelque chose de différent de ce qui est fait actuellement, car, je vous le rappelle, nous n’avons pas encore commencé à utiliser la Régulation Macro-Prudentielle. Pour le moment, c’est de l’entraînement, du bricolage d’économiste de l’ancienne vague, de la vieille génération. Mais quand on va brancher le régulateur macro-prudentiel sur la sortie du turbo-encabulateur économique, ça va donner, grave.
Et puis il y a deux autres idées assez finaudes dont Emmanuel vous conseille les effets. Il est fier de sa trouvaille, parce que, bon, vous comprenez, ce n’est pas exactement facile à dégotter dans ces temps de disette intellectuelle. D’abord, il y a « la politique budgétaire », même s’il convient que « les marges de manœuvre sont limitées ». Mais surtout, il y a la « stratégie de relance innovante », qui consiste à « stimuler la demande », par exemple « en baissant temporairement les taxes sur la consommation, et en instaurant un crédit d’impôt à l’investissement ».
Toutes ces innovations, là, bim, d’un coup sec, c’est vraiment ébouriffant. Voire ébouriffifiant quand on arrive à se remettre en question à ce point là. Il est vrai que la relance de la consommation n’a pas été trop tentée dernièrement, et que les fruits de cette non-tentative n’ont pas du tout consternés les économistes autrichiens qui n’avaient d’ailleurs pas prédit que tout cela allait foirer lamentablement dans un petit couic misérable. Il faut dire que, comme dans tout domaine, il y a le bon économiste et le mauvais économiste. Le mauvais économiste, il voit que la consommation marque le pas, paf, il relance. Alors que le bon économiste, il voit que la consommation marque le pas, et il relance, mais… lui, c’est un bon économiste. Voyez ?
Emmanuel est résolu. Il a bien compris les mécanismes en jeu et propose aussi plein de solutions chamarrées et pratiques, piochées dans une boîte à outils aussi fournie que celle du chef de l’État, mais habilement recouverte d’un vernis tout neuf à base de foutryl (c’est une molécule produite par le pipotans keynesianis, un gros ver mou qui mange du papier pour produire son fil de foutryl). C’est important, le foutryl, puisque ça donne une vraie odeur de neuf à tout le bastringue.
Prenez par exemple la dévaluation fiscale. Oui, là, à côté de la clef de douze. Et prenez par ce bout-là, sinon vous allez vous pincer. Oui, voilà. Eh bien c’est « un moyen ingénieux de répliquer les effets d’une dévaluation au sein d’une union monétaire ». Or, une dévaluation, c’est cette façon subtile que l’État à trouvé pour dire « Je T’Aime » aux épargnants, c’est cette délicate attention d’un pays pour sa monnaie et tous ses débiteurs ; c’est un peu la petite burette de vaseline parfumée discrètement posée sur la table de chevet avant une nuit entière de rodéo particulièrement musclé pour la devise.
Cette panoplie du super-économiste moderne ne serait pas complète si l’on n’y ajoutait pas l’indispensable autorité européenne en charge, par exemple, d’un fonds d’assurance, et l’appel quasi-chamanique à une union fiscale qui amènera la pluie sur les déserts, le soleil sur les plages et les rivières de miel et de lait, à condition qu’on le fasse tous ensemble, bras dessus, bras dessous.
Comme on le voit, c’est bien une véritable avalanche d’innovations nouvelles novatrices dont on peut parler ici : pas un domaine, pas une idée n’aura échappé à la sagacité du Lauréat du Jeune Économiste Keynésien. Mais s’il faut reconnaître à l’économiste un talent certain pour vendre du hachis parmentier comme du caviar, il faut reconnaître que c’est le philosophe qui interpelle le plus : ainsi, pour lui, un danger plus fort encore que la remise en cause des économistes plane sur leur profession :
Un danger tout aussi réel, mais bien plus pernicieux, réside dans une forme de complaisance intellectuelle. Le seul antidote est de tout faire pour éviter de fonctionner en vase clos.
Comme on le comprend ! Pour éviter cela, il lui faudra, ainsi qu’aux autres, se frotter à tous les courants, toutes les écoles de pensées économiques. Attention cependant : il ne s’agirait pas d’aller regarder du côté de l’école autrichienne.
Faut pas pousser, tout de même.