Il y a quelques années, on lisait avec un peu d’étonnement (ici par exemple) que la dette publique n’était pas un problème, qu’il fallait boire frais, que tout était sous contrôle et qu’il n’y avait aucune raison de s’inquiéter. Après tout, un État comme la France ne peut pas faire faillite, et puis la dette est bien soutenable, youkaïdi, youkaïda, restons détendus. Les années passant, le discours s’est dilué (comme là par exemple), tant il est vrai que les finances des pays ne se sont pas améliorées. Heureusement, la France n’est pas à cours de bonnes idées !
Oui, maintenant, il semble clair que les montants de dette sont effectivement colossaux, et que la soutenabilité de cette dette n’est plus tip-top assurée ; d’ailleurs, le sujet revient, discrètement, de temps en temps, sur les plateaux télé et l’un ou l’autre article dans un média qui se sera laissé aller à une réflexion sur le sujet (entre deux saillies d’idiote pneumatique de télé-réalité). Parfois, on découvre un éclair de lucidité dans la bouche d’un ministre (Michel Sapin en fit un peu les frais dernièrement). Et il est vrai que les chiffres laissent songeur : pas loin de 2000 milliards d’euros de dette étatique turbo-libérale, non compris les engagements des retraites, soultes diverses et autres régimes spéciaux (ultra-libéraux, je vous le rappelle), tout ça finit par se voir. Et oui, décidément, lorsqu’on doit exprimer une dette publique en notation scientifique, c’est que ce nombre est devenu très gros.
Pas étonnant, donc, que des armées d’économistes se soient penchés sur la question lancinante : comment rembourser tout ça ? À la fin du mois de mai, ce fut un certain Jacques Delpla qui s’y est collé et qui, dans un article sur Challenges, serré comme une course hippique de chevaux sous amphétamines, nous explique comment nous en sortir avec brio.
Avant de regarder LA solution de Delpla, il faut se rappeler que notre bonhomme n’est pas un complet inconnu (disons, presque pas : miracle de Wikipédia, même les fossoyeurs du peuple trouveront page à leur nom) : c’est un des soldats de la phalange keynésienne des Attali-boys, qui a participé, en son temps, à la Commission du même tonneau qui était parvenue à nous faire bien rire avec des propositions dont nous avons vu à quel point elles furent à la fois praticables et pratiquées. Au passage, on ne s’étonnera même pas que le site dédié à cette « libération de la croissance » affiche maintenant un magnifique panneau, parfaitement en phase avec la réalité de terrain vécue en France :
Oui, un « 404 Not Found » pour la libération de la croissance en France, c’est parfaitement exact. Du reste, n’oublions pas qu’avec la puissance d’analyse d’Attali, chaque solution peut trouver un problème à la hauteur de cette référence de la pensée (il suffira de lire la consternante interview que son altesse intellectuelle aura accordée à la RTBF pour écarquiller les yeux deux minutes sur le « libéralisme ultra extrême » de la Commission européenne).
On est donc en de bonnes mains lorsque notre économiste propose donc, en guise d’économies pour l’État, un petit calcul simple, voire simpliste : une taxe exceptionnelle qui s’appliquerait, en une fois, à un taux de 17 % sur tout le patrimoine de chaque Français au-delà de 30.000 euros. Le bonheur, c’est simple comme un coup de trique, surtout qu’avec ce qui s’est passé à Chypre, on peut maintenant ouvertement parler de spolier purement et simplement les Français sans que les gens ne bondissent.
Mieux : pour ce brave Delpla, tout ceci est même carrément libéral (mais pas néo ou ultra, ne poussons pas) :
« C’est une taxe libérale (et libératrice) à la Maurice Allais. Cette opération est, en moyenne, neutre sur le patrimoine des ménages: moins de patrimoine aujourd’hui contre moins de dette publique. »
Ben voyons, les enfants, c’est neutre et libératoire !
Ainsi, les épargnants français, pas du tout épargnés par cette nouvelle ponction (en plus de toutes les autres), vont continuer de se comporter de façon parfaitement neutre et libératoire. Il n’y aura pas de fuites de capitaux. Il n’y aura pas de mouvements de protestation. Il n’y aura pas de tentatives multiples et plus ou moins désespérées d’échapper à cette énormité. Excellent pour la consommation. Génial pour la production. Super pour l’investissement.
Ainsi, cette méthode simple et libératoire ne va pas du tout inciter le gouvernement à continuer la gabegie comme devant. Une fois la dette annulée (en imaginant que l’opération soit effectivement possible ainsi), imaginer que le gouvernement va subitement sucrer l’équivalent de l’impôt sur le revenu (qui sert, actuellement, à payer les intérêts d’un dette qu’on suppose donc évaporée), c’est imaginer qu’il est prêt à s’asseoir sur un gros paquet juteux de 50 milliards d’euros. Au moins, en terme de naïveté, Delpla ne fait pas dans la demi-mesure et s’offre ici un splif à 50 milliards.
Et surtout, l’opération prônée par notre économiste aboutit à la situation amusante d’un patrimoine français amputé de plusieurs pourcents, patrimoine qui sera donc concédé à ceux qui détiennent notre dette, soit… des étrangers. Reste à savoir si le peuple français peut vivre avec 15% du Louvre, de Versailles ou de leur propre baraque appartenant à des Qataris ou des Chinois. Je doute.
Bref : que d’excellentes raisons pour mettre en place un tel système, au vu des bénéfices retirés (relancer le bastringue socialiste pendant 40 ans, avec encore plus d’assistanat, de redistribution, de misère et de plans sociaux). Et puis, il faut bien se rendre à l’évidence : c’est beaucoup plus rigolo de spolier les citoyens, le peuple, que tout autre parti dans ces opérations de dette. D’abord, ils sont plus nombreux, ce qui entraîne une somme plus petite à ponctionner par tête de pipe. Ensuite, ils sont plus petits, désorganisés et pas très futés, ce qui fait autant de bonnes raisons d’aller leur cogner dessus.
Maintenant, si on revient à la réalité de ce qu’est la dette étatique française, force est de constater que ce n’est certainement pas à tout le monde, dans le même sac, de payer les pots cassés. Il y a bien des responsables, et c’est bien à eux de prendre leurs pertes. D’ailleurs, si l’on y réfléchit deux minutes, la dette est, par nature, un engagement des politiciens au-delà de la durée de leur propre mandat. En clair, ces crapules ont signé pour un prêt qu’ils n’auront jamais à rembourser. Et, de crapules en crapules, chacun se refile la patate chaude jusqu’au point de non retour (avertissement : le déchargement, c’est maintenant).
La dette, on s’en doute, ne sera pas remboursée. Trop grosse, dans un pays atone, gouvernée par des imbéciles, des incultes ou des clowns sinistres, elle ne pourra jamais l’être.
Il n’y a que trois sorties possibles : l’inflation, le défaut ou la spoliation du peuple. L’inflation est déjà prévue, mais, comme le dentifrice, elle sera difficile à remettre dans le tube une fois qu’elle sera brusquement sortie ; ne pariez pas sur la sagacité des élites qui nous gouvernent pour se calmer à temps. La spoliation du peuple, on l’a vue à Chypre, semble aller d’elle-même tant elle est douillettement installée dans le crâne de nos économistes.
Quant au défaut, qui aurait renvoyé les créditeurs à leur lourde responsabilité d’avoir tant prêté à des jean-foutres, des escrocs, des voleurs et des démagogues cyniques, qui aurait d’ailleurs conduit cette belle bande d’arsouilles sinistres à la potence ou la prison, ce défaut sera soigneusement évité.