Il n’est
pas donné à toutes les idées de revenir à la mode
mais cela semble bien être le cas de cette idée ancienne qui
renaît aujourd’hui de ses cendres : la fiscalité
nutritionnelle.
Le terme reste
encore peu connu du grand public mais il fait son chemin, d’autant plus
que la taxe soda ou la taxe Nutella ont marqué les esprits. Or,
si ce type de fiscalité n’a rien de neuf. Il redevient simplement
d’actualité en Europe où nombre d’acteurs ont
intérêt à la mettre en œuvre pour des raisons aussi
bien sanitaires, qu’économiques ou même encore
écologiques.
La
fiscalité nutritionnelle consiste à mettre en place
« une contribution assise sur les produits trop gras, trop
sucrés ou trop salés ». Il en existe
déjà sur les boissons alcoolisées comme la bière
mais la nouveauté est d’élargir la base des biens de
consommation taxés au domaine de l’alimentation.
Il
s’agit alors de cibler les produits jugés nuisibles pour la
santé, à savoir ceux qui contiennent trop de gras, trop de
sucre ou trop de sel. Des produits comme les sodas, le chocolat,
l’huile de palme, l’huile de coco et de très nombreux
autres sont ainsi épinglés pour leur contenu trop calorique.
Le principal
argument invoqué au nom de la taxation nutritionnelle est
d’ordre sanitaire. En effet, les aliments trop riches seraient non
seulement la cause de l’obésité mais seraient aussi
à l’origine de nombreuses autres maladies, comme les maladies
cardiovasculaires.
Or, la plupart
des pays en Europe ont une gestion publique de la santé qui
génère aujourd’hui des déficits. La santé
coûte cher et les pouvoirs publics cherchent des moyens de
maîtriser ces coûts. En France, la maîtrise comptable des
coûts a pris son envolée en 1996 avec l’introduction
d’un Objectif national des dépenses d’assurance maladie.
Cet objectif
est devenu d’autant plus crucial à atteindre que la crise
financière de 2008 a creusé les déficits dans
l’ensemble des pays européens. Face à ce dérapage
des comptes publics, les gouvernements doivent trouver des moyens de revenir
aux objectifs stipulés dans le Traité de Maastricht et
notamment de ne pas avoir un déficit supérieur à 3% du
Produit intérieur brut.
Pour ce faire,
la taxation nutritionnelle serait un moyen d’engranger des recettes
fiscales supplémentaires et ainsi de contenir le déficit de la Sécurité
sociale et donc celui des finances publiques dans leur ensemble. Telle est la
principale justification de cette fiscalité avancée par les
pouvoirs publics.
Or, elle se
trouve renforcé par des initiatives plus spécifiques visant notamment
à réglementer des produits comme l’huile de palme ou
l’huile de coco. Dans ces cas, les arguments mis en avant ne sont pas
sanitaires mais avant tout économiques et environnementaux.
Ainsi, un membre
du parlement suisse, Dominique de Buman, avait
proposé fin 2012 d’interdire ou de restreindre
l’importation de l’huile de palme. Ardent défenseur des
productions nationales, ce parlementaire souhaitait privilégier la
production suisse de colza en freinant la commercialisation d’une huile
de palme concurrente. Sa proposition comme sa motion en faveur de la mention
« huile de palme » n’ont pas été
retenues. Reste que le Conseil fédéral suisse examine un projet
d’ordonnance qui prévoit des dispositions relatives à la
désignation des graisses et des huiles végétales. La
question de l’étiquetage reste donc ouverte.
En Belgique et
en France, la question est en partie environnementale. En effet, la
production d’huile de palme suscite un mouvement de déforestation
en Malaisie et en Indonésie que les environnementalistes accusent de
favoriser le réchauffement climatique et de provoquer la disparition de
l’orang-outan.
Ceci a
inspiré les promoteurs de la taxe Nutella visant les produits contenant
de l’huile de palme. Rejetée en France fin 2012, elle pourrait réapparaitre
sous la forme d’une taxe plus globale sur les lipides. De même deux
sénatrices belges, Sabine de Bethune et
Cindy Franssen, veulent réglementer les
huiles de palme et de coco. Leur proposition, visant notamment à
interdire tous les produits contenant plus de 2% de l’une de ces huiles,
est en examen au Sénat.
Les raisons
invoquées au nom de la réglementation nutritionnelle sont
légions et se renforcent les unes les autres. Quand il n’est pas
possible d’interdire un aliment ou d’imposer un étiquetage
alimentaire, la fiscalité nutritionnelle semble devenir un palliatif.
Reste qu’il
n’existe pas de consensus autour de l’efficacité de ces
taxes et le Danemark, champion en la matière, abandonne certains de
ces dispositifs.
Aux
Etats-Unis, des taxes sur les boissons « trop
sucrées » existent depuis les années 20. Plus des
deux tiers des États américains imposent encore de telles
taxes. Or, à l’évidence, leur existence n’a pas pu
changer le comportement des Américains. Des experts en la
matière indiquent qu’il peut y avoir substitution de la
consommation de sodas vers d’autres boissons encore plus caloriques, comme
le suggère par ailleurs le raisonnement économique.
Plus proche de
nous, le Danemark a par exemple mis en place une taxe sur les boissons dans
les années 1930 et a été le premier pays à mettre
en place une taxe sur le gras en 2011. Or, ce pays a décidé
d’abolir en 2012 la fameuse « fat tax »
et supprimera d’ici 2014 la taxe sur les boissons sucrées. Les
raisons invoquées par les pouvoirs publics sont qu’elles
génèrent trop d’effets pervers en matière de
compétitivité et de bien-être, sans pour autant avoir un
impact convaincant sur les modes de consommation.
La fiscalité
nutritionnelle est donc une vieille pratique dont les avantages sont loin
d’être établis. Alors que l’idée redevient
d’actualité dans un certains nombre de
pays européens, les expériences américaine et danoise
montrent plutôt qu’il faudrait s’en méfier. Loin de
régler les questions sanitaires, elle peut en fait être
contreproductive.
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