La France s’embourbe. Le gouvernement comprend, confusément, que pour la
question «finances 2013», ça ne va vraiment pas le faire et qu’il ne s’agira
pas d’un petit ajustement d’un ou deux milliards. Alors, pour changer, il
cherche, fébrilement, de l’argent. Beaucoup d’argent. Dans sa panoplie, de
plus en plus dépouillée, la lutte contre la fraude fiscale ressort,
inlassablement.
L’idée générale est la suivante : la France est un pays de cocagne et tout
le monde se bouscule pour y vivre. Pour conserver ce paradis sur Terre, il
faut une armée de fonctionnaires, des syndicalistes précautionneux des droits
des travailleurs, un système de protection sociale que le monde nous envie par
son efficacité, des politiciens affûtés et des médias soucieux d’impartialité
et d’informations toujours plus pertinentes. Toutes ces excellences ont un
coût.
Ce coût sera, essentiellement, supporté par l’impôt. Pour éviter que les gogos contribuables ne s’aperçoivent du
décalage entre ce qu’ils payent vraiment et ce qu’ils obtiennent en retour,
on va multiplier les appellations rigolotes pour la ponction opérée : taxe,
cotisation, prélèvement, contribution, l’inventivité sera sans fin. Malgré
tout, certains comprennent qu’en fait de paradis sur terre, c’en est un pour
l’avocat fiscaliste, l’inspecteur des impôts ou le douanier, mais pas trop
pour le contribuable à mesure que son stock de vaseline s’épuise, et qui en
vient donc à user d’évasion fiscale pour amoindrir ses souffrances.
Devant son ampleur, le gouvernement agit… enfin, agite ses petits bras.
Expliquant qu’il vaut mieux régulariser maintenant (i.e. : faire savoir qu’on
s’est évadé, et payer en sus une bonne petite amende bien douloureuse, mais
pas plus), il nous annonce maintenant que cette perspective a réussi à ferrer
plusieurs milliers de pigeons
contribuables, qui reviennent donc dans le giron français. Toute analogie
avec les femmes battues qui reviennent malgré tout au domicile conjugal,
pourtant lieu de leurs souffrances, parce qu’elles espèrent un retour
d’affection n’est pas fortuit : les mécanismes psychologiques sont les mêmes.
Du reste, la fin le sera aussi : l’Etat continuera de cogner copieusement sur
eux (et les autres), jusqu’à ce que mort s’en suive. On est en France, après
tout, et être riche est tout de même une sacré honte qu’il faut bien expier
d’une façon ou d’une autre.
En attendant, un peu d’analyse sur ces chiffres fabuleux de repentis,
revenus au bercail par gros troupeau bêlant et joyeux, nous est offert de façon
perpendiculaire par un certain Pierre Condamin-Gerbier.
Si ce nom ne vous dit pas grand-chose, c’est normal puisqu’il avait été
relativement discret jusqu’à présent ; évidemment, maintenant qu’il explique
vouloir dévoiler le nom de plusieurs personnalités politiques de haut rang,
dans l’actuel gouvernement et dans le précédent, qui ont des comptes bien
garnis en Suisse, on comprend que sa discrétion va s’épuiser. En effet, le 12
juin dernier, l’ex-banquier de Genève s’est entretenu au Sénat a déballé tout
ce qu’il sait sur les combines actuellement en place pour, justement,
exfiltrer des capitaux hors de France, fussent-ils détenus par des
politiciens réputés honnêtes (ici : rires).
De cet entretien, on peut certes retenir qu’il a de croustillants dossiers
sur des politiciens (qui, de nos jours, n’en a pas ?) ; pour ma part, j’ai
surtout retenu, des propos qui sont rapportés par Slate, que ce sont surtout les petits
poissons et les personnes pas forcément les mieux outillées qui reviennent
dans le giron fiscal français ; selon Condamin-Gerbier,
« Les cellules de dégrisement que nous avons mises en place n’ont
attiré que les petits. »
Et surtout, l’ensemble de la déposition de l’ex-banquier ne laisse aucun
doute sur le caractère littéralement industriel de ces évasions, ni sur le
fait, évident jusqu’à présent mais seulement supposé et chuchoté loin des
micros journalistiques et des prétoires judiciaires, que les bonnes magouilles
sont d’abord et surtout utilisées … par les politiciens, qu’ils étendent
ensuite aux petits copains.
C’est parfaitement éclairant : en parfaits hypocrites que Cahuzac aura diablement gênés, tous les principaux
politiciens sont à l’évidence entrés dans le métier pour le pouvoir et, une
fois les rouages compris, auront vite usé de celui-ci pour accumuler de
solides fortunes qui se seront, magiquement et de façon indolore, déplacées
vers des cieux plus cléments. Condamin-Gerbier
explique plusieurs méthodes qui permettent de passer de fortes sommes au nez
et à la barbe de Bercy, et explique aussi le mécanisme qui permet à des
politiciens d’en bénéficier. Autrement dit, nos élus, ceux-là mêmes qui nous
agonisent de taxes et d’impôts tous aussi débiles et incapacitants les uns
que les autres, tous sont parfaitement au courant que la France est
un enfer fiscal, et tous font ce qu’il faut pour s’en
échapper.
Pour nos politiciens, l’enfer, c’est pour les autres. Mieux : le fameux
1%, celui qui s’opposerait dans l’iconographie populaire aux 99% restants,
ils en font partie, ils s’y complaisent joyeusement et ils font absolument
tout pour y rester, quitte, d’ailleurs, à saborder le pays avec ce genre de
« démarche solidaire » qu’ils nous préconisent sur tous les tons
dès qu’ils sont à portée de micro. En somme, c’est la révélation, feutrée,
discrète, peu médiatisée et pourtant évidente du Moquage
de Visage le plus total de toute une caste vis-à-vis de ceux qui les ont
porté là.
C’est même du Foutage de Gueule élevé au rang
d’art à côté duquel la Chapelle Sixtine ferait figure de gribouillage rapide
d’attardés mentaux : les informations de cette audition n’ont même pas encore
été digérées par les journalistes et les Français que déjà, Jean-Marc Ayrault
prend la parole et nous fait part de son opinion sur … la fraude fiscale,
avec cette décontraction que seul un parfait hypocrite professionnel est
capable de rassembler sans déchirer son pantalon.
Le pitre à l’actuelle place de Premier Ministre s’est en effet fendu,
samedi dernier, d’une déclaration grandiloquente au sujet de la fraude fiscale,
montrant qu’une hontectomie réalisée suffisamment
tôt dans la vie d’un politicien ne laisse absolument aucune trace de remords
ou de réflexion morale approfondie, et permet une carrière brillante de
saprophyte dodu :
« Venez voir les services de l’État pour que vous puissiez
régulariser votre situation. Le temps de la fraude, le temps des paradis
fiscaux, ce temps-là est en train de disparaître. Ceux qui pensent qu’ils
vont pouvoir se mettre à l’abri doivent en être conscients »
Eh oui les petits amis : tout sera fait pour choper l’impétrant qui tente
de s’expatrier ou d’exfiltrer ses capitaux sans payer sa dîme, sa gabelle, sa
taille et les 1232 autres taxes et impôts du code fiscal allégé. Bon, bien
sûr, les fanfaronnades de Ayrault à ce sujet laisseront de marbre ses petits
copains déjà affairés à trouver la prochaine tubulure chromée reliant leur
compte bancaire français à un paradis fiscal de façon insoupçonnée et
insoupçonnable. Il faut bien comprendre que Jean-Marc, là, il ne parle pas
des élus. Il n’évoque pas le sénateur ventripotent. Il n’a pas en tête le
député malin. Il ne pense pas à ces ministres qui déclarèrent des patrimoines à fort potentiel de LOL.
Ce qu’il veut dire, le Jean-Marc, c’est qu’il entend bien choper les
petits, les sans-grades, les benêts, les sans-réseaux. Ceux-là, ils vont
prendre cher. Les autres, bien sûr, auront tout son soutien, toute sa
discrétion. Pour eux, la fraude fiscale continuera de plus belle.
Après tout, c’est lui et ses copains qui l’ont inventée, pour ainsi dire.