On en parle sur Contrepoints, sur Atlantico, sur d’autres journaux et même sur Le Monde qui s’est fendu d’un article confus sur le sujet : le jour de « libération fiscale » a été dépassé fin juillet, et vous travaillez à présent pour vous même.
Qu’est-ce que ça veut dire ? En gros, l’idée est d’agglomérer de vos revenus toute la partie dont vous n’avez pas le choix de la destination (car elle ne dépend pas du tout de vous), de la rapporter au total, et d’appliquer le ratio au calendrier ; le nombre de jours obtenu correspond alors au temps que vous passez à travailler pour créer des richesses pour lesquels vous n’aurez aucun mot à dire quant à leur affectation.
Bien sûr, on peut, à partir de cette définition relativement sommaire, épiloguer à foison tant sur le mode de calcul que sur le résultat obtenu. C’est ce que s’empresse d’ailleurs de faire l’article du Monde dans un exercice touchant de mamours humides à la fiscalité française, pourtant pas réputée pour être particulièrement simple et accommodante. Si, dans les méandres d’arguments un peu en vrac que nous offre les auteurs du papier, on peut comprendre certaines critiques portant sur les choix pris pour calculer l’indice en question, on constate pourtant qu’à aucun moment les deux journalistes ne semblent effarés des nombres qu’ils manipulent : pour eux, une ponction de l’État et des organismes sociaux, à hauteur de la moitié de la richesse produite, ne semble absolument pas gênante. Partant du principe qu’il reste (miraculeusement ?) un ou deux pays encore plus lourdement ponctionnaires que la France, les deux folliculaires acceptent donc sans broncher que la moitié de leurs efforts partent dans des structures qu’ils ne contrôlent pas.
Certains naïfs (ou de parfaite mauvaise foi militante) m’objecteront qu’en réalité, la Grande et Belle Démocratie et le Parlement à l’œuvre permettent d’avoir, justement, un contrôle sur les orientations des dépenses des organismes sociaux et l’État. Et le fait que les budgets des uns et de l’autre soient en déficit chronique depuis des décennies est un indicateur de bonne santé et de bonne gestion, à n’en pas douter. Les dérives, maintes fois constatées par une Cour des Comptes dont, justement, ces organismes et cet État se fichent comme d’une guigne, ne sont là que pour le décor, pour pimenter un peu ce magnifique contrôle offert par les instances législatives et ce vote démocratique si puissant qui, en 40 ans, n’aura jamais permis de régler ni le problème du chômage, ni celui des retraites, ni celui de l’assurance maladie, ni de la dette nationale maintenant colossale (ni tout le reste que les gouvernements propulsent avec leurs petits bras sous les tapis républicains maintenant bien bosselés).
Certains autres naïfs insisteront sur le caractère fallacieux du calcul puisque (selon les auteurs de ce puissant papier), une partie des fonds ainsi ponctionnés sont finalement réinjectés dans l’économie, youkaïdi, youkaïda, que les entreprises, par leurs cotisations et leurs impôts, participent aussi à cette ponction, et qu’en vertu de quoi, le ratio ne s’établirait pas autour de 50% mais bien plus bas, amenant ainsi (je paraphrase les ratiocinations du Monde) ce taux de prélèvement net de transferts, « resté remarquablement stable depuis 1959, à environ 17 % du PIB ».
Eh oui : quand on vous ponctionne 100€ qui seront ensuite dépensés par d’autres, en réalité, ce n’est pas tout à fait 100€ qui sont pris, mais bien moins puisqu’avec cette somme, vous aurez le plaisir de voir vos enfants aller à l’école gratuite apprendre à non-lire et non-écrire (pour devenir journaliste au Monde ?), aurez la joie de voyager dans des trains ponctuels pas chers qui ne déraillent pas, la tranquillité d’esprit de savoir que votre compte sera protégé d’une faillite bancaire qui n’arrivera pas (et de toute façon, la monnaie, c’est du solide), l’allégresse d’être toujours plus protégé d’un excès de vitesse, du chômage ou d’une retraite de misère, … Bref : comme vous le constatez, en retour de ces 100€ qui vous sont pris sans vous demander votre avis, on vous offre un paquet de choses succulentes qu’il serait dommage d’oublier.
Calcul très pratique mais qui oublie malheureusement un peu vite qu’une entreprise ne paie pas d’impôts (ce sont ses consommateurs qui le font, au travers du prix des produits et services fournis par l’entreprise), et que les cotisations (patronales ou salariale, c’est la même chose) sont bien prélevées sur le salaire complet que l’entreprise est prête à payer pour le travail du salarié, nonobstant les petites protestations des journalistes du Monde qui estiment qu’en réalité, …
Rien ne permet de dire que si, demain, l’Etat privatisait sécurité sociale, assurance chômage et retraites, le salarié toucherait l’équivalent de ce que son employeur verse actuellement à ces organismes.
Ben non. Rien de rien. Sauf peut-être le constat que dans les pays où ces cotisations sont plus faibles ou nulles, les salaires sont plus élevés en proportion (cas des Etats-Unis, de l’Angleterre et de l’Allemagne par exemple), ou que le niveau des salaires est directement (et négativement) impacté par le niveau d’interventionnisme de l’État dans l’économie (ce qui se traduit par des indices de liberté économique élevés rimant avec des salaires moyens élevés). On ne s’étonnera pas, avec ces éléments, de constater que l’indice de liberté économique de la France, faible, correspond avec des salaires moyens eux-mêmes faibles.
Et quand bien même l’hypothèse des journalistes serait exacte, dans le cas actuel, il n’y a pas à tortiller : le salaire effectif, c’est-à-dire le coût que le patron est prêt à payer pour son salarié, est bien l’addition du net et de toutes les cotisations. Et sur ce salaire complet, seul le net, soit à peu près 50%, représente la richesse que le salarié peut espérer ramener chez lui et dont la destination finale est à peu près dépendante de ses choix, à lui (à ceci près qu’il faudra encore, pour notre infortuné salarié français, sucrer les autres impôts, la TVA et habituelles vexations quotidiennes que l’État lui inflige en échange de ces insultes qu’il appelle ensuite cyniquement Service Public pour mieux faire passer la pilule). Au bilan, si l’on rapporte ce ratio au calendrier, oui, le salarié français passe bien plus de la moitié de son année à bosser pour l’État, les autres, la collectivité.
Et à cela, on aura trois remarques.
Tout d’abord, si certains (nos amis du Monde semblent en faire douillettement partie) pensent que travailler pour les autres est parfaitement génial, on peut se demander si cette charité ni spontanée, ni optionnelle est bien, au moins, consentie par la population. Vu le nombre de personnes qui choisissent, tous les ans, de s’expatrier pour fuir les impôts français, on peut en douter. Le doute s’installe fermement si on y ajoute ceux qui font des pieds et des mains pour instaurer et/ou utiliser toutes les niches fiscales possibles et imaginables. Le doute devient certitude lorsqu’on ajoute le comportement des élus eux-mêmes dont tout indique (bisous Cahuzac) qu’ils sont les premiers à tout faire pour ne pas participer, justement, à cet élan collectiviste über-bisou mais en définitive, vraiment pas consenti.
Ensuite, on peut se demander (mais pas nos amis du Monde, qui ont d’autres libéraux à fouetter) si cette ponction autoritaire et non consentie est bien mise en face d’un service public en rapport avec ce qui est prélevé. Le lecteur attentif aura discerné, aux paragraphes précédents, que je ne le pense pas, même sous l’emprise de l’alcool. Charge aux hypocrites, aux idiots utiles ou aux débatteurs de mauvaise foi de me prouver que si, si, nos administrations, nos caisses d’assurances collectives et notre État font un travail remarquable et en rapport avec les 1800 milliards de dettes et de toutes les taxes prélevées. Ce sera un exercice amusant.
Mais enfin, et c’est le plus important, il impose de se demander à partir de quel pourcentage, de quel jour dans l’année si l’on revient à notre indice, on peut se considérer comme libre ou, a contrario, comme esclave. Puisqu’il est entendu qu’un État et des organismes sociaux qui prélèveraient 100% de tout ce qu’on produit nous transformeraient à l’évidence en esclaves, incapables (puisque n’ayant plus aucun revenu en propre) de survenir à nos besoins sans eux, peut-on dire qu’à plus de 50% de ponction, nous sommes encore libres ?
Cette question est à mon sens bien plus importante que les arguties millimétriques sur la pertinence de tel ou tel aspect de l’indice : un pays est-il malheureux avec un taux de ponction plus bas ? Est-il plus heureux avec un taux de ponction plus élevé ? Est-il normal qu’il soit déjà si haut pour la France ? Est-il pertinent de l’y laisser alors que tout indique que c’est précisément son niveau qui entraîne le pays dans le marasme économique le plus profond ?
Heureusement, je vous rassure : grâce au démontage en règle de l’indice par les soldats de la Bonne Pensée, le thermomètre sera foulé au pied, la mesure ne sera pas faite, les esprits seront calmés, la journée de libération fiscale disparaîtra et l’enfer fiscal français pourra continuer comme devant.