Parfois, à force de réclamer la transparence des institutions publiques, on l’obtient. Ce n’est pas sans misères, mais le résultat en vaut la chandelle. C’est ainsi que, dans les données disponibles sur data.gouv.fr, on trouve le détail des subventions distribuées, d’années en années. L’analyse de ces distributions d’argent des autres est fort instructif.
En effet, n’importe quel citoyen un minimum attentif aux impôts qui lui sont prélevés doit se demander si, parfois, il n’y aurait pas comme un petit coulage dans la façon dont l’argent est dépensé. Et même si, bien sûr, l’évidente solidarité nationale impose un consentement à l’impôt des plus tendres, il est parfois nécessaire de s’assurer que l’un ou l’autre élu n’aurait pas malencontreusement ripé au moment de faire un chèque pour l’une ou l’autre association dont il serait fortuitement le président, ou dont le trésorier serait inopinément un membre de sa famille (au sens strict ou au sens politique)…
Et grâce à cette joyeuse manie de l’ « open-data », on se retrouve à présent avec cette possibilité délectable de fouiller dans les comptes de la Nation. Fouiller est ici le terme adéquat tant les données sont volontairement obscurcies dans le jargon administratif ; à ceci près, cependant, force est de constater qu’on retrouve bien tout comme il faut, dans les « jaunes » édités chaque année. Pour ce petit billet détendu de l’analyse économique succincte, j’ai choisi les années 2011 et 2012 (i.e. les jaunes du PLF 2013 et du PLF 2014).
Quelques manipulations de données CSV plus tard, on obtient quelques jolis graphiques qui illustrent assez bien différents problèmes et soulèvent quelques interrogations.
D’une part, en ces périodes de restrictions, on a un peu de mal à comprendre pourquoi l’État distribue ainsi un peu plus d’un milliard d’euros en 2011 dans différentes associations qui vont de la formation professionnelle à celle des boulistes de telle localité. Après tout, la formation est quelque chose qui devrait être du ressort des entreprises, des individus, éventuellement d’un accord liant les premières aux seconds, et, pour tout dire, pourrait être envisagé dans le cadre de l’éducation nationale (on n’est plus à une propagande près). Pourquoi l’état finance-t-il cela ? Quant aux boulistes et autres associations sportives ou vidéo-ludiques, seules les contorsions actuelles du sens des mots permet de placer ça dans les missions de l’État et dans le cadre de son nécessaire soutien aux activités qui permettent d’entretenir le lien social, la paix sociale, le sport social et la distribution sociale de pognon social. Une fois débarrassé de la gangue de novlangue, les subventions correspondantes ressemblent largement à une distribution de bonbons pour réjouir les uns et calmer les autres…
D’autre part, l’analyse des chiffres de 2011 et 2012 laisse assez peu de doute sur la tendance générale de ces distributions. Tendance un peu alarmante puisqu’elle se traduit essentiellement par une véritable explosion des subventions distribuées. On découvre en effet que leur montant total s’établissait ainsi à 1.229 millions d’euros en 2011, et qu’il atteint 1.855 millions en 2012.
Sapristi ! Une augmentation de 50% (!), que voilà de la bonne grosse austérité bien violente ! Il semblerait, au vu de ces chiffres, que certains n’ont pas subi la crise avec la même difficulté que d’autres. Et si on comprend que certaines associations sont effectivement à 100€ de donation près, certaines autres ont tout de même trouvé dans le budget de l’État un secours … grossissant au cours des années.
Et lorsqu’on regarde un peu les grandes masses, l’impression de foutage de gueule s’installe franchement. Par exemple, si l’on rassemble par ministère les largesses qui furent distribuées, on se rend compte que ce qui relève du pur régalien (i.e. l’intérieur, les affaires étrangères, la justice et la défense) ne représente jamais une très grosse proportion de ce qui est donné par l’Etat. Pire : cette proportion tend à diminuer dans le temps. Ainsi, en 2011, les associations qui dépendent de ministères régaliens sont subventionnées à hauteur de 10% des montants totaux distribués.
En 2012, les mêmes associations ne comptent plus que pour un petit 5% maigrichon. Décidément, il ne fait pas bon être attaché à l’un des piliers de l’Etat français lorsqu’on est une association demandeuse de subventions en France !
On m’objectera sans doute qu’on peut très bien avoir une diminution relative des « subventions régaliennes » si les subventions, en général, augmentent largement (ce qu’elles font) sans pour autant avoir une diminution absolue des montants impliqués. Il n’en est rien : les associations qui dépendent des ministères régaliens voient bien le robinet à subvention se fermer ; seule la Défense limite un peu l’assèchement, mais sinon, les chiffres sont éloquents d’une année à l’autre et donnent ceci :
Comme on le voit, on passe d’un total (régalien seul) de 133 millions d’euros à 88. Là, pour le coup, l’austérité commence à se faire sentir. Mais plus intéressant, ce qui n’est pas du régalien, lui, en profite dans le même temps pour remplir sa besace et même largement plus ; pour rire, j’ai réintroduit ce qui avait été retiré du précédent graphique. La différence étant sensible, cela écrase un peu les ministères régaliens, mais on distingue nettement que l’austérité, pour ces associations, c’est définitivement pas maintenant :
Au delà de ces aspects de répartition un peu fastidieux qui montrent à qui en doutait encore que l’Etat n’est plus qu’un immense diffuseur d’ambiance à base de pognon cramé dans des associations colorées, citoyennes, festives et parfaitement limitées à des intérêts bien particuliers et non pas du tout collectifs, les données permettent des fouilles dont les résultats sont lourds de signification sur ce que ceux qui sont à l’embouchure du robinet sont capables de faire pour s’y abreuver sans complexe.
On aura un petit mouvement de recul lorsqu’on découvrira que les associations pour les loisirs des administrations financières touchent plus de 34 millions d’euros (6 millions pour l’ATSCAF et 28 pour l’EPAF). C’est vraiment mignon d’apprendre que les gens qui collectent nos impôts s’octroient eux-mêmes, après une consultation et d’âpres débats avec eux-mêmes, plusieurs dizaines de millions d’euros pour leurs loisirs.
On ne s’étonnera pas de découvrir par exemple qu’en 2011, les 10% des associations les mieux dotées (2198) touchent plus d’un milliard d’euros en tout, soit 514 K€ en moyenne pour celles-là. En revanche, les 90% restantes devront se contenter d’une dotation de 8486€ en moyenne. Si l’on voulait vraiment se moquer de nos solidaires à nos frais, on pourrait noter que le coefficient de Gini dans cette répartition montre clairement un écart très important entre les associations riches et les associations pauvres… En pratique, cette différence n’est pas amusante puisque quoi qu’il arrive, le contribuable en est de sa poche.
Mais de façon générale, ces chiffres montrent surtout l’incroyable décontraction avec laquelle les institutions jouent avec l’argent du contribuable. On peut se demander pourquoi autant d’associations Loi 1901 sont créées pour, par exemple, gérer les restaurants d’entreprises de la fonction publique ; pourquoi ces administrations emploient-elles un tel montage pour ce genre d’activités ? Pourquoi demande-t-on implicitement à tous les contribuables de participer de façon directe au financement de la Fédération Française de Ski (près de 4 millions d’euros) ? Le ski est-il un droit de l’homme ? Le ski peut-il décemment être mis au même plan que les Restos du Cœur (qui reçoit aussi sa part, modeste, de financements publics) ? Pourquoi tout le peuple français est-il ponctionné pour que seulement certains puissent s’adonner à leurs loisirs ?
Pourquoi, mais pourquoi donc ces associations ne se contentent-elles pas des cotisations de leurs nombreux membres ? Si elles intéressent tant de monde, elles n’auront pas de mal à rassembler les cotisations qu’il leur faut et dans ce cas, aucun besoin de subventions ! Et si elles ne peuvent survivre sans subvention, peut-être n’intéressent-elles pas suffisamment de monde et ne méritent-elles pas de recevoir l’argent public, de la collectivité, donc de tous ?
Mais surtout, comment ne pas voir dans cette distribution permanente et croissante d’argent des autres, qui échappe royalement à tout contrôle effectif du peuple, un parfait déni de démocratie ? Comment ne pas voir qu’en plus d’être des nids de prébendes et de sinécures pour amis du pouvoir, qu’en plus des sources évidentes de corruption que ces arrangements offrent à tous les élus, à chaque étage du mille-feuille français, ces associations, en venant téter aux subventions publiques, détournent l’argent de la collectivité pour des intérêts privés ?
Devant ces chiffres consternants, comment justifier le moindre consentement à l’impôt, expression dont s’abreuvent nos crétins gouvernementaux à mesure que la grogne monte ?
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