Tout se déroule comme prévu, c’est-à-dire assez mal. Le 11 décembre dernier, dans l’indifférence des médias grand public mais avec un net bruissement du côté d’internet, le Parlement Européen a entériné le principe de bail-in. Comme je l’avais mentionné dans un précédent billet, Chypre n’était bien qu’une répétition et à la prochaine occurrence d’un problème financier majeur dans l’union, le procédé employé en mars de cette année dans l’île méditerranéenne pourra s’appliquer aux autres déposants européens.
Et c’est donc sous les applaudissements (ou quasiment) que le Parlement Européen a voté l’ensemble des dispositifs permettant la mise en place de bail-in dans les banques de l’Union Européenne, qui sera opérationnel en janvier 2016 (pour le moment – on n’est pas à l’abri d’une accélération du besoin). Pour rappel, au contraire d’un bail-out où c’est la puissance publique (donc le contribuable) qui injecte des fonds dans les banques défaillantes pour leur éviter la catastrophe pourtant amplement méritée, le principe d’un bail-in consiste à faire payer les actionnaires de la banque, les détenteurs d’obligation, puis, bien sûr, les déposants. Ça tombe bien, ils sont très nombreux. Comme les contribuables, du reste, et ce n’est pas une coïncidence.
Fondamentalement, on pourra m’objecter à raison que ce n’est donc pas complètement anti-libéral : après tout, tout déposant qui fait confiance à une banque en lui apportant l’argent de ses revenus devrait faire ses « due diligences », c’est-à-dire éplucher l’état général de la banque et juger, en son âme et conscience et en fonction des informations honnêtes que la banque lui aura fournies s’il doit ou non en devenir client. Soit. Cependant, nous ne sommes pas dans ce monde idyllique : en pratique, les informations bancaires sont rarement aussi honnêtes qu’on le souhaiterait ; les stress-tests prouvent assez bien qu’on peut faire dire ce qu’on veut aux chiffres et que nos amis financiers s’y entendent assez bien en matière d’obscurcissement de leurs comptes. À ceci on rajoutera la législation bancaire fluctuante que les États adaptent en fonction de leurs besoins ou des urgences de l’actualité.
Difficile de ne pas justement voir dans ce dernier rebondissement législatif bancaire une modification de dernière minute des règles du jeu afin de sauvegarder les apparences sur le mode « Les déposants trinqueront, mais après tout, c’est de bonne guerre : ils sont clients de cette banque et doivent bien participer à son renflouement s’ils ne veulent pas tout perdre ». Le fait que, de nos jours, les futurs participants des bail-ins qui se profilent sont en réalité des clients captifs d’un système hautement cartélisé donne une tournure bien particulière à cette responsabilité des déposants. Le fait que les règles minimales de prudence ne soient pas connues des déposants et qu’il y ait aussi peu de publicité à leur sujet apporte encore cette impression d’entourloupe discrète ; combien de déposants savent vraiment qu’un dépôt en banque revient, en réalité, à faire un prêt à son banquier, et qu’il comporte une part de risque ? Le fait qu’on en vienne à faire une loi, actuellement, alors que ce principe est normalement logique puisque tout client d’une entreprise devient, à un moment, partenaire de celle-ci le temps de l’exécution des contrats, montre assez bien que cette notion de responsabilité des déposants n’est absolument pas ancrée dans ni dans les esprits, ni dans les habitudes. Et c’est tellement vrai que si une loi peut, magiquement, rendre les déposants responsables (ou leur rappeler leurs responsabilités), une autre peut les sortir complètement du tableau, comme il est actuellement envisagé en Islande depuis le début du mois, avec l’annulation unilatérale de la dette des ménages islandais.
En réalité, on comprend avec ce genre de bidouillage législatif que les États et les cartels bancaires sont plus qu’étroitement liés : ils forment les deux faces d’une même pièce d’un « capitalisme » de connivence qui n’a plus rien à voir avec le capitalisme, ou même de la gestion financière saine et responsable.
Et dans le cas de la France, cela prend des proportions épiques : il faut voir le pedigree des patrons des principales banques françaises et leurs accointances avec le milieu politique, leurs réseaux et leurs entrées dans les couloirs du gouvernement ou de l’Assemblée ; difficile de ne pas admettre qu’ici, ministre ou patron de grande banque sont des fonctions parfaitement interchangeables.
Cette collusion complète entre l’État et les banques pourrait presque être amusante s’il ne s’agissait pas d’une telle masse de pognon et d’une telle quantité de déposants qui risquent, dans les prochains mois, de se retrouver tous nus. Pour le moment en effet, on n’entend que de vagues rumeurs sur les difficultés de l’État français à boucler ses fins de mois. Les récentes passes d’armes avec les Suisses (évoquées dans un précédent billet) illustrent assez bien les tensions qui sont à l’œuvre du côté de Bercy. Mais il faudrait être naïf pour croire que ce n’est qu’une petite mauvaise passe pour les finances de l’État.
En réalité, tant les tentatives de rattacher les frontaliers à la fiscalité française que les augmentations tous azimuts de taxes diverses, que les rumeurs de fiscalité à l’américaine (i.e. même les contribuables expatriés devront payer leur écot à la Mère Patrie), tendent à prouver que le Léviathan se sent un peu mal aux entournures.
Et il y a de quoi s’inquiéter encore lorsqu’on regarde les intérêts des emprunts d’Etat à court terme : comme le note Pierre Parrillo dans un récent article de son blog, si les taux d’emprunts des bons du trésor français sur le long terme ne varient guère (on tourne toujours autour de 2.5 à 3% l’an sur les OAT à 10 ans) les intérêts des emprunts à très court terme (quelques mois), eux, montrent de jolis signes d’embellie.
Ils continuent à grimper joyeusement : dans le détail, la dernière opération menée par l’Agence France Trésor (qui s’occupe de l’absence de trésor français) a permis d’emprunter 3,496 milliards d’euros à échéance 3 mois (13 semaines) à un taux de 0,120% contre 0,088% lors de la dernière opération comparable le 2 décembre (ce qui fait une hausse de plus d’un tiers du taux demandé) et 1,496 milliard d’euros à échéance 6 mois (22 semaines) à un taux de 0,158% contre 0,112% (soit là encore une hausse des taux de plus d’un tiers) et 1,497 milliard d’euros à échéance un an (48 semaines) à un taux de 0,191% contre 0,137% (et plus d’un tiers de hausse là encore).
Les montants sont à comparer sur le mois précédent, ou même sur le mois de juillet, mais ne laissent aucun doute : les taux montent, de façon soutenue.
Pour résumer, nous avons donc d’un côté un système bancaire qui est parvenu à coincer définitivement des millions de petits déposants dans l’enviable position de recours de la dernière chance en cas de pépin. De l’autre, nous avons un secteur public exsangue qui continue de faire des acrobaties financières de plus en plus risquées, qui montre des signes évidents de fatigue, et qui multiplie les dispositions pour que les petits moutontribuables se retrouvent en bout de ligne avec la facture et ne puissent y échapper. Franchement, heureusement que c’est un gouvernement socialiste qui n’osera jamais faire payer aux pauvresriches les incuries des très riches !
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