La situation des pays ayant bénéficié de soutiens financiers conditionnels à divers titres n’étant pas spécialement exemplaire et réjouissante, les dirigeants européens ne vont pas s’appesantir à ce propos et passer directement au chapitre suivant. En ces temps de préparation des élections européennes et afin de dégager leur vision de l’Europe (soulignant que leur regard porte loin), ils travaillent à un nouvel accord portant sur des « engagements contractuels », présentés comme la réalisation d’une nouvelle étape de son intégration. Le gouvernement de coalition allemand constitué, le prochain Conseil européen de ce week-end en sera la rampe de lancement, bouclant un raisonnement qui était en suspens : si l’insuffisance de cette intégration a été la cause de tous nos malheurs, la renforcer est la solution toute trouvée. Mais pas n’importe comment… Le levier choisi repose sur un super plan de sauvetage de la zone euro, dont les modalités seront négociées pays par pays. Rien ou presque ne leur échappant, ces contrats bilatéraux avec la Commission couvriront pratiquement tout le champ de la politique économique, depuis l’organisation du marché du travail jusqu’aux performances du secteur public, de la recherche et l’innovation ainsi que de l’éducation… Sans qu’il soit question de créer un gouvernement économique européen, comme le gouvernement français l’a longtemps proposé. A l’instigation de celui-ci et des gouvernements du sud de l’Europe, les débats préparatoires portent sur les contreparties financières que de tels contrats pourraient comporter, présentés comme des « mécanismes de solidarité » pour donner au dispositif une connotation positive. De nombreuses options sont explorées – prêts, subventions, garanties – mais selon les rumeurs véhiculées par la presse, le flou serait loin d’être dissipé. On retombe toujours sur les mêmes obstacles, dès qu’il s’agit de financement. Cette nouvelle construction sera-t-elle aussi performante que l’ersatz d’union bancaire qui très péniblement se profile ? Mario Draghi, le président de la BCE, a dit tout le mal qu’il pensait de cette dernière devant le Parlement européen, convaincu qu’il ne va plus rester à l’Institut de Francfort que de continuer de tenir à bout de bras le système bancaire. Une étude de l’Autorité bancaire européenne (EBA) portant sur 64 banques vient de montrer que si celles-ci ont renforcé leurs fonds propres dans la dernière période, elles se sont en priorité chargées à cet effet d’obligations souveraines de leur pays. Ce qui accentue leur fragilité, les rendant vulnérables à une hausse des taux et la baisse de la valeur des titres en résultant, tandis que le gouvernement espagnol accélère ses émissions obligataires pour profiter d’une fenêtre de tir qui risque de se refermer. C’est en ayant cette perspective en tête que Mario Draghi a ouvert une autre fenêtre devant le même comité des affaires économiques et monétaires du Parlement européen. A propos de la sortie du Portugal de son plan de sauvetage en juin prochain – un retour sur le marché n’étant pas tenable étant donné les taux longs pratiqués – il a évoqué la possibilité d’un dispositif d’accompagnement. Celui-ci pourrait ne pas se limiter à l’obtention d’une ligne de crédit de précaution, mais être également l’occasion d’enclencher le programme OMT d’achats de titres de la dette sur le second marché. La BCE prendrait ainsi le relais des banques portugaises qui croulent sous celle-ci. Tout se tient. Un autre sujet d’inquiétude n’a pas encore donné lieu à commentaire : le remboursement anticipé de prêts du programme LTRO de la BCE par les banques qui en ont les moyens se poursuivent, dans le but de présenter un bilan plus avenant lors de l’examen de passage qui se prépare. Mais cela n’est pas sans conséquences sur le marché interbancaire, où le taux EONIA monte en raison du rétrécissement des liquidités qui en résulte. Un phénomène qui n’est pas non plus sans rapport avec la crainte que la Fed ne finisse par diminuer ses achats de titres – avec le même effet – ne serait-ce qu’à titre symbolique dans un premier temps. Cette hausse de l’EONIA ne fait pas l’affaire des banques qui se refinancent sur le marché et pourrait être une justification supplémentaire au lancement d’un nouveau programme LTRO dont les modalités sont toujours à l’étude. Tout se tient toujours. Comme ils viennent d’y être incités par Jens Weidmann, le président de la Bundesbank, les chefs d’État et de gouvernement vont prendre leur part en adoptant le principe d’ « engagements contractuels », dont le mécanisme effectif est l’enjeu du prochain Conseil, au-delà des effets d’affichage. Mais, en réalité, l’essentiel va continuer à dépendre de la BCE : la pause actuelle repose sur le fait que celle-ci va continuer à contenir les taux obligataires et à financer les banques qui n’ont pas accès au marché. Et plus le moment s’en approche, moins elle dispose de marge de manœuvre pour réaliser l’examen des bilans bancaires. Tout est lié. La prochaine échéance électorale européenne va voir s’opposer ceux qui n’ont pour viatique que l’Europe dont les contours se dessinent de plus en plus clairement à ceux pour qui elle est désormais associée à la rigueur budgétaire et salariale, à la précarité instaurée en principe et à la diminution de la couverture sociale publique : c’est la même ! Des analystes financiers s’interrogent parallèlement sur un autre terrain : certains continuent de craindre la japonisation rampante de l’Europe, d’autres ont des réminiscences latino-américaines et se rappellent les Brady bonds des années 80 : les créanciers de nombreux pays de la région s’étaient vu proposer des emprunts à 30 ans garantis par les États-Unis, à condition d’abandonner 50% de leurs créances. Mais tailler ainsi dans le vif est-il aujourd’hui dans les moyens des banques européennes et demain de l’Eurosystème dont les garants sont les États ? Devant de telles contraintes, l’opportunité d’une autre construction européenne va-t-elle parvenir à se frayer un chemin ou son rejet sous toutes ses facettes va-t-il dominer tout en restant minoritaire ? |