Newsnight se penchait la semaine dernière sur une
série de mensonges, sur l’or de guerre, et sur l’un des plus gros centres de
raffinerie du monde.
Amjad Rihan,
ancien partenaire d’Ernst and Young à Dubaï, a dénoncé la couverture d’activités
illégales par l’une des plus grosses raffineries de Dubaï.
Kolati est le plus gros centre de raffinerie
du Moyen-Orient, et devrait devenir l’un des plus importants au monde à l’issue
de l’expansion de sa nouvelle usine l’année prochaine. A l’heure actuelle, la
société raffine 45% de l’or traité aux Emirats. Sa capacité devrait bientôt passer
de 450 à 1.400 tonnes et rivaliser avec le géant Valcambi.
Un audit mené par E&Y a
déterminé que la société de raffinerie a été impliquée dans des activités de
blanchiment d’argent et que de l’or de guerre provenant de la République du
Congo et d’autres zones de conflit a intégré la chaine d’approvisionnement de
la société en 2012.
Mr. Rihan
rapporte que la raffinerie :
- A manqué de reporter des
transactions suspicieuses d’une somme totale de plus de 5,2 milliards de
dollars en 2012,
- A accepté en toute
connaissance de cause près de quatre tonnes d’or dissimulées sous une couche
d’argent en provenance du Maroc de la part de fournisseurs qui lui ont
présenté des documents falsifiés,
- N’a pas vérifié l’historique
de plusieurs tonnes d’or à haut risque en provenance du Soudan.
Qu’est-ce que l’or de guerre ?
Le Conseil mondial de l’or a
annoncé que les caractéristiques de l’or telles que sa valeur et sa
portabilité font du secteur minier une proie des groupes armés impliqués dans
des conflits civils. Ces groupes ont recours à de l’or extrait illégalement
pour financer leurs opérations, qui incluent des activités terroristes.
Selon le Conseil, l’or de
guerre « représente probablement moins d’1% du métal extrait chaque
année ». Il n’en est pas moins que le Conseil et d’autres organisations internationales
et gouvernementales ont cherché à appliquer des standards et des lois visant
à ralentir la demande en or de guerre.
En 2009, le Conseil mondial de
l’or a mis en place un « étalon or sans conflit ». Il est applicable
internationalement et affecte les « zones considérées à risques ou
affectées par un conflit ».
Vient s’y ajouter le « supplément
sur l’or » mis en place en 2012 par l’OCDE, qui se concentre sur la tracabilité des minéraux, notamment en provenance de la
République du Congo et des pays voisins.
En 2010 aux Etats-Unis, la loi
Dodd-Frank (section 4) a identifié l’or (ainsi que
le tungstène, l’étain et le tantale) comme étant un « minéral de guerre ».
La loi demande aux sociétés cotées en bourse aux Etats-Unis de pouvoir
justifier de la provenance de leur métal.
Cette question de
justification de provenance (comme l’a souligné Global Witness)
est au cœur du débat autour de la capacité des sociétés à éviter l’or de
guerre.
La République démocratique du Congo
Selon l'étalon or sans conflit
établi par le Conseil mondial de l’or, la majorité des 22 tonnes d’or
produites par la République démocratique du Congo en 2011 n’aurait pas
rejoint la chaine d’approvisionnement officielle.
Les mines du pays ne sont pas
gérées par les milices elles-mêmes, mais (à l’exception de la mine Twangiza) par de petits propriétaires artisanaux. En
revanche, la nature de leur structure directionnelle en fait des proies
idéales pour les groupes armés.
Leurs extorsions prennent la
forme de taxes qui peuvent parfois être imposées par plusieurs groupes armés
à la fois.
La majorité des mines
contrôlées par les milices se trouvent au sud du pays, d’où provient 70% de l’or
exporté par le Burundi.
Selon le groupe « Raise Hope for Congo », l’or de guerre serait
principalement extrait à partir de 15 mines principales. Dans la chaine d’approvisionnement,
il y a cinq étapes distinctes qui servent à transformer l’or en barres ou en
bijoux.
- Les
mines d'or du Congo contrôlées par les groupes armés sont exploitées par
des travailleurs dans des conditions difficiles et dangereuses. 40% d’entre
eux seraient des enfants.
- L’or
extrait est vendu à deux principaux contrebandiers congolais qui transportent
le métal vers l’Uganda, le Burundi et la Tanzanie.
- L’or
est ensuite envoyé depuis ces pays vers Dubaï grâce à de petits réseaux
de trafiquants.
- Il
est plus tard vendu à des boutiques de rachat d'or qui le transforment à
leur tour en bijoux ou le vendent à des raffineries. Le groupe Raise Hope for Congo pense que la moitié de cet or
est affiné par des sociétés telles que Kaloti.
- L’or
affiné est ensuite vendu aux banques sous forme de lingots ou à des
bijoutiers à l’international.
Malgré ces efforts, la campagne Raise Hope for Congo a déclaré que « jusqu’à
présent, aucune bijouterie ou banque n’a été capable de tracer et certifier
son or ».
Dubaï et l’or de guerre
Selon une enquête menée en
2013 par Global Witness, « Dubaï est la
destination privilégiée de l’or congolais blanchi par le Burundi ». Dans
un plus récent rapport, il a été dit que de l’or provenant d’autres zones de
conflit a également entré la chaine d’approvisionnement de Kaloti en 2012.
Global Witness
et les Nations unies ont « exposé à plusieurs reprises les Emirats comme
la destination clé de l’or servant à financer les groupes rebelles de l’est
du Congo ».
Il est important de noter que
les découvertes (qui n’ont pas encore été reportées) d’E&Y font référence
à de l’or en provenance du Soudan. L’or de la province du Darfour est à haut
risque depuis que des milices armées ont commencé à se battre pour le
contrôle des mines de la région.
Selon Global Witness, « les querelles autour de la mine Jebel Amer ont entraîné la mort de plus de 800 personne
et le déplacement forcé de 150.000 autres depuis janvier 2013. Un rapport
stipule que Dubaï serait la destination privilégiée de l’or du Darfour ».
Livraison d’or et autres raffineurs
Depuis le mois de janvier 2012,
le LBMA demande à « tous les centres de raffineries de barres Good Delivery de respecter le LBMA Responsible
Gold Guidance ».
Kaloti, la raffinerie concernée par les
récentes dénonciations, est un membre associé du LBMA. Si l’audit s’était
révélé positif, la société aurait pu en devenir un membre permanent et être
inscrite sur la très prisée London Good Delivery
List.
Selon Global Witness, la raffinerie a demandé à être auditée quant à
son respect de l’étalon or sans conflit établi par le LBMA.
La raffinerie est actuellement
régulée et approuvée par le Dubai Multi Commodities Centre, qui a altéré ses lignes directrices
après avoir eu vent des découverts d’Ernst & Young.
Les raffineries suisses et l’or de guerre
Ce n’est pas la première fois
qu’une raffinerie est accusée d’être impliquée dans la chaine d’approvisionnement
de l’or de guerre et des activités de blanchiment d’argent.
En novembre dernier, le Bureau
des procureurs fédéraux suisses a mené
l'enquête sur Argor-Heraeus, une société alors
accusée de blanchir de l’or de guerre en provenance du nord-est de la
République démocratique du Congo.
Ces accusations ont été
avancées après qu’une ONG du nom de Trial ait annoncé l’affinage par la
société entre 2004 et 2005 de
3 tonnes d’or fourni par un groupe armé congolais de la région de l’Ituri. L’or est arrivé en Suisse par le biais de l’Uganda.