Après ce que le Kremlin considère comme
la destitution d'un président légalement élu par une
foule en colère et ce que les gouvernements occidentaux
considèrent comme une violation de l'intégrité
territoriale de l'Ukraine, un bras de fer s’est engagé autour de
la crise en Crimée. Nombre de voix appellent l’Union
européenne (UE) à imposer des sanctions à la Russie. Elle se sont de jour en jour plus fortes.
Mais imposer des sanctions économiques
substantielles à la Russie pourrait s’avérer impossible,
nuire aux deux parties en présence et ne pas résoudre le
problème initial.
Un leadership européen
fragmenté
Tout d'abord, imposer des sanctions importantes à
la Russie exigerait l'unanimité des vingt-huit membres de
l’Union européenne. Une telle harmonie est peu probable,
étant donné que plus l’on s’éloigne de la
frontière ukrainienne, plus l’enthousiasme pour affronter la
Russie s’affaiblit.
Les dirigeants politiques au Royaume-Uni (dont les
marchés financiers londoniens sont tributaires des investissements
russes), en Allemagne (dont les industries manufacturières dépendent
de clients russes), en Italie, en
Autriche, en Grèce et à Chypre ne sont pas favorables à des
mesures punitives contre la Russie. Ils veulent s’assurer que si
sanctions il y a, elles resteront ciblées et surtout symboliques.
Échanger,
c’est gagner
Deuxièmement, des sanctions commerciales et
financières envers la Russie auraient aussi un impact négatif
pour les européens. La Russie et l'UE ont des liens économiques
étroits : l'UE est le premier partenaire commercial de la Russie
(machines, produits chimiques et produits agricoles) et la Russie est le
troisième partenaire commercial de l’UE (matières
premières, gaz naturel et pétrole).
En outre, un examen attentif de l'histoire des
sanctions économiques montre leur faible succès et souligne
qu’elles sont davantage utilisées pour envoyer un signal
politique au sein du pays qui les déploie et à
l'étranger.
Rappelons-nous également que les
échanges volontaires sont bénéfiques pour toutes les
parties impliquées, sans quoi elles ne s’y livreraient
pas : limiter le commerce ferait donc du mal aux entreprises russes mais
aussi aux entreprises européennes, sans compter évidement
l’ensemble des consommateurs de ces zones qui seraient les principales
victimes de ces sanctions.
Les
investisseurs fuient les situations instables
Troisièmement, les marchés financiers
mondiaux ont déjà intégré ce que les dirigeants
européens se contorsionnent à éviter. Les deux principaux
marchés boursiers de Moscou (RTS et Micex)
ont chuté depuis la montée des tensions, affaiblissant
l'économie russe et sapant le rouble à tel point que la banque
centrale russe a relevé ses taux directeurs la semaine dernière.
Ces mouvements de transactions en actions,
obligations et devises ne sont pas le résultat d'un complot occidental.
Il s’agit de la réaction naturelle d'un grand nombre
d'investisseurs fuyant une situation instable. C’est également
un rappel des défis que le libre-échange présente au
pouvoir dans une économie fortement contrôlée par
l’État.
L’unité
de l’Ukraine est dans l’intérêt de tous
La plus grande des priorités est de faire en
sorte qu’une guerre n’éclate pas. Un tel conflit serait
une catastrophe humaine, économique, politique et culturelle pour
l'Ukraine, la Russie, l'UE et l'OTAN. Elle ne bénéficierait
qu’à la Chine, dont le gouvernement est vu comme un concurrent
de ceux de la Russie et des États-Unis dans les yeux de nos dirigeants
politiques.
La deuxième priorité est de garder
l'Ukraine unie et, à la vue du contexte économique, il apparait
rapidement qu’une Ukraine soudée est dans l’intérêt
de l’Europe mais aussi de la Russie.
En effet, une Ukraine unie va inévitablement devoir
demander un ou plusieurs plans de sauvetage financiers dans les années
à venir. Dans la mesure où l’aide de l'UE et des
institutions financières internationales arrivent en
général trop tard et sont trop faibles, Kiev n'aura
probablement pas d'autre choix que de demander à Moscou une ligne de
crédit. De fait, la Russie gagnera ainsi le contrôle
qu’elle cherche à avoir.
Comparez cette situation avec la perspective pour la
Russie de s'aliéner un continent entier parce qu’elle a formellement
annexé un morceau de terre – la Crimée – et on
comprend que le premier scénario est le meilleur pour toutes les
parties.
Enfin, afin de préserver l'unité de
l'Ukraine et sauver ses institutions économiques, nombre de
réformes sont nécessaires. L'introduction d'une nouvelle
constitution confédérale se débarrassant de la
bureaucratie hyper centralisée, corrompue et inefficace de
l’État, donnant l’essentiel des pouvoirs aux
autorités locales et laissant beaucoup plus d’espace à
des solutions émanant de la société civile semble
être un bon point de départ.
La
leçon de la crise
En dernier lieu, une leçon importante doit
être tirée de cette crise.
Ce qui a sauvé l'Ukraine jusqu'à encore
récemment, c’est que l'Europe et la Russie se sont généralement
abstenues de forcer les gouvernements ukrainiens à faire un choix
entre une intégration économique ou politique avec l’espace
soit russe, soit européen.
Au cours de l’année 2013, la Russie et
l'UE ont précisément tenté de forcer l'Ukraine à
faire ce choix économique et le résultat tout à fait
prévisible a été le déchirement du pays.
La leçon est donc la suivante : les
puissances étrangères doivent apprendre à s'occuper de
leurs propres affaires et à éviter de se mêler des choix
de pays tiers tels que l'Ukraine.
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