| La Commission vend à l’opinion publique le traité transatlantique de libre-échange en cours de discussion avec les autorités américaines comme devant apporter à terme un demi-point de croissance annuel à l’Europe, allant jusqu’à chiffrer à 545 euros par an et par ménage ses gains potentiels (laissant faussement entendre qu’il s’agira de revenus supplémentaires). La résorption du chômage ne figure toutefois pas explicitement au rang des promesses, par prudence sans doute et parce qu’il serait facile de rétorquer que celles qui avaient été faites dans ce domaine en conclusion de l’accord de libre-échange nord-américain de 1994 (Alena) ne se sont jamais concrétisées… Mais si les raisons qui sont données sont de pacotille, quels sont les véritables buts poursuivis ? Deux grandes questions sont au centre de cette négociation entre Américains et Européens, dont les échanges pèsent un tiers du commerce mondial et qui représentent la moitié du PIB de la planète : l’abaissement des barrières « non-tarifaires » grâce à l’adoption de réglementations et de normes communes dans les domaines les plus variés – sanitaires, environnementales, techniques, juridiques, comptables et financières – ainsi que la généralisation de la justice arbitrale. Les Européens, dont les normes sont en règle générale plus sévères, ont le plus à perdre dans le premier cas, en raison des compromis qui devront être passés sous couvert de synergies ; et les entreprises chinoises, qui sont visées par ricochet, seront poussées à les adopter : les normes américaines se trouvent donc au centre du jeu. Dans le second cas, il pourrait être entériné que les entreprises transnationales – les moteurs du traité – disposeront d’une justice privée diligentée par des cabinets d’avocats d’affaire spécialisés. Sa vocation sera d’intimider les législateurs quand ils adoptent une nouvelle réglementation, et de renforcer la protection des investisseurs afin que leur intérêt prime en toute circonstance, quitte à obtenir des dédommagements publics dans le cadre de procédure dites amiables mais reposant en réalité sur l’exercice de rapports de force favorables. Les grands vainqueurs potentiels du traité, dont la négociation s’est symboliquement engagée dans la confidentialité, seront à l’arrivée ces entreprises transnationales. Si le processus engagé va à son terme, il contribuera à un amoindrissement accru du pouvoir des États, déjà très rogné par le marché, c’est-à-dire les grands investisseurs financiers. Que leur activité soit financière ou autre, les grandes entreprises de stature mondiale ont des intérêts communs à défendre, comme en témoigne l’interpénétration de leurs participations dans un nombre réduit d’entités. L’oligarchie n’est plus uniquement un concept suspect de manipulations complotistes mais également une réalité, au sein de laquelle les représentants des États jouent leur partition et font carrière. Dans cette affaire, les gouvernements européens tentent également de trouver un supplément de croissance, aussi réduit soit-il comme le démontrent leurs projections. De la même manière qu’ils ont confié leur sort au système bancaire – sans être payés de retour, doivent-ils constater – ils cherchent à reproduire le même schéma avec les entreprises transnationales. C’est à elles que la normalisation réglementaire et la justice sur mesure du traité transatlantique sont en effet destinées. Non sans dégât collatéral, le système oligarchique de pouvoir ayant comme vocation de se reproduire en s’approfondissant, telle une antithèse de la démocratie, là où au contraire l’élargissement dans tous les domaines de l’activité économique et sociale de celle-ci s’imposerait. | |