1. L'origine de la monnaie ... privée.
Ce qu'on dénomme "monnaie" aujourd'hui a été une découverte
marquante de l'intelligence humaine mise en place il y a bien longtemps (cf.
ce texte
Carl Menger de 1892 en anglais).
Elle a permis de diminuer le "coût de l'échange" des marchandises
des uns et des autres de nos ancêtres (dont ne parlait pas Menger).
On aura tendance à dire, à l'occasion, que, parmi ses conséquences, elle a
contribué à faire apparaître, en particulier, des marchandises nouvelles,
jusque-là inéchangeables, invendables - pour reprendre l'expression de
Menger).
Mais cela est erroné.
La marchandise "monnaie" n'a créé qu'apparemment des
marchandises "non monnaie" nouvelles.
La réalité est que c'est la diminution du "coût de l'échange"
des marchandises donné par les gens qui les a permises, non pas la
monnaie.
Sans "coût de l'échange" ou avec "coût de l'échange" jugé
trop élevé, pas de monnaie.
2. La notion de "coût d'échange".
La notion de "coût de l'échange" des marchandises fait partie
de ces notions qui sont peu évoquées par les économistes officiels qui lui
préfèrent des expressions rhétoriques "au mauvais sens du mot",
vieilles elles aussi comme le monde, mais qui ne veulent rien dire,
comme, par exemple, "facilité", "fonctions de la
monnaie" ou même "pouvoir d'achat de la monnaie" - cf. Vilfredo
Pareto à la fin du XIXè siècle sur ce point -, mais qui arrangent bien
... les pouvoirs publics.
Il faut savoir qu'hormis les plaisantins d'aujourd'hui, personne n'a jamais
donné aux pouvoirs publics le rôle d'avoir créé la monnaie.
Ludwig von Mises s'était chargé de montrer l'écart
qui pouvait exister entre ceux qui laissaient à l'homme libre le rôle de
cette découverte et ceux qui le situaient chez les pouvoirs publics (cf. le texte).
3. Les premières réglementations.
Mais, face à cela, vraisemblablement quelques "périodes" plus tard
après sa découverte, les pouvoirs publics ont agi et réglementé la
marchandise "monnaie" de diverses façons, en particulier, à les en
croire, "pour empêcher la contrefaçon" qu'ils imaginaient, à
quoi celle-ci donnait lieu.
Et une certaine tradition a voulu ainsi que les pouvoirs publics créent la
monnaie.
Rétrospectivement, on peut dire qu'est surtout né depuis lors un grand
conflit entre les pouvoirs publics et ... le pouvoir d'achat de la
monnaie.
Pouvoirs publics et pouvoir d'achat de la monnaie font deux.
On n'est jamais sorti du conflit.
4. L'innovation autour du XVIIIè siècle.
Face à cela, les "non pouvoirs publics", c'est-à-dire nos ancêtres,
des entrepreneurs, très précisément des banquiers, sont parvenus à contourner
les méfaits des pièces de monnaie réglementés par les pouvoirs publics.
Ils ont inventé, vers les XVIIè-XVIIIè
siècles, ce qu'on a dénommé par la suite des "substituts de monnaie
bancaires".
Ces substituts étaient composés de "billets en papier" et de
"comptes de dépôts de monnaie" des gens chez le banquier.
Ainsi sont nées des banques d'émission de "substituts de monnaie"
qui, en particulier, établissaient un taux de conversion entre la
quantité des "substituts de monnaie bancaires" et la quantité de
monnaie, convenu entre le banquier et son client, et dont ce dernier pouvait
bénéficier à chaque instant.
5. Nouvelles réglementations.
Face à cela, les pouvoirs publics ont encore réagi et ont réglementé les
"substituts de monnaie bancaires".
Quel que soit leur pays, ils ont créé une banque dite "centrale"
qui aura la tutelle sur toutes les autres banques existantes, dites
"banque de second rang", de leur juridiction.
La première a vu le jour à la fin du XVIIè siècle,
c'était en Suède la "Riskbank" en 1668.
La banque centrale des Etats-Unis d'Amérique n'a été créée qu'en 1913, il y a
donc un siècle...
Naquit par la suite le grand débat parmi des économistes du XIXè siècle entre la "currency
school" et la "banking
school" - mal traduit en français par
"école de la circulation" et "école de la banque" -.
6. Une première grande réglementation internationale au début du XXè siècle.
Au début du XXè siècle, des pouvoirs publics
nationaux sont parvenus à s'entendre les uns avec les autres.
Au lendemain de la guerre de 1914-18, ils sont convenus que les
"substituts de monnaie bancaires" nationaux réglementés par leurs
soins pourraient être conservés hors de leurs frontières par les gens qui le
désiraient, à certaines conditions (conférence de Gènes,
1922).
7. La grande réglementation nationale, généralisée, à partir de
la décennie 1930.
Mais, dix années plus tard, tout bascula.
A l'initiative de ceux de l'Angleterre et des Etats-Unis, les
pouvoirs publics nationaux ont commencé à interdire la convertibilité des
"substituts de monnaie bancaires" en monnaie or possédés par les
"non pouvoirs publics".
En 1971-73, la décision précédente d'interdiction de convertibilité fut
généralisée à tous, pouvoirs publics nationaux et non pouvoirs publics,
malgré la création du Fonds monétaire international entre temps (cf. ce texte de juillet 2011).
8. La seconde grande règlementation internationale, mais limitée, du XXè siècle.
Près de trente ans plus tard, des pouvoirs publics des pays de ce qu'on
dénommait désormais "union européenne" décidèrent de mettre fin à
leurs "substituts de monnaie bancaires" nationaux réglementés.
Ils les fusionnèrent dans des "substituts d'euro bancaires" sur
quoi veillerait un organisme créé pour l'occasion et indépendant de leurs
décisions, à savoir la "banque centrale européenne" (cf. ce texte de janvier 2012).
Depuis lors, les dirigeants de la "banque centrale européenne" -
dont la désignation est assez mystérieuse - n'arrêtent pas de créer des
agences (cf. ce texte
de mai 2014) devant les aider à mener à bien leur mission, à savoir celle
que les prix en euro des marchandises ne dépassent pas, au maximum, 2%.
9. La monnaie n'existe plus aujourd'hui.
Bref, aujourd'hui, ce qu'on dénommait encore "monnaie" au début du XXè siècle n'existe plus.
C'est un abus de langage d'employer ce mot pour désigner tel ou tel
phénomènes économiques, a fortiori de l'employer en économie
politique.
Il n'existe que des "substituts de monnaie bancaires" nationaux
réglementés par les pouvoirs publics qu'on peut tout autant dénommer
"substituts de rien bancaires" ou "néant habillé en
monnaie" (selon l'expression de Jacques Rueff, cf. ce texte de janvier 2014) à la merci des
pouvoirs publics...
10. Nouvelle grande innovation, malgré tout.
Face à cette situation économique chaotique et non maitrisée par les pouvoirs
publics qui l'ont organisée de toutes pièces, aveuglément, au XXè siècle, malgré ce qu'en disaient, selon ces derniers,
de "prétendus Cassandre" (Cassandre représentée ci-contre)
http://mythologica.fr/grec/cassandre.htm
(au nombre de qui il y avait Jacques Rueff, en particulier, dans le
livre intitulé Le
péché monétaire de l'Occident, 1971), ont émergé ce qu'on a dénommé
des "monnaies électroniques" (cf. ce texte de décembre 1999).
La dernière en date de ces "monnaies électroniques" est ce qu'on
dénomme le "bitcoin"
(cf. ce
texte).
11. Monnaie d'hier et monnaie de demain.
La grande question est, aujourd'hui, de situer ces "monnaies
électroniques" par rapport à la marchandise "monnaie" d'hier,
voire aux "substituts de monnaie bancaires" nationaux réglementés
de ses temps ultérieurs, mais à coup sûr pas de ce qu'on dénomme
"monnaie", sans réfléchir.
12. Vers un renouveau de la monnaie privée.
L'épanouissement de la « monnaie électronique » sera-t-il la voie qui fera
retrouver la monnaie privée ?
Voilà une question que s'est posé, fin 2001, en des termes un peu différents,
Laurence H. Meyer, membre du conseil d'administration de la Banque centrale
des Etats-Unis, puisqu'il la formula ainsi :
« La monnaie électronique et la réintroduction de la monnaie privée: est ce que le Fed est obsolète?"
Il lui donna une réponse dans un article intitulé "The
Future of Money and of Monetary Policy", Remarks at the Distinguished
Lecture Program, Swarthmore College,
Swarthmore, Pennsylvania December 5, 2001
J’en retire, pour terminer ce billet, les extraits significatifs
suivants:
“[…] Cela laisse une dernière série de questions intéressantes à explorer.
Les émetteurs de monnaie électronique pourraient-ils introduire avec succès
de nouveaux étalons monétaires indépendants du dollar, soit en concurrence
avec la Réserve fédérale comme banques centrales, soit fonctionner sans
banque centrale?
Ou bien, que se passerait-il si la Réserve fédérale
était privatisée, si son rôle était pris par un émetteur de monnaie
électronique en réussite?
Après tout, les États-Unis n'ont pas toujours eu une banque centrale.
Avant 1914, les entreprises privées géraient de nombreuses activités
désormais aux mains de la Réserve fédérale.
Ainsi, on peut au moins imaginer un monde dans quoi la banque centrale, dans
la mesure où il y a une telle chose, est dans des mains privées.
Le résultat, dans ces cas très spéculatifs, serait clairement que les
facteurs qui influent sur la politique monétaire et la détermination du
niveau de prix seraient bien changés.
Considérons tout d'abord la possibilité que la monnaie électronique produite
privativement remplace la base monétaire de la Réserve fédérale, et permette
la création de plusieurs banques centrales privées concurrentes, chacune avec
sa propre monnaie (disons dollars rouges, dollars bleus, et dollars jaune).
Bien sûr, les lois sur le cours légal liées à la monnaie émise par le
gouvernement rendent un tel développement très improbable.
Reste que, si une banque privée était en quelque sorte en mesure d'établir sa
monnaie comme monnaie fiduciaire (c'est-à-dire sans la rendre convertible en
dollars de la Fed ou dans un autre actif), alors sa politique monétaire
permettrait au fil du temps de déterminer la valeur de sa monnaie, les taux
d'intérêt de sa monnaie et son taux d'inflation.
Si les banques concurrentes fournissaient leurs propres monnaies, il y aurait
des niveaux de prix multiples, fonction de la monnaie, et un certain nombre
de taux de change croisés.
Mais un tel résultat serait extrêmement inefficace et est donc difficile à
imaginer comme résultat final.
En vérité, la zone euro va dans l'autre sens pour éviter les coûts de
traitement des monnaies multiples.
Bien que la technologie réduise les coûts de gestion des monnaies multiples
et des prix, nous ne sommes pas au point où les coûts de ces mesures sont
négligeables.
Ou bien, les émetteurs de monnaie privés pourraient adopter un étalon de
marchandise, de sorte que l'on pourrait effectuer des échanges avec de la
monnaie assise sur l'or ou sur d’autres marchandises, par exemple.
Dans ce cas, le niveau des prix de chaque monnaie refléterait le prix relatif
de la marchandise choisie par l'émetteur respectif.
Certains, comme Lawrence White (1992), soutiennent que l'entrée libre dans
les affaires des moyens d'échange liés à un étalon de marchandise peut
conduire à de bons résultats, même sans une banque centrale, comme il
l'affirme, ce fut le cas en Écosse au XVIIIe siècle et dans la première
moitié du XIXe siècle.
Mais ce résultat peut avoir tenu à des facteurs spéciaux (y compris la
responsabilité illimitée des actionnaires des banques).
Dans le contexte actuel, il est probable que certains émetteurs de monnaie
privée, de temps en temps, ne parviendraient pas à se faire rembourser la
monnaie dans la marchandise sous-jacente.
En outre, il n'est pas clair que les émetteurs privés auraient les
incitations appropriées pour maintenir le capital et agir en tant que prêteur
en dernier ressort en cas de crise.
En vérité, comme je l'ai mentionné plus tôt, les banques centrales, au moins
dans les économies développés, émettent de la
monnaie et fournissent des services de compensation, au moins en partie,
parce que leurs services offrent des fonctionnalités, telles que la liberté
du défaut de risque et la finalité du règlement, que les prestataires privés
ne peuvent pas égaler.
Qu'en est-il d’une institution privée prenant le rôle (de monopole) de la Fed
(avec la disparition de la Fed)?
Ou, de façon équivalente, la privatisation de la Fed?
Dans ce cas, le niveau général des prix serait le résultat de la politique
monétaire choisie par l'entreprise jouant le jeu de la banque centrale
privée.
Il n'est pas évident que la banque centrale de monopole privé a les
incitations à produire une bonne politique monétaire.
En vérité, compte tenu des externalités en cause, il semble plausible que la
banque centrale en monopole qui a émis la monnaie fiduciaire ne réponde pas
de manière optimale aux crises (elle demanderait trop pour les liquidités) ou
à des variations cycliques (elle maximiserait la valeur actualisée de son
revenu de seigneuriage plutôt que de limiter certaines somme pondérée de
l'inflation escomptée et des pertes de production).
Si la banque centrale privée devait adopter un étalon marchandise, alors ses
actions seraient limitées et pourraient conduire à la stabilité des prix à
plus long terme, sous réserve de toutes les limitations de l'étalon-or vu
plus haut.
Mais les incitations de la banque centrale en termes de service en tant que
prêteur en dernier ressort et d’avoir de capital et de réserves seraient
probablement toujours fausses à cause des macro
externalités qu'elle ne prendrait pas en compte.
En fin de compte, il est essentiel, à mon avis, d'exiger que la banque
centrale agisse dans l'intérêt national et non pas comme une entreprise de
maximisation du profit et que le gouvernement la sauvegarde dans une crise afin
de s'assurer qu'elle ait la capacité de prendre toutes les mesures
nécessaires sans être contraint par ses propres ressources financières.
8. Conclusion
Il est clair que l'évolution de la monnaie est un processus dynamique et
continu, entraîné par l'incitation à améliorer l'efficacité des échanges.
Même aujourd'hui, après un long processus historique d'évolution, on se
retrouve avec un système de paiements qui est très coûteux à exploiter,
exigeant des tonnes de chèques papier pour faire le tour du pays et retrouver
la personne ou la firme qui a fait le chèque la première.
Il semble inévitable que davantage d'évolution se poursuive.
La diffusion de l'informatique, les progrès dans les télécommunications, et
la croissance spectaculaire de l'utilisation d’Internet ouvrent des
innovations à la monnaie électronique.
Ceux-ci remodèleront finalement le système de paiements et, tout au long, les
défis actuels de la Réserve fédérale et la politique monétaire.
Etant donné la lenteur des progrès et la forte probabilité que les cartes à
valeur stockée remplaceront seulement une partie de la monnaie, il y a peu de
risque que le portefeuille de la Fed diminue au moment où la Fed ne sera pas
en mesure de couvrir ses coûts de fonctionnement .
La propagation de la monnaie de réseau, d'autre part, ne réduira pas la
demande de réserves, si la monnaie de réseau est soumise à des exigences de
réserve.
En l'absence de réserves obligatoires contre la monnaie de réseau, il est
toujours vraisemblable que les soldes des banques centrales dominent les
soldes de règlement dans les banques privées, compte tenu de l'absence de
risque de défaut des premières.
Dans ce cas, un système avec planchers et plafonds semble bien conçu pour
permettre à la Fed de continuer à mettre en œuvre la politique monétaire en
contrôlant le taux des fonds fédéraux ".