Les récents accords
commerciaux passés entre la Russie et la Chine ont déclenché des signaux
d’alarme en Occident, où les législateurs et les professionnels du pétrole et
du gaz observent avec la plus grande attention le déplacement des marchés de
l’énergie vers l’Orient.
Les raisons derrière le
rapprochement des deux grandes puissances sont évidemment liées à la crise en
Ukraine et aux sanctions imposées à la Russie par l’Occident, ainsi qu’au
besoin de la Chine d’assurer ses réserves d’énergie sur le long terme. En
revanche, l’une des conséquences de ce rapprochement économique de la Russie
et de la Chine pourrait aussi être le début de la fin de l’hégémonie du
dollar, ce qui pourrait avoir un impact profond sur les marchés de l’énergie.
Le règne du
dollar
Avant le XXe siècle, la valeur
de la monnaie était liée à l’or. Les banques qui prêtaient de l’argent
étaient limitées par les réserves d’or à leur disposition. Les accords de
Bretton Woods de 1944 ont établi un système de taux de change qui permettait
aux gouvernements de vendre leur or au Trésor des Etats-Unis. Mais en 1971,
le président américain Richard Nixon a pris la décision d’abandonner l’étalon
or et de briser le dernier lien entre l’or et les devises du monde.
Le dollar a ensuite traversé
une dévaluation importante, et c’est le pétrole qui lui a permis de grimper à
nouveau. Nixon a négocié des accords avec l’Arabie Saoudite selon lesquels,
en échange d’armements et de la protection des Etats-Unis, les Saoudiens
effectueraient toutes leurs ventes futures de pétrole en dollars. Les autres
membres de l’OPEP ont signé des accords similaires, et assuré ainsi une
demande perpétuelle en billets verts. La domination du pétrodollar se
poursuit encore aujourd’hui.
La Russie et
la Chine se rapprochent
Les plus récentes informations
qui ont émané de la Russie suggèrent en revanche que la domination du dollar
puisse toucher à sa fin, en raison de la compétition des Etats-Unis avec la
deuxième économie du monde et plus gros consommateur mondial de ressources,
la Chine.
La Chine et la Russie ont
signé des accords énergétiques qui laissent supposer leurs intérêts
énergétiques mutuels. Le plus évident est l’accord sur le gaz de 456
milliards de dollars signé par le géant russe Gazprom avec la Chine en mai
dernier. Mais il ne s’agissait alors que du plus gros maillon d’une chaine
d’accords qui remonte à 2009. Cette année-là, le géant pétrolier russe
Rosneft signait un accord de 25 milliards de dollars avec Pékin. Et l’année
dernière, Rosneft a doublé ses exportations vers la Chine suite à un accord
évalué à 270 milliards de dollars.
Suite aux sanctions imposées à
la Russie par l’Occident qui ont eu pour effet déclencheur l’annexe de la
Crimée par la Russie et l’abattage d’un avion commercial, Moscou s’est
intéressé à son ancien rival de la Guerre froide en tant qu’acheteur clé de
pétrole russe – source d’exportation majeure du pays. Liam Halligan,
chroniqueur pour The Telegraph, est d’avis que le « vrai danger »
de ce rapprochement entre la Russie et la Chine n’est pas l’éclatement des
relations entre la Chine et les Etats-Unis, qui menacerait les routes
commerciales de charbon et de GLN vers la Chine, mais son impact sur le
dollar.
« Si la Russie se tourne
vers l’Asie et que Moscou et Pékin commençaient à s’échanger mutuellement de
l’énergie dans une devise autre que le dollar, le mode opératoire de
l’économie globale s’en trouverait changé, et les Etats-Unis et leurs alliés
verraient leur puissance diminuée, écrivait Halligan en
mai dernier. Puisque la Chine est aujourd’hui le plus gros importateur de
pétrole du monde et que la production domestique des Etats-Unis subit des
pressions accrues, les jours du dollar en tant que moyen de paiement pour
l’énergie, et donc de la dominance du dollar, sont comptés ».
Bien que personne ne
sous-entende aujourd’hui que cela puisse se passer très bientôt, dans la
mesure où le dollar est encore la devise de choix des banques, la proposition
d’Halligan commence à gagner du terrain. En juin, la Chine a signé un accord
de 29 milliards de dollars avec le Brésil dans un effort de promouvoir le
yuan chinois en tant que devise de réserve, et un peu plus tôt ce mois-ci,
les banques centrales russe et chinoise signaient un accord de swaps
roubles-yuans. Selon les analystes, cet accord de 150 milliards de dollar,
qui s’inscrit dans une série de 38 accords rédigés à Moscou, est un moyen
pour la Russie de s’éloigner des accords commerciaux en dollars.
« Ces accords ne
signifient pas à eux-seuls la fin du dollar en tant que devise de référence
internationale, a expliqué Jim Rickards, gestionnaire de portefeuille chez
West Shore Group et partenaire de Tangent Capital Partners à la CNBC. Mais lorsqu’observés aux
côtés d’autres évènements comme la frustration ressentie par l’Arabie
Saoudite face aux politiques étrangères des Etats-Unis à l’égard de l’Iran et
l’appétit vorace de la Chine pour l’or, ils représentent un grand pas de plus
dans la direction opposée au dollar ».
La montée en
puissance du yuan
Il n’est un secret pour personne
que Pékin tente depuis un certain temps déjà de promouvoir le yuan en tant
que devise internationale alternative. Ce statut pourrait permettre à la
Chine d’accéder aux marchés de capitaux du monde et de profiter de moindres
frais de transaction dans le cadre des échanges internationaux, et verrait la
puissance économique de la Chine se décupler en parallèle à la part
croissante du yuan dans les échanges internationaux.
Les Chinois ont toutefois un
problème. Le gouvernement n’a pour l’instant pas aboli les contrôles de
capitaux qui permettraient l’établissement d’une convertibilité totale, de
peur de déchainer des flux spéculatifs qui pourraient endommager l’économie
chinoise.
« Il est pourtant clair
que la Chine coule actuellement les fondations de l’internationalisation du
yuan, a déclaré Karl Schamotta, stratégiste chez Western Union Business
Solutions. Selon IBT, plus de 10.000 institutions financières effectuent des
échanges commerciaux en yuans chinois, contre 900 en juin 2011. La quantité
de yuans off-shore, qui était insignifiante il y a encore trois ans, s’élève
aujourd’hui à près de 900 milliards de yuans (143 milliards de dollars). Et
la proportion des exportations et importations chinoises réglées en yuans a
été multipliée par six en trois ans pour passer à près de 12% ».
Théorie de
la conspiration
Pour ajouter de la couleur à
cette affaire, Martin Katusa, analyste spécialiste du secteur de l’énergie
chez Casey Research, expliquait dans une récente chronique que la mort du PDG
de Total, Christophe de Margerie, dont le jet privé est entré en collision
avec un chasse-neige à Moscou, n’a peut-être pas été un accident. Selon
Katusa, les mystérieuses circonstances autour de sa mort et la très faible
probabilité d’entrer en collision avec un chasse-neige sur une piste
d’aéroport pourraient avoir plus en commun avec les intérêts commerciaux de
de Margerie en Russie qu’avec le simple fait de s’être trouvé au mauvais
endroit au mauvais moment.
Selon Katusa, Total prévoyait
de construire une usine de GNL dans la péninsule de Yamal, en partenariat
avec Novatek. La société cherchait également à lever des fonds pour le
développement d’un projet en Russie malgré les sanctions imposées par
l’Occident.
« Total prévoyait de
financer sa part du projet de 27 milliards de dollars en euros, en yuans, en
roubles et en toutes autres devises sauf en dollars, écrit Katusa, avant de
poursuivre : Cette menace directe pour le pétrodollar a-t-elle fait de
cet « ami de la Russie » - comme l’appelait Poutine – l’un des
ennemis des pouvoirs en place, qu’ils soient français, anglais ou
américains ? »
Ce pourrait être tiré par les
cheveux, mais les références de Katusa au dollar montrent qu’aucune décision
qui contribuerait à un éloignement du dollar en tant que devise de référence
internationale ne pourrait passer inaperçu.