Mes chères contrariennes, mes chers contrariens !
Pour le moment, tout se passe comme prévu, ou plus précisément comme il était prévisible que cela se passe.
Imaginez que vous soyez un pays européen endetté jusqu’au cou et sans espoir, malgré tous les efforts que vous pourrez consentir, de parvenir à rembourser ne serait-ce que la moitié de vos dettes. Que faites-vous ?
Dans un premier temps, vous gagnez du temps avec la complicité de vos partenaires et de vos créanciers car finalement, cela arrange bien tout le monde de ne pas avoir à constater de faillite et d’obliger tout le monde à prendre ses pertes.
Gagner du temps !
Pour gagner du temps, il faut évidemment faire croire que l’on va faire quelque chose d’utile. Alors pendant des années, nous avons assisté à la ruine consciencieuse du peuple grec et au transfert hallucinant de l’ensemble des dettes de la Grèce du secteur privé bancaire vers le secteur public et les États européens. Évidemment, ce hold-up à presque 400 milliards d’euros a été habillé sous les atours séduisants de « plan de sauvetage », de « mécanisme européen de stabilité » et autre pieux mensonge. La réalité c’est qu’au bout du compte, nous allons payer. Nous, les peuples d’Europe, les « con-tribuables », et nous paierons soit par l’impôt, soit par la baisse de notre monnaie si nous devions en imprimer beaucoup. Nous paierons bien sûr tout en sachant que les Grecs, eux, paient déjà depuis 7 ans de calvaire et de souffrance.
Seuls les idéologues et les « manipulés » veulent croire que les Grecs sont coupables. Vous sentez-vous coupable de la dette de la France ? Moi non. Mais cela n’empêche pas le système de m’en rendre redevable. Pour paraphraser le célèbre « responsable mais pas coupable » de Fabius lors de l’affaire du sang contaminé, nous pourrions dire de la dette que nous sommes « redevables mais pas coupables ».
Bref, dans cette tragédie grecque évidemment, tout le monde est perdant, tout le monde sauf… les banques, et en particulier les banques allemandes.
La crise économique devient une crise politique
Puis, il arrive un stade de souffrances enduré par les peuples qui amène au point de non-retour, ou plus exactement au point de rupture lié à la « non-peur ». Cela peut se résumer par « nous n’avons plus rien à perdre ».
Il faut toujours attendre ce point-là avant de voir les lignes bouger de façon significative. Peu ou prou tant que la majorité des gens et d’un peuple pensent qu’ils « ont encore à perdre », la stabilité sociale est globalement assurée. Lorsque vous les ruinez, lorsque vous les humiliez et que vous les affamez, la tentation d’actes impossibles auparavant apparaît.
Se rapprocher de la Russie, faire défaut, rester dans l’euro…
Alors mettons-nous à la place du gouvernement grec. Il n’a pas tellement d’options, et la plus élégante et la plus évidente consiste à aller chercher de l’aide auprès de Moscou et de la Chine pour « diversifier » ses partenaires et ses bailleurs de fonds.
Pour la Russie, c’est assez facile. En pleine crise avec l’Europe et les États-Unis, sous embargo, la Russie a besoin de desserrer l’étau des sanctions. Réussir à désunir l’Europe est donc une bien meilleure idée que de se lancer dans une guerre nucléaire apocalyptique. Logiquement, la Russie est donc bienveillante naturellement à l’égard d’Athènes parfaitement en mesure de provoquer une crise grave en Europe et en particulier dans l’eurozone, ou encore de bloquer certains processus de décision au niveau de Bruxelles.
Finalement, tout ça tombe encore mieux car la Russie, en pleine crise ouverte avec l’Ukraine, cherche un nouveau chemin pour approvisionner l’Europe avec ses gazoducs. Pourquoi donc ne pas passer par la Grèce moyennant finances… C’est évidemment l’accord qui a été trouvé ce week-end, lors du sommet économique en Russie et qui permet à l’équipe de Tsipras d’augmenter les enchères pour les nouvelles « négociations de la dernière chance ».
Il ne faut pas oublier que désormais, la Grèce est en excédent primaire. Cela veut dire que si la Grèce ne rembourse pas ses dettes, eh bien figurez-vous qu’elle est en excédent budgétaire et qu’elle dépense tous les jours un peu moins qu’elle ne rentre d’impôts… Eh oui… les vilains Grecs qui ne payent rien payent suffisamment désormais pour que leur État dépense moins qu’il ne gagne. L’inverse de la France, vous l’aurez compris. Cela veut dire que la Grèce n’a pas besoin d’emprunter (en dehors du fait de rembourser ses dettes).
Le fait de faire défaut serait donc certainement beaucoup moins gênant que beaucoup de ne le disent… À partir du moment où la Grèce dit « je ne paye plus », ce n’est plus la Grèce qui a un problème mais ses créanciers, c’est-à-dire nous, en autres les Français, et avec les 68 milliards de dettes moisies grecques que Sarkozy et Hollande se sont précipités à racheter à nos banques pour les débarrasser de cette épée de Damoclès (encore bien un grec celui-là sans doute), c’est bien Bercy qui va devoir constater une perte de 68 milliards… Et pour ne pas constater 68 milliards de pertes (et donc augmenter les impôts d’autant), on sera nettement plus susceptible d’accepter un accord où on efface la moitié de la dette grecque, genre 34 milliards d’euros, mais… sur 10 ans, genre 3,8 milliards de remise de dette chaque année… Comme ça Bercy ne doit trouver « QUE » moins de 4 milliards par an, ce qui n’est pas du tout la même chose que 68 milliards là, maintenant, tout de suite…
Et finalement, s’il y a un accord sur la dette grecque, alors il n’y a plus défaut… et comme il n’y a jamais vraiment eu défaut mais « négociations », alors la Grèce peut rester dans l’euro….
En restant dans l’euro, la Grèce évite de réintroduire sa propre monnaie et de voir cette dernière se dévaluer très fortement. Oui, qui voudrait vendre un produit à la Grèce en étant payé en futurs nouvelles « drachmes » ? Personne. Donc la monnaie grecque s’effondrerait et la crise sociale pourrait empirer. Dans un premier temps, rester dans l’euro permettrait, comme lors de la faillite des banques chypriotes, de sauver une partie de la monnaie des gens (même si ces derniers ont été largement ruinés). Puis, dans un deuxième temps, la Grèce pourrait sortir de l’euro une fois un large accord trouvé avec ses créanciers sur l’allègement de la dette pour rendre cette dernière soutenable et remboursable.
Ce que je viens de vous expliquer, c’est la stratégie que j’appliquerais si j’étais au gouvernement grec, que je n’étais pas corrompue par l’Europe et par les banques… et si évidemment je n’avais pas peur de me faire assassiner…
De purement économique le dossier grec devient géopolitique !
Pour le moment, c’est en tout point la stratégie appliquée par Tsipras. La question est jusqu’où ira-t-il ?
Car au moment où j’écris ces lignes, Tsipras et Varoufakis, qu’il est de bon ton de prendre pour des abrutis et des imbéciles, ont réussi à transformer le dossier grec qui était purement économique en un dossier totalement géopolitique en faisant rentrer la Russie et prochainement la Chine dans l’équation.
La diplomatie grecque n’est pas restée inactive et l’équipe de Tsipras, à défaut d’opter pour une stratégie qui sera forcément gagnante, a pour le moment réussi à réorienter l’avenir de la Grèce.
L’Europe peut-elle aller au clash avec la Grèce ? L’Europe préfère-t-elle prendre ses pertes ? L’un des problèmes est la sortie de la Grèce de la zone euro. En effet, si la Grèce sortait, cela serait la preuve que l’euro n’est pas irréversible et ce serait le début officiel de la monnaie unique. Alors finalement, dans tout cela, je me demande si au-delà des postures, la Grèce comme ses partenaires européens ne partagent pas un point d’accord essentiel à savoir, paradoxalement, la sauvegarde de l’euro.
Et pour les pays européens, sauver l’euro, combien ça vaut ? Si Paris valait bien une messe, l’euro vaut sans doute bien une Grèce…
Il est déjà trop tard, préparez-vous.
Charles SANNAT
(pour m’écrire charles@lecontrarien.com)
« À vouloir étouffer les révolutions pacifiques, on rend inévitables les révolutions violentes » (JFK)