Aux Etats-Unis,
en Europe et au Royaume-Uni, les taux d’intérêt ont été réduits jusqu’à
tomber très proches de zéro suite à l’effondrement de Lehman, il y a près de
sept ans.
Initialement, les
politiques de taux zéro devaient être une mesure temporaire destinée à
combattre la déflation des prix à la suite de la crise. Mais depuis qu’elles
ont été mises en place, les taux d’intérêts sont restés supprimés et
rattachés à zéro. Beaucoup espéraient que le stimulus des taux d’intérêt zéro
puisse garantir une reprise économique. En ce sens, ils sont une politique
échouée, et les faibles rendements d’obligations qui en sont nés n’ont fait
qu’encourager l’expansion rapide de la dette gouvernementale.
Il est clair que les
politiques monétaires des banques centrales sont au cœur du problème. Plutôt
que de stimuler la reprise, elles ont détruit le mécanisme par lequel
l’épargne est transformée en capital pour favoriser la production. Elles ont
donné vie au rêve de Keynes, exprimé dans sa Théorie générale lorsqu’il écrit
« avoir hâte d’être témoin de l’euthanasie des rentiers », dont la
fonction de financement des entrepreneurs devrait pétré remplacée par
l’Etat : les entrepreneurs « sont si amoureux de leur art que leur
travail pourrait être obtenu pour bien moins qu’il ne coûte
aujourd’hui ». [1]
Plutôt que d’accumuler
le fruit de son labeur sous forme de dépôts bancaires disponibles au
financement des entrepreneurs, l’épargnant est découragé, forcé à spéculer
pour générer des gains de capital. En ce sens, les politiques de taux zéro
sont le dernier point de l’idéal de Keynes.
L’erreur serait
d’adhérer à l’idée que les taux d’intérêt sont usuriers et ne bénéficient
qu’aux riches, une idée qui semble avoir été adoptée par Keynes. Ce que
Keynes n’a pas pu percevoir, c’est que les taux d’intérêt sont l’expression
d’une préférence temporelle, une compensation monétaire rendue disponible
aujourd’hui contre des rendements futurs. Si vous tentez de faire disparaître
les taux d’intérêt, alors la fonction vitale de distribution de l’épargne
dans l’intérêt du progrès ne peut que disparaître aussi. Une économie à taux
zéro ne peut que joindre les rangs des morts-vivants.
Von Mises l’a reconnu en
1909 en écrivant que « la chute de la valeur d’une monnaie va main dans
la main avec la hausse des taux d’intérêt, et la hausse de la valeur d’une
monnaie main dans la main avec la baisse des taux d’intérêt. C’est un
phénomène qui dure aussi longtemps que se poursuit la valeur d’échange.
Lorsque celle-ci prend fin, le taux d’intérêt est rétabli au niveau déterminé
par la situation économique ». [2]
En plus de dire que
l’analyse de Mises a été indépendamment confirmée par le paradoxe de Gibson, il pourrait être utile de la reprendre
en des termes plus simples. L’Histoire nous a montré qu’un emprunteur, au
sein d’une économie saine et stable, paierait environ 3% d’intérêts. Si les
prix grimpent, sa marge augmente, et il doit se préparer à payer plus pour
pouvoir générer des profits. Mais si les prix baissent, il ne peut que se
permettre de payer moins, ce qui restreint ses activités futures à celles
qu’il est capable de financier à partir de ses propres ressources. C’est la
demande sur le marché libre qui détermine les taux d’intérêt, et non les
prêteurs usuriers de Keynes.
L’idée est que la suppression
des taux d’intérêt rend l’emprunt profitable, mais ce n’est pas ainsi que la
perçoivent les producteurs. Les bénéfices marginaux de l’emprunt
supplémentaire doivent excéder le coût d’investissement en production pour
être profitables. Une entreprise dont les bilans se portent bien tend à
améliorer ses produits existants en réinvestissant ses propres réserves sans
avoir recours à des fonds externes. Le recours à des fonds externes implique
la production d’un produit matériellement différent, ou une expansion
significative de la capacité de production ; une étape risquée qui
demande des dépenses plus importantes de capital, et qui ne doit avoir lieu
que lorsque les perspectives économiques sont justes.
C’est cet engagement de
capital qui manque aujourd’hui, malgré une période de stimulus monétaire
prolongé. Les banquiers centraux sont conscients de leur échec, qui n’a fait
que pousser les gouvernements vers une trappe toujours plus profonde de la
dette. C’est pourquoi la Banque des règlements internationaux a annoncé
publiquement ses inquiétudes, et la raison pour laquelle la Fed et la Banque
d’Angleterre ont exprimé leur désir de retourner vers une normalité des taux
d’intérêt. Ce sera extrêmement difficile à faire. Mais imaginons que les taux
grimpent. Que se passera-t-il ensuite ?
Une hausse des taux
d’intérêt jusqu’à plus de 1 ou 2% sera accompagnée par une hausse des prix
des marchandises : c’est ce que nous explique le paradoxe de Gibson, et
ce qui se développera alors que l’argent des spéculateurs fuira les actifs
financiers et que seront ouvertes des positions à découvert sur les
marchandises.
Les entreprises verront
se produire deux choses. Bien évidemment, les obligations, les actions et les
biens immobiliers verront leur prix baisser à mesure que les taux grimperont,
et les perspectives des entreprises s’en trouveront réduites. En revanche,
face à la hausse des prix des marchandises et des produits au gros, qui
reflètera la baisse du pouvoir d’achat de la monnaie, les entreprises devront
se préparer à verser plus aux rentiers de Keynes. C’est la base du paradoxe
de Gibson.
Non pas qu’elle soit
largement comprise : les théories macroéconomiques ont échoué, et
personne ne semble savoir pourquoi. Tout le monde veut faire marche arrière,
et tout le monde a peur des conséquences. La normalisation des taux d’intérêt
pourrait générer un effondrement du marché boursier, au risque de déclencher
une avalanche de banqueroutes d’entreprises surendettées et de rendre
intenables les finances gouvernementales. Une hausse des taux risque de
déclencher une seconde crise financière qui fera plonger les devises et
grimper l’inflation. Alors que les théories macroéconomiques peuvent être
critiquées sur la base de leurs conséquences, il ne fait aucun doute que la
menace systémique représentée par la tendance de hausse des taux est bel et
bien réelle.
C’est une situation qui
demande une inaction justifiée par l’espoir. Après tout, avec des taux des
fonds fédéraux de 0,25% et 2,6 trillions de dollars de fonds des banques
commerciales déjà inclus dans les dépôts de la Fed, même une légère hausse
des taux pourrait faire disparaître beaucoup d’argent du système bancaire
américain, et déclencher une contraction du prêt bancaire.
Les banquiers centraux
commencent à réaliser à quoi font face leurs confrères japonais, qui après
vingt-cinq ans de taux zéro ne rencontrent toujours aucun succès. Bienvenue
dans le monde de Keynes, dans le monde de l’euthanasie des épargnants et du
financement sponsorisé par le gouvernement. Bienvenue dans le monde des
zombies des taux zéro.
[1] Keynes: Théorie
générale de l’emploi et de la monnaie, chapitre 24, section 2
[2] Voir Von Mises, Théorie de la monnaie et du crédit