Comme bien souvent en France lorsqu’une polémique politico-sociétale prend de l’ampleur et tourne au vinaigre, tout commence avec un fait divers tragique : à la suite d’un différent obscur au sein d’un groupe de gens du voyage, une fusillade éclate entraînant des blessures graves et la mort de plusieurs personnes dont un enfant et un gendarme. Immédiatement, par la lourde intervention de tout ce que le pays contient de fine fleur politique et journalistique, la fusillade passe du fait divers au fait sociétal. Et là, c’est le second drame.
Il faut avouer une part d’admiration devant l’étonnante capacité qu’ont les médias et les politiciens du pays à transformer un fait divers, même non-dramatique, en question aussi épineuse qu’explosive. On l’avait vu par exemple la semaine dernière avec l’indispendable intervention d’Yves Jégo dans le débat culinaire sur les menus végétariens (ou autres) dans les cantines des établissements scolaires publics. Ici, c’est à peu près la même chose avec le côté dramatique et enkystement purulent portés aux nues par la nature même du sujet et le contexte dans lequel il s’inscrit : entre la communauté concernée, la nature des homicides commis (par arme à feu), l’âge ou la qualité des victimes (un enfant, un gendarme) et les mésaventures des journalistes venus chercher de la bonne image buzzable et pour une fois confrontés, en direct, à un sentiment d’insécurité violemment concret, tous les ingrédients étaient réunis pour accroître les tensions et le ressentiment et aboutir à une situation explosive…
… Qui n’a donc pas tardé à exploser : alors que la petite communauté des gens du voyages installée à Royes s’apprête à enterrer ses morts, le fils et un cousin d’une des victimes ne peuvent se rendre aux funérailles, incarcérés qu’ils sont (pour vol de voitures et trafics divers). L’administration pénitentiaire n’entend cependant pas fournir de permission temporaire. Prisonniers ils sont, prisonniers ils resteront. Ce que la famille en question n’entend absolument pas de cette oreille, et le fait rapidement comprendre aux autorités compétentes. Magie d’une médiatisation déjà bien avancée, le mode d’expression de nos sympathiques voyageurs va leur permettre de mobiliser, une fois encore, les journalistes, et — surtout — d’impacter directement la vie d’un maximum de personnes d’un coup.
Improvisant un barrage de pneus brûlés sur l’autoroute A1 à la hauteur du péage de Royes, et ce pendant un week-end de retours massifs de vacances, la famille des victimes a ainsi clairement exprimé son souhait que soit modifiée la décision de justice cantonnant deux de ses membres à la prison un jour de funéraille. Oui, vous avez bien lu : insatisfaits de la situation, les gens du voyage ont donc tout fait pour interrompre le voyage de milliers d’automobilistes, en coupant brutalement la circulation sur une voie majeure.
Devant le problème, l’État a immédiatement non-réagi. Il faut lire, en détail, les déclarations de la préfète de la région picarde pour bien comprendre l’ampleur de la non-réaction en question. Pour elle, pas de doute, il fallait non-agir avec fermeté pour éviter d’avoir à non-agir encore plus fermement ensuite :
Il n’y avait pas de vie en danger. (…) une intervention aurait pu avoir de graves conséquences sur le plan de l’ordre public sur la ville de Roye. (et elle) aurait pu donner lieu à des débordements et mettre en danger une population endeuillée.
Eh oui mes petits amis contribuables respectueux de la loi, il faut bien comprendre que comme la famille endeuillée était déjà partie en mode « on brûle et on casse », il n’était pas question d’envenimer la situation en remettant l’église au milieu du village et en rappelant que force doit rester à la loi. Après tout, il n’y avait pas de vie en danger, et chacun sait que dans ce genre de familles endeuillées, les soucis, les petits différends et les tensions éventuelles se règlent à l’amiable, sans utilisation d’armes à feu, sans violence, et donc sans risque de vie en danger.
Dès lors, on comprend aisément — puisqu’il n’y a aucune vie en danger — l’impressionnant déploiement de forces de l’ordre pour accompagner la cérémonie funéraire, déploiement dont la facture sera bien évidemment adressée aux contribuables qui n’ont rien à voir dans l’affaire, parce que c’est aussi ça, l’État de droit républicain. On en profitera aussi pour apprécier au passage que la famille du gendarme, elle aussi endeuillée, n’a pas profité de l’occasion pour aller faire un barrage sur l’A86 ou n’importe où ailleurs, tout le monde ne s’endeuillant pas de la même façon, je présume.
Du reste, le deuil démonstratif, aussi constipatoire d’autoroute puisse-t-il être, permet d’obtenir gain de cause, ce qui laisse supposer que les démarches revendicatives à venir auront toutes un délicieux parfum de caoutchouc cramé.
Cette situation, aussi incroyable que consternante, aura bien évidemment poussé certains journalistes ou politiciens médiocres dans leurs retranchements intellectuels. Citons rapidement les belles envolées lyriques du journaliste yaourtocéphale directeur de la rédaction de l’Express qui gâche fort malheureusement sa liberté d’expression pour faire de l’amalgame à la truelle, ou encore Xavier Bertrand qui demande au gouvernement de désarmer ces lascars-là (selon Xavier, il est apparemment plus facile de s’armer quand on est Jean du Voyage que lorsqu’on est Paul du Restage) mais qui n’a pas encore brûlé les micros de RTL et n’obtiendra donc pas gain de cause.
En revanche, pour ce qui est de constater la disparition, pfuiiit, en rase campagne et dans l’odeur âcre de pneumatiques en feu, de l’état régalien, il n’y avait pas grand-monde.
Paul du Restage, le Français lambda, aura noté depuis un moment que sa liberté de circuler était surtout soumise au bon vouloir de toutes les corporations (taxis, camionneurs, nomades, syndicalistes divers et variés du rail, de l’air ou de la mer, et même agriculteurs, …).
Paul du Restage aura aussi compris avec cette affaire, par la démonstration, qu’il suffit de faire preuve de plus de détermination et d’un pouvoir de nuisance plus grand que celui des autorités en place, qu’il faut menacer la localité d’embrasement mais attention, sans mettre de vies en danger, pour bénéficier d’une révision de la justice, d’une relative mansuétude des autorités, là où, dans un pays correctement civilisé et policé, une telle situation tournerait rapidement au détriment des excités.
Paul du Restage voit, une fois de plus, que l’État est fort avec les faibles, faible avec les forts ; impitoyable, harassant avec les moutons taillables, corvéables à merci et surtout solvables, respectueux des autres et de la loi mais faible, si faible voire obséquieux et peureux avec les forts, les excités, les agités, les hors-la-loi, ceux sur lesquels on ne peut faire pression (par les courriers de relance, par les saisies sur les comptes en banques, par les poursuites, …) sans se mettre en danger.
Paul du Restage comprendra peut-être qu’en usant de la violence brute, sans fard et sans honte, on obtient ce qu’on veut et que par voie de conséquence, le pays et, pire encore, ses institutions viennent ainsi de s’offrir aux racailles, aux malfrats et à toutes les brutes et tous les réseaux mafieux pour qui retentit joyeusement « unissez-vous, montrez vos muscles, vous obtiendrez gain de cause ! ».
Enfin, Paul du Restage recevra prochainement la facture, directe et indirecte, de cette lamentable débandade républicaine. Eh oui, les réfections de la route ne seront pas payées par les fauteurs de troubles, les bouchons provoqués, les milliers d’heures perdues par les automobilistes, les milliers de litre d’essence brûlées en pure perte ne seront jamais remboursés. La crédibilité perdue des institutions ne sera jamais regagnée, et surtout, aucune des personnes directement responsables de ces troubles ne sera effectivement poursuivie (même si la préfète s’en défend, gnagnagni gnagnagna).
Sacré Paul du Restage. S’il n’était pas là pour tout payer, je ne suis pas sûr que Jean du Voyage ferait autant le malin. Et lorsque Paul du Restage en aura assez (ce qui arrivera un jour, inéluctablement, quand il n’aura plus rien), je ne suis pas sûr non plus qu’il persiste à faire du restage dans le calme et la pondération.
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