Par Nathalie MP et h16
Si le terroriste, l’inspecteur du fisc ou l’homme politique qui « vient aider » déclenchent très logiquement la terreur chez l’homme de la rue normalement constitué, le progrès technique peut parfois lui aussi instiller la peur lorsqu’il s’appuie sur des connaissances et des pratiques scientifiques inédites, sophistiquées et mal connues.
On l’a vu jadis, au milieu du XIXème siècle, lorsque le chemin de fer était taxé de « bête humaine » crachante et mugissante. Soupçonné de provoquer des fluxions de poitrine, la tuberculose, le décollement de la rétine ou l’épilepsie, le train fut longtemps accusé des pires maux (l’astronome François Arago s’était même ridiculisé à son sujet). En 2015, le chemin de fer est toujours là, et sa vitesse, sans cesse croissante à l’exception des jours de grève, n’a pas provoqué les délires sanitaires qu’on lui prédisait.
De nos jours, on le voit avec les OGM malgré leurs applications extrêmement positives pour la santé et l’environnement. Et on constate le même schéma avec les ondes émises par tous les appareillages électromagnétiques et tous les systèmes sans-fil, qui sont rapidement devenus des objets courants de notre vie quotidienne (radars, téléviseurs, antennes relais, téléphones portables, bracelet électronique pour peine aménagée, fours à micro-ondes, plaques de cuisson à induction, wifi, bluetooth, ampoules à basse consommation, ceintures d’explosifs, le nouveau compteur intelligent Linky d’ERDF, etc…), à cette différence près que des symptômes pathologiques existent réellement.
Des technologies nouvelles et certainement mal maîtrisées puisque nouvelles, du mammifère mou, humide et gentil plongé dans des bains incessants d’ondes multiples, des symptômes étranges et nombreux ? Tout est rassemblé pour qu’immédiatement, une question se pose : ces manifestations ne seraient-elles pas la conséquence directe d’une exposition aux ondes ?
Cette question de l’hypersensibilité électromagnétique (HSEM) se pose avec d’autant plus d’insistance que ses symptômes sont tout de même partagés par beaucoup d’autres maladies, et qu’ils affectent finalement peu de monde par rapport à la population exposée (puisqu’on parle, après tout, de milliards d’individus sur toute la planète). Et au passage, n’oublions pas de noter qu’elle comporte un intéressant volet financier puisque si dommage il y a, indemnisation il devra y avoir aussi.
Pour répondre à cette question, tournons-nous rapidement vers la littérature. Ça tombe bien, il y en a ! Pléthore même. Son seul souci est que, sur les trente dernières années par exemple, son appréciation des ondes électromagnétiques a fortement varié. C’est ainsi qu’on trouve des entrelacs chronologiques assez comiques de thèses fermement favorables et d’argumentations résolument opposées.
En 1985, le livre The Body Electric, co-écrit par un médecin américain, chantait les bienfaits des ondes pour notre corps et insistait sur leur rôle réparateur. Youpi, donc. Puis en 1989, changement de pied : dans The Currents of Life, l’auteur Paul Brodeur dénonce le rôle néfaste des ondes sur notre santé. Heureusement, autour des années 2000, les thérapies à base d’ondes électromagnétiques reviennent en grâce avec des ouvrages tels que Magnetic Healing ou Magnet Therapy Illustrated. La gigue joyeuse ne durera pas puisqu’en 2007, les ondes sont à nouveau néfastes et on doit s’en protéger (Electromagnetic Fields). Pour contrebalancer cette triste révélation, 2014 amène un vibrant témoignage sur ces « ondes qui m’ont sauvé la vie ». Rassurez-vous : après cette déferlante d’optimisme, un médecin remet les pendules à l’heure avec un ouvrage qui incrimine la pollution électromagnétique dans les causes de la sclérose en plaque, maladie qui reste cependant « très mystérieuse » pour la grande majorité du corps médical.
Et comme c’est vraiment très simple, peut-être ferions-nous mieux de nous tourner vers l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) ? Ca tombe encore très bien, elle a justement des choses à dire au sujet de l’HSEM :
La HSEM est caractérisée par divers symptômes que les individus touchés attribuent à l’exposition aux champs électro- magnétiques. Parmi les symptômes les plus fréquemment présentés, on peut mentionner des symptômes dermatologiques (rougeurs, picotements et sensations de brûlure), des symptômes neurasthéniques et végétatifs (fatigue, lassitude, difficultés de concentration, étourdissements, nausées, palpitations cardiaques et troubles digestifs). Cet ensemble de symptômes ne fait partie d’aucun syndrome reconnu.
On ne pourra pas accuser l’OMS d’y aller à l’emporte-pièce tant l’organisation fait preuve de prudence, jusqu’à laisser l’attribution des symptômes à l’exposition électromagnétique aux individus qui s’en plaignent. Quant à la prévalence, l’OMS signale la grande variabilité des estimations tant dans la population générale qu’au titre géographique et ne retient qu’un taux de quelques individus pour un million. Surprise : les associations militant pour une reconnaissance médicale de la HSEM aboutissent à des chiffres plus élevés. Enfin, l’OMS fait part de tests menés en double aveugle sur des personnes se plaignant de HSEM. Ses conclusions sont sans ambiguïté : ces symptômes ne sont pas corrélés avec l’exposition aux champs électro-magnétiques. Le rapport ajoute même que ces symptômes pourraient provenir de facteurs environnementaux sans rapport avec les champs électro-magnétiques :
par exemple des papillotements provenant de lampes à fluorescence, des reflets et autres problèmes visuels associés aux écrans de visualisation, ainsi qu’une mauvaise conception ergonomique des stations de travail informatisées. D’autres facteurs, comme la mauvaise qualité de l’air des locaux ou le stress dans l’environnement de travail ou de vie, peuvent jouer un rôle.
Pour l’OMS, oui, les symptômes sont réels, mais « il n’existe ni critères diagnostiques clairs pour ce problème sanitaire, ni base scientifique permettant de relier les symptômes de la HSEM à une exposition aux champs électro-magnétiques. En outre, la HSEM ne constitue pas un diagnostic médical ». L’organisation recommande d’ailleurs aux gouvernements de fournir une information ciblée sur la question incluant « une déclaration claire spécifiant qu’il n’existe actuellement aucune base scientifique permettant d’établir une relation entre HSEM et exposition aux champs électro-magnétiques. »
Enfin, concernant plus spécialement les téléphones portables (d’ailleurs très prudemment classés par le Centre international de Recherche sur le Cancer dans la catégorie des cancérogènes possibles – au même titre que le café ou le diesel), l’OMS indique (octobre 2014) qu’un grand nombre d’études ont été menées depuis vingt ans et qu’à ce jour, il n’a jamais été établi que le téléphone portable puisse être à l’origine d’un effet nocif pour la santé.
Flûte et zut, le brouillard s’épaissit : des gens sont malades, ils accusent les ondes mais les études en double-aveugle et la science bêtement moderne ne trouvent aucun lien de rien du tout.
C’est donc forcément qu’on nous cache quelque chose ! Heureusement, des associations lucratives sans but militantes, Robin des Toits en tête, armées du merveilleux Principe de précaution constitutionnel (depuis 2005), s’empressent de faire pression sans aucune base scientifique pour s’opposer a priori à tout développement technologique. Pour elles, aucun doute : toutes ces ondes, symptômes ou pas, ont le visage de la finance (celle des grands opérateurs de téléphonie mobile, capitalistes apatrides, rôtisseurs de chatons à coups de pylônes de téléphonie mobile).
Et à force, ça marche : un premier cas de HSEM a été reconnu cet été par le Tribunal du contentieux de l’incapacité de Toulouse. La plaignante, Marine Richard, auto-désignée « réfugiée environnementale » dans les montagnes de l’Ariège, est membre de plusieurs associations de défense des personnes électro-sensibles et milite pour l’instauration de zones blanches, libres de toute couverture de téléphonie ou de télévision. Elle a obtenu de la justice une allocation pour adulte handicapé pour trois ans, éventuellement renouvelable, assortie d’une aide technique et une aide pour l’aménagement de son logement.
Pour une pathologie qui n’est reconnue officiellement nulle part, c’est une belle performance, et le jugement, dans la façon dont il est présenté au public, n’est pas sans soulever quelques questions. Ainsi, avec l’aplomb que seuls les cuistres peuvent se permettre, le tribunal déclare que la plaignante souffre du syndrome d’hypersensibilité aux ondes électromagnétiques dont « la description des signes cliniques est irréfutable », alors même que (nous l’avons vu), pour l’OMS, la HSEM ne constitue pas un diagnostic médical. Quant à l’expert médical, il avoue benoîtement que pour lui, même si tout ça est sans lien avec les ondes, la prise en charge et l’indemnisation s’imposent (et comme ce n’est pas lui qui paye, ça tombe encore mieux) :
J’ai bien conscience qu’il n’y a pas de consensus scientifique sur la question. Ma position, ça a été de ne pas trancher, ni dans un sens ni dans l’autre. Car à l’heure actuelle, il n’y a pas de données acquises, avérées. Mais le handicap dont souffre Marine Richard ne peut pas être nié. Et quand bien même il serait psychiatrique – ce que je ne crois pas – il s’agit toujours d’un handicap qui, de fait, mérite d’être pris en charge.
Pas psychiatrique, ni même un tantinet psychosomatique ? Ce n’est pas l’avis de tout le corps médical. Tout d’abord, les personnes souffrantes « sont rarement capables de déterminer quand elles sont effectivement exposées à de telles ondes, et quand elles ne le sont pas. » C’est ballot. D’autre part, l’Académie nationale de médecine a mis en avant l’effet nocebo dans les troubles HSEM et rappelle :
Aucune étude ne montre que l’électrohypersensibilité est due aux ondes magnétiques (…) Les études réalisées suggèrent un effet nocebo et des facteurs neuro-psychiques individuels.
Et la même Académie de souligner dans la foulée l’importance de la forte médiatisation de ces procédures légales, qui accroissent les déclarations de maladies, en s’étonnant que des fonds publics soient utilisés dans l’achat de dispositifs anti-ondes avec pour seul effet d’encourager « une croyance dans la réalité de l’effet des ondes sur l’organisme » et craint que :
le battage médiatique mené autour d’une décision administrative isolée, scientifiquement infondée et médicalement contre-productive, n’accentue encore les troubles de ces personnes et ne suscite la survenue d’autres cas.
Bien évidemment, Robin des Toits salue en revanche ce jugement comme une grande victoire et espère qu’il fera jurisprudence. « Souvent la justice est plus humaine que les politiques, qui protègent les industriels » a déclaré son représentant au journal Le Monde, montrant que la lutte anti-capitaliste peut faire feu de tout bois, même si l’assurance maladie a fait appel de ce jugement.
Conclusion
« Et les ondes ? Que faut-il en penser ? Faut-il s’en protéger ? Faut-il éloigner les téléviseurs et les portables ? Que dit la recherche médicale ? Avez-vous pensé aux enfants ? »
Eh bien en réalité, les symptômes invoqués existent bien, mais sont renforcés et amplifiés par effet nocebo à mesure que s’installe la « croyance » (terme de l’Académie de médecine) dans la réalité des effets négatifs des ondes sur l’organisme… et, plus pragmatiquement, à mesure que s’accroît la probabilité d’obtenir une réparation financière publique. Et une fois de plus, des associations auto-proclamées de « défense » des personnes ou des consommateurs poursuivent des objectifs idéologiques de refus du progrès à propos desquels elles ne s’embarrassent d’aucune considération pour les résultats scientifiques. Dans leur démarche, loin d’apporter un soulagement aux personnes en souffrance, elles contribuent à augmenter leur mal-être en ne proposant que des solutions (indemnisations, zones blanches) sans aucun rapport avec les véritables causes qui devraient pourtant faire l’objet d’études et de soins adéquats.
Reste une très bonne nouvelle : aucune étude n’a démontré que les champs électro-magnétiques affectaient notre santé, ni venant de l’OMS, organisme des Nations unies consacré à la santé publique, ni venant de nos instances nationales, à commencer par l’Académie nationale de médecine.
Et quelque part, c’est le principal.
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