Nous traversons actuellement une
guerre froide financière – ni plus, ni moins.
Bien qu’il existe des milliards
de raisons de réduire la production globale de pétrole, et que tous les plus
gros producteurs du monde souffrent d’une réduction de leurs revenus,
certains s’en tirent mieux que d’autres. Tout est question de détails, et ces
détails comportent une multitude de variables.
Les coûts de production et les
seuils de rentabilité calculés par les analystes qui cherchent à vous prendre
au piège dans des mathématiques en noir et blanc sont loin de dépeindre l’intégralité
du tableau.
Les seuils de rentabilité sont
difficiles à déterminer, et plus encore parce qu’ils fluctuent. Les
gouvernements de l’OPEP réduisent leurs budgets, leurs dépenses sociales et
les financements de leurs plus gros projets pour réduire ce seuil. Les
producteurs indépendants réduisent aussi leurs dépenses et repoussent leurs
projets de développement pour se rapprocher de ce seuil, qui demeure donc
insaisissable.
L’Arabie Saoudite et le Koweït
profitent des coûts de production les plus faibles du monde, avec environ 10
et 8,5 dollars respectivement, selon les données
publiées par Rystad Energy. Dans les Emirats, la production de pétrole coûte
en moyenne 12 dollars par baril, la même chose qu’en Iran, bien que les
représentants iraniens déclarent souvent qu’ils seront un jour capables de
produire pour moins d’un
dollar par baril grâce aux champs pétroliers situés au cœur du pays.
Mais il ne s’agit là que du coût
représenté par l’extraction du pétrole du sol. Les sociétés pétrolières qui
appartiennent à l’Etat ont bien plus de responsabilités que la simple
extraction d’or noir. Elles apportent d’importants financements à leurs
gouvernements, et toute estimation de seuil de rentabilité devrait prendre en
compte ces obligations.
Il est difficile de déterminer
un seuil de rentabilité pour le pétrole saoudien, par exemple, parce qu’il
est responsable du financement du palais royal et, indirectement, d’un grand
nombre de programmes sociaux, depuis l’éducation jusqu’à la subvention de l’énergie
et de l’immobilier. Il est difficile de mesurer le coût d’un pétrole qui est
utilisé pour financer tous les luxes de la famille royale saoudienne.
Selon Quartz,
en additionnant tous ces coûts dont ne souffrent pas les producteurs
américains, nous obtenons un seuil de rentabilité de 86 dollars par baril
pour les producteurs saoudiens. Ce n’est qu’une estimation, mais elle n’en
est pas moins poignante. La famille royale est-elle prête à abandonner
certains de ses luxes ? Ou préfèrera-t-elle sacrifier la santé ou l’éducation ?
Le fait que le gouvernement considère rendre publiques certaines parts d’Aramco
ne présage rien de bon.
Pour ce qui est de l’Iran,
contre lequel les sanctions ont récemment été levées, la situation est bien
différente. Le pays s’inquiète probablement plus de récupérer sa part de
marché que du prix du pétrole. En juin, l’Iran lancera un nouveau type de pétrole
lourd qui viendra concurrencer le pétrole de Basra, et dont le prix sera
certainement réduit pour attirer la part de marché asiatique dont profitent
aujourd’hui l’Irak et l’Arabie Saoudite.
Pour le Nigéria, la Libye et l’Irak,
le seuil de rentabilité correspond au niveau qui leur permet de combattre
Boko Haram ou l’Etat islamique. Aujourd’hui, ils ne le peuvent pas. Et ‘est
avec un coût de production par baril de 31 dollars pour le Nigéria, de 23
dollars pour la Libye et de 10 dollars pour l’Irak.
Et puis nous avons le Venezuela,
dont le coût de production est d’un peu plus de 23 dollars par baril en
moyenne, mais où le désastre est imminent. Des défauts de dette émergent, l’inflation
flambe, et la dévaluation drastique de la devise nationale et la hausse
du prix du gaz de plus de 6.000% pour la première fois en plusieurs
décennies augmentent les chances de guerre civile. Pour le Venezuela, le
seuil de rentabilité est particulièrement insaisissable, parce que le pétrole
du pays est très
lourd et très sale – et donc très cher à extraire et à raffiner.
Briser les reins du pétrole de schiste ?
Du point de vue des Saoudiens, tout
n’est question que de briser les reins du pétrole de Schiste.
Aux Etats-Unis, le coût de
production moyen par baril est de 36 dollars. Mais selon Rystad Energy,
certains des plus gros producteurs américains ont un seuil de rentabilité de
58 dollars par baril. Ce seuil varie par section, voire même par puit. Il est
donc difficile de le déterminer avec exactitude.
Le voici plus en détails – source :
Rystad Energy :
Un grand nombre de secteurs sont
encore profitables malgré un prix du baril inférieur à 30 dollars, selon les
dires de Bloomberg Intelligence – regardez le Texas, par exemple, à Dewitt County,
qui offre des produits à Eagle Ford malgré un prix du pétrole de moins de 23
dollars. D’autres régions ont en revanche besoin d’un pétrole à 58 dollars
pour être profitables.
Pour les producteurs américains,
tout n’est question que de se couvrir aujourd’hui. Plus leur production sera
couverte, plus ils seront capables de survivre sur le long terme.
La semaine dernière, Denbury
Resources Inc. (NYSE: DNR)
a annoncé avoir couvert 30 millions de barils par jour à 38 dollars le baril.
Jusqu’à présent, nous avons
assisté à très peu de fermetures pour des raisons économiques, selon le
vice-président de la recherche en investissement de Wood Mackenzie, Robert
Plummer. « Compte tenu du coût que représente une reprise de
production, un grand nombre de producteurs continuent d’enregistrer des
pertes dans l’espoir d’un rebond des prix. »
Le seuil de rentabilité est tout
simplement une ligne dans le sable qui permet de déterminer si produire un
baril de pétrole est profitable ou non. Et cette ligne est très différente
pour les sociétés privées des Etats-Unis que pour les royaumes tels que l’Arabie
Saoudite.
Tout le monde souffre. Certains
plus que d’autres. Le Venezuela est déjà à genoux. Mais même un prix de 30
dollars le baril ne suffit pas à abattre certains des plus gros joueurs ou à
mettre fin à la guerre froide. L’Arabie saoudite dispose de 600
milliards de dollars de réserves financières ; et la Russie est
suffisamment inquiète pour commencer à discuter avec l’OPEP. Les producteurs
américains restent calmes et observent de près le désespoir récemment indiqué
par le gel de production.
Les variables du seuil de
rentabilité jouent en faveur des sociétés de schiste américaines, mais l’Arabie
Saoudite n’abandonnera pas la guerre froide facilement, parce que son objectif
ultime est de maintenir sa part de marché à tout prix.