Non pas que je cherche à remuer
le couteau dans la plaie, mais les Etats-Unis ont craché Hillary Clinton la
semaine dernière comme s’il elle n’était rien qu’une boule de poils – le
piège étant, bien évidemment, qu’ils aient ensuite eu à avaler le bolus
couleur Cheetos que nous connaissons sous le nom de Trump. Voir le smog de
suffisance d’Hillary se dissiper en direct sur les chaînes de télévision en a
valu la chandelle, le brouillard du « Je suis avec elle / C’est son
tour » n’ayant été qu’une couverture pour l’opération de pillage qu’est
devenu l’établissement de Washington DC, Fondation Clinton incluse.
Bien évidemment, la nation toute
entière est désormais prise d’épisodes émétiques, et éprouve des difficultés
à comprendre la signification de tout cela. Pour moi, le grand moment révélateur
a été la diffusion du podcast gauchiste State Political Gabfest, lors duquel
le modérateur David Plotz a demandé à ses acolytes, John Dickerson (de chez
CBS News) et Emily Bazelon (du New York Times) ce que pourrait faire le parti
démocrate pour regagner sa légitimité après le désastre électoral. Profond
silence sur les ondes. Personne n’a su quoi répondre.
Une idée est alors venue à mon
esprit de démocrate depuis longtemps désabusé : abandonner la politique
de l’identité pour en revenir à la réalité. Hélas, c’est peut-être trop
demander. Pour l’heure, le parti est en ruines, et personne n’a suffisamment
de stature pour oser présenter un nouvel ensemble d’idées cohérentes plutôt
que de flatter l’égo de groupes de constituants à la recherche de faveurs.
Voici mon idée : que diriez-vous de former une opposition au Deep State,
à la matrice du racket, à l’empire qui depuis trop longtemps prive notre
sphère politique de son élan vital ? C’était jusqu’à présent impossible,
parce que le racketteur en chef était au pouvoir et en tête de la liste
électorale. Mais aujourd’hui, les dynamiques sont à nues et évidentes aux
yeux de tous, et elles nous forcent à nous demander quoi faire ensuite.
L’autre piège, bien évidemment,
est que s’opposer au Deep State du racket est exactement ce qu’a promis de
faire M. Trump s’il était élu, si tant est que « drainer les
marais » veuille dire quoi que ce soit. Il ne l’a jamais vraiment
expliqué clairement au-delà de cette métaphore, mais je vous parie que c’est
exactement là la raison pour laquelle l’établissement de DC est aujourd’hui
si alarmé. Le comportement de Trump au fil de sa campagne est maintenant
présenté par les médias comme un véritable coup de génie. Pour moi, il
n’aurait pas pu être plus gauche, et je me demande comment un tel gaffeur
pourra un jour nous frayer un chemin hors de l’empire du racket et du racket
de l’empire. Il commence un peu à ressembler à un homme dans un tunnel, se
tenant debout, impuissant, face à la lumière violente d’un train en approche.
M. Trump ne le sait peut-être
pas encore, mais sa première tâche sera de gérer la contraction. Ce qui sera
fortement problématique, puisque sa plus grande promesse – de refaire des
Etats-Unis une grande nation – est basée sur la restauration de l’expansion
épique des XIX et XXe siècles. Les temps ont changé. Nous ne vivons plus sur
un continent vierge empli d’aubaines, de nappes de pétrole et de terres
fertiles ne demandant qu’à être exploitées. A vrai dire, pour ce qui concerne
ces ressources, nous sommes quasiment à sec. Et l’économie
techno-industrielle bâtie sur ces actifs commence à pencher dangereusement.
Beaucoup espèrent que ce système
sera remplacé juste à temps par une économie verte alternative peuplée de
voitures électriques alimentées par les rayons du soleil – mais l’idiotie
pathétique de la dépendance aux voitures au cœur de cette fantaisie devrait
être un indice suffisant du caractère irréaliste de cet espoir vain. La
contradiction à laquelle nous faisons face a ses propres mandats, qui
n’incluent pas la continuation de l’automobilisme actuel. Et je suis
absolument certain que les forces de Trump n’y ont même pas pensé.
Penchons-nous sur trois
problèmes qui s’avèreront déterminants dans la survie des Etats-Unis face aux
désordres de la Longue urgence : la financiarisation de l’économie, le
fardeau de l’empire et le fiasco de notre modèle de banlieues.
La financiarisation de
l’économie atteint déjà son apogée à l’heure où j’écris ces lignes. Les
marchés des obligations sont en déclin tout autour du globe. Cela signifie
que les risques associés à la dette et depuis longtemps ignorés se retournent
contre nous. Et ils feront valser tout ce qui se tient encore debout sur le
paysage financier. Les sociétés industrielles ont emprunté à l’avenir dans
des proportions grotesques des décennies durant, prétendant toujours que ces
dettes étaient des actifs plutôt que des passifs. Cette perception est sur le
point de changer, et avec elle, de grosses quantités de patrimoine national
disparaîtront. Cela se manifestera au travers d’une hausse des rendements des
obligations (et un déclin des valeurs des obligations), d’un effondrement des
devises, de fuites de capital, d’urgences bancaires et de drôles de
comportements de marchés. Si cela vous semble trop métaphysique, vous pouvez
aussi percevoir le tout comme la contraction des économies et la disparition
des relations commerciales internationales. Sans oublier le développement de
conflits cinétiques, c’est-à-dire de guerres.
Selon moi, ce problème sera à
lui-seul capable de surpasser les capacités du gouvernement de Trump. Nous
pourrions avoir des problèmes monétaires bien pires que ceux rencontrés par
FDR en 1933. Des banques pourront fermer leurs portes, des comptes pourront
être saisis, et les affaires de tous les jours pourront se trouver
paralysées. Voilà qui nous mènerait rapidement à des soulèvements populaires,
à une détérioration générale de l’ordre public et à la paupérisation d’une
majorité des Américains. La discontinuité du gouvernement pourrait en être
une conséquence politique, ce qui nous mène au deuxième problème : le
fardeau de l’empire.
Les Etats-Unis gaspillent leur
vitalité à tenter de maintenir un empire global d’intérêts économiques,
idéologiques et existentiels supposés. Ce projet malheureux les a non
seulement plongés dans des guerres interminables dans des endroits dans
lesquels ils n’ont rien à faire, il implique également des expériences
irresponsables telles que la promotion de renversements de régimes (Irak,
Lybie, Ukraine, Egypte et Syrie) et des exercices de provocation tels que le
recours aux forces de l’OTAN pour s’adonner à des jeux de guerre sur la
frontière russe. Les coûts monétaires de tout cela ne font qu’ajouter au
désordre financier. Régner sur ces pulsions impériales pourrait s’intégrer
dans l’agenda de Trump, mais ses propres prétentions impériales suggèrent
qu’il puisse même aggraver la situation en confluant la réduction de notre
empire et la grandeur qu’il cherche à nous redonner. Les Etats-Unis
pourraient se trouver forcés, par les circonstances économiques, de récolter
ce qu’a semé leur empire. Le monde est de nouveau en train de s’agrandir à
mesure que le globalisme se meurt et que les nations établissent des sphères
d’influence plus réalistes. Mieux vaudrait s’adapter à cette nouvelle
réalité.
Vient maintenant la question de
savoir comment les Américains pourront peupler le terrain disponible :
le fiasco des banlieues et de leurs accessoires. Nous devrions oublier ce
système. Le grand projet qui attend notre pays est la redistribution du
peuple au sein de communautés adaptées aux piétons, le développement
d’économies localisées et d’une agriculture de moindre échelle. Que nous
l’acceptions ou non, c’est là ce qui nous attend. La question ne sera que de
savoir si la transition pourra se faire sans trop de désordre. Comme vous le
savez certainement, nos étendues suburbaines représentent aussi de vastes
richesses présumées. La valeur investie sur les maisons de banlieue est la
fondation même de la structure de nos finances. Et les partis politiques
n’ont aucune idée – à l’inclusion des Verts – de comment régler le problème.
Pour commencer, Trump devrait se
pencher sur les effets des centres commerciaux sur Main Street America. Ils
ont littéralement détruit les économies commerciales locales au travers du
pays, emportant par là-même des niches vocationnelles et des rôles sociaux
qu’auraient pu jouer les communautés. Il ne pourra pas signer d’édit contre
l’empire des centres commerciaux, mais ses associés pourraient commencer à
ré-imaginer les réseaux d’échanges et d’activités locaux pour étouffer le
modèle commercial actuel, qui est déjà en déclin en raison de
l’appauvrissement de ses consommateurs et des problèmes rencontrés par les chaînes
de distribution à l’échelle globale. Tout ce qui est susceptible de lubrifier
la transition sera bon à prendre.
Cette semaine, nous n’avons plus
cessé d’entendre parler de l’orgie de développement d’infrastructures
qu’entreprendra Trump. Elle dépendra premièrement des fissures qui
lézarderont le secteur financier. J’espère que nous ne gaspillerons pas plus
de notre capital sur notre dépendance à l’automobilisme, une addiction qui
vit aujourd’hui ses derniers jours. Je propose que Trump se concentre sur la
restauration des voies de chemin de fer des Etats-Unis afin que nous
puissions au moins continuer d’arpenter notre nation lorsque la grande fiesta
de l’automobilisme touchera à sa fin. Voilà qui offrira de nombreux emplois
et aura de véritables bénéfices de long terme. C’est aussi un projet
envisageable qui pourrait nous encourager ensuite à nous pencher sur les
autres secteurs qui réclament notre attention.
Au cas où vous vous poseriez la
question, je n’ai pas sauté de joie suite à l’élection de Trump. Je me suis
simplement réjoui à l’idée qu’Hillary avait perdu. Il nous faut désormais
faire avec.