« La
guerre est une forme de racket. Probablement même la plus ancienne, la plus
profitable et la plus vicieuse de toutes. Elle en est la seule forme
internationale. Elle est le seul racket dont les profits se comptent en
dollars et dont les pertes se comptent en vies humaines. Un racket est mieux
décrit comme quelque chose qui n’est pas ce qu’il paraît être aux yeux d’une
majorité des gens. Seul un groupe très restreint sait vraiment de quoi il
s’agit. Une guerre est conduite pour le bénéfice d’un petit groupe, et aux
dépens des masses. De la guerre, une poignée d’individus tire toujours de
grandes fortunes. »
Major-général
de ma Marine, Smedley Darlington Butler, 1935
Les Américains sont les
citoyens d’une nation belligérante. Ils forment une société belligérante.
Leur pays a été fondé par la
guerre. Au cours des 240 années qui se sont écoulées depuis leur rébellion
contre un monarque absolu et son gouvernement tyrannique, les Etats-Unis
n’ont pratiquement jamais cessé d’être en état de guerre.
Leurs pères fondateurs ont
écrit la Déclaration d’indépendance en 1776 et ont fait la guerre au roi et à
ses tuniques rouges jusqu’à ce qu’ils se rendent et que soit signé le Traité
de Paris en 1783. Ces mêmes hommes ont établi une république par la
ratification de la Constitution des Etats-Unis d’Amérique en 1787.
Au cours des 74 années qui ont
suivi, les Etats-Unis se sont engagés dans une série de guerres contre de
nombreuses tribus indiennes ; et contre des puissances européennes, dont
le Royaume-Uni, la France et l’Espagne. Leurs conflits majeurs incluent la
guerre de 1812-1815 et la guerre avec le Mexique de 1846-1848. Une majorité
de ces guerres ont découlé de l’idéologie de « destinée manifeste »
et ont donné naissance au territoire interdépendant des Etats-Unis
d’aujourd’hui.
En revanche, leurs excursions
guerrières ne se sont pas limitées au continent nord-américain. Ils ont
attaqué des pirates qui prenaient pour cible des navires marchands dans les
océans Atlantique et Indien, ainsi qu’en mer des Caraïbes, Egée et
Méditerranée. Ils ont attaqué les îles Fiji, Gilbert et Samoa ; envahi
l’Uruguay et le Paraguay ; détruit une flotte japonaise ; et brûlé
une ville côtière de la Côte des Moustiques.
Suite à la guerre civile de
1861-1865, qui a causé la mort de près de 750.000 Américains et fait plus de
victimes que toutes leurs autres guerres combinées, les Etats-Unis se sont
lancés à l’Ouest dans une deuxième vague de guerres indiennes entre 1866 et
1886. Après cette date, leurs guerres continuelles contre les tribus
indiennes étaient largement terminées, à l’exception du massacre de Wounded
Knee en 1890 et de quelques rebellions survenues jusqu’au milieu des années
1920.
Les petites escarmouches de la
fin des années 1800 incluent des expéditions navales à Formosa, en Corée et
au Brésil en réponse à des attaques de navires américains ; quelques
batailles contre les tribus locales défendues par les Allemands pour le
contrôle des îles Samoa ; et plusieurs accrochages avec des milices et
rebelles mexicains sur la frontière texane.
Depuis sa fondation 103 années
auparavant, la nation a ensuite connu sa plus longue période de paix, qui a
duré huit ans, entre 1890 et 1898.
Sans nouvelle tribu aborigène
à conquérir, les Etats-Unis d’Amérique ont tourné leur attention vers
l’étranger.
En 1898, un conflit de dix
semaines à Cuba, qui cherchait à se détacher de l’Espagne, s’est rapidement
propagé dans les Philippines, à Guam et à Porto Rico. Les Etats-Unis ont
annexé ces îles, une action qui a donné lieu en Philippine à une guerre
d’indépendance qui a duré trois ans. Les rebelles ont été vaincus en 1902, et
le pays n’a obtenu son indépendance qu’en 1946.
J’ai écrit au sujet de ce
conflit dans un essai sur la torture de leurs prisonniers de guerre par les
Etats-Unis (Mercenary Musing, August 8, 2008).
Entre 1903 et 1934, les
Etats-Unis se sont engagés dans un impérialisme régional au travers d’une
série d’invasions et d’occupations de sept pays d’Amérique centrale. De
petites guerres ont éclaté dans le Panama, au Nicaragua, à Cuba, à Haïti, en
République Dominicaine, au Honduras et au Mexique.
Ces incursions ont été
encouragées par la doctrine Monroe, la politique de mots tendres et de coups
de bâton de Roosevelt, et la plateforme de construction démocratique de
Wilson. Bon nombre d’entre elles ont été menées par les Marines soutenus par
de gros intérêts commerciaux. On les a surnommées les « guerres des
bananes ». En 1921, le Corps des Marines a publié un manuel intitulé The
Strategy and Tactics of Small Wars, basé sur ses expériences.
Pendant la révolution
mexicaine de 1910 à 1919, des troupes américaines ont été déployées le long
de la frontière avec le pays afin de limiter la zone de combat au territoire
mexicain. Des rebelles sont toutefois parvenus à envahir des villes
américaines, des invasions auxquelles les Américains ont répondu en menant
plusieurs opérations au Mexique dont deux expéditions dans le Chihuahua
intérieur. En 2014, les Marines ont occupé Veracruz pour mettre fin aux
livraisons d’armements depuis l’Allemagne.
Les Etats-Unis ont intégré la
première guerre mondiale en 1917, après que l’Allemagne a tenté, sans succès,
de pousser le Mexique à mener deux attaques majeures au sud-ouest des
Etats-Unis en lui promettant le retour des territoires perdus en 1848 et
1853.
Alors qu’il demandait au
Congrès de déclarer la guerre, Woodrow Wilson a promis qu’il s’agirait de
« la guerre qui mettrait fin à toutes les autres ». Il était
soutenu par de grands industrialistes qui profitaient déjà de l’exportation
de leurs produits vers l’Europe depuis le début du conflit.
En revanche, la guerre s’est
trouvée être extrêmement impopulaire auprès du public. En 1917, avant la
levée de 2,8 millions d’hommes supplémentaires, les Etats-Unis disposaient de
la quatorzième plus grande armée du monde. Le conflit a servi à enrichir
l’économie industrielle, aux dépens des 117.000 Américains morts sur le sol
étranger. En 1919, la dette de guerre du gouvernement fédéral s’élevait à 25
milliards de dollars, dont 17 milliards étaient toujours impayés quand le
marché boursier s’est effondré en 1929.
Le Major-général de la Marine,
Smedley Darlington Butler, a combattu sept ans et reçu deux médailles
d’honneur au cours des guerres des bananes. Son livre, intitulé La guerre
est un racket, condamne l’entreprise de la guerre et les profits
incroyables qui ont pu être faits pendant la première guerre mondiale.
L’introduction de son livre est citée en haut de cet article.
A l’exception des occupations
régionales en le nom du capitalisme américain qui ont été mentionnées plus
haut, la période de 23 ans qui s’est écoulée entre 1918 et 1941 a été la plus
pacifique de l’histoire des Etats-Unis. Bien entendu, la Grande dépression a
occupé le pays pendant près de la moitié de la période.
Pearl Harbor a été bombardé le
7 décembre 1941, un évènement qui a poussé les Etats-Unis à déclarer la
guerre aux puissances de l’Axe. Au cours des quatre années qui ont suivi,
405.000 militaires américains ont perdu la vie en Europe et en
Asie-Pacifique. La guerre a pris fin après que les Américains ont lâché des
bombes nucléaires sur Hiroshima et Nagasaki en août 1945.
Après cette guerre du monde,
deux superpuissances aux idéologies et aux systèmes économiques
diamétralement opposés ont émergé. Une Guerre froide de 45 ans s’est
développée, qui a eu pour conséquence une course à l’armement nucléaire et
une croissance de la militarisation des deux protagonistes ainsi que de leurs
pays voisins et alliés. Elle s’est finalement terminée avec l’effondrement du
communisme en 1989 et la dissolution de l’URSS en 1991.
Pendant la Guerre froide, le
capitalisme américain et le communisme soviétique et chinois se sont opposés
dans les pays asiatiques divisés par décret après la seconde guerre mondiale.
Deux guerres majeures ont éclaté : une première en Corée entre 1950 et
1953, un conflit qui demeure non résolu aujourd’hui ; et une deuxième au
Vietnam (ainsi qu’au Cambodge et au Laos) entre 1965 et 1973, une guerre que
les Etats-Unis ont perdue après la réunification du pays sous le régime
communiste en 1975.
D’autres grands évènements de
la Guerre froide ont été, entre autres, le fiasco de l’envoi de troupes
militaires américaines dans la Baie des Cochons à Cuba, et les interventions militaires
américaines en réponse aux soulèvements communistes au Congo, en Thaïlande et
à Grenade. Les Etats-Unis ont aussi bombardé le palais du chef libyen,
Mouammar Kadhafi, participé à une guerre civile au Liban et envahi le Panama
pour renverser son dictateur corrompu.
Face à la chute de leur ennemi
principal et de son système économique, un nouvel adversaire s’est présenté
en Irak : Saddam Hussein, qui a envahi le Koweït en août 1990. Une
coalition dirigée par les Etats-Unis a détruit l’armée irakienne après six
semaines d’opérations militaires qui ont commencé au début de l’année 1991.
Après la guerre, les Nations-Unies ont initié un embargo commercial contre
l’Irak qui a débouché sur l’effondrement économique du pays, une
hyperinflation, un appauvrissement de la population et de nombreuses guerres
civiles entre 1991 et 2003. L’opposition islamiste à la présence permanente
de troupes américaines en Arabie Saoudite a été la cause directe des attaques
terroristes du 11 septembre contre New York et Washington DC.
Parmi les autres interventions
américaines des années 1990 figurent la Somalie, entre 1992 et 1995, une
guerre civile qui demeure non résolue à ce jour ; Haïti entre 1994 et
1995 ; la Bosnie Herzégovine entre 1995 et 1996 ; et le Kosovo entre
1998 et 1999. Ces deux derniers conflits s’intègrent dans la dissolution de
la Yougoslavie, un pays composé de huit groupes ethniques et dont les
frontières avaient été établies après la première guerre mondiale.
Après le fiasco du bug de
l’année 2000, les Etats-Unis n’étaient engagés dans aucun conflit actif. Mais
tout a changé après les attaques terroristes du 11 septembre 2001, qui ont
causé la mort de 2065 Américains. Neuf jours plus tard, le président Bush a
déclaré le lancement d’une bataille interminable surnommée « guerre
contre le terrorisme ». En 2009, Obama s’est opposé à ce terme, et ses
opérations militaires ont été rebaptisées « opérations d’urgence à
l’étranger ».
Les Etats-Unis ont envahi
l’Afghanistan en octobre 2001, renversé le gouvernement taliban
fondamentaliste, détruit les camps d’entraînement d’Al-Qaeda, et installé un
nouveau régime. Après treize années de guerre, ils ont déclaré avoir gagné la
guerre, et se sont retirés du territoire à la fin 2014. En octobre 2015,
Barack Hussein Obama a relancé les opérations guerrières sur le territoire et
annoncé que les Etats-Unis maintiendraient deux bases et près de 10.000
hommes en Afghanistan, et ce indéfiniment.
A l’heure d’aujourd’hui, les
Talibans occupent 20% d’un territoire dirigé par des chefs de guerres tribaux
et dont Al-Qaeda et l’Etat islamique contrôlent de nombreuses enclaves. Les
Etats-Unis ont également initié des attaques au drone et fait incursion sur
le territoire voisin du Pakistan en 2004, et tué Oussama ben Laden en 2011.
Des actions militaires sont encore en cours dans la région.
Mais la grande guerre en
Afghanistan n’a pas suffi aux puissants néoconservateurs aux commandes de
l’administration Bush.
En 2003, les Etats-Unis ont
envahi et occupé l’Irak sous le faux prétexte que Saddam Hussein possédait
des « armes de destruction massive ». En réalité, il ne s’agissait
que d’une excuse pour finir le travail qu’avait laissé inachevé
l’administration de Papa Bush en 1991 : renverser le dictateur d’un autre
pays composé de factions tribales et dont les frontières avaient été tracées
arbitrairement à la fin de la première guerre mondiale. Le parti sunnite a
été détruit, Saddam a été capturé et exécuté, une guerre civile a éclaté, un
gouvernement shiite a été mis en place. Les Américains se sont retirés en
2011, pour laisser les Irakiens se charger de la guerre civile.
Lors des conflits du Printemps
arabe de 2011, les Etats-Unis ont une nouvelle fois attaqué Kadhafi et ses
loyalistes en Lybie à l’aide de missiles de croisière. Une guerre civile a de
nouveau éclaté en 2014, qui dure encore aujourd’hui.
Depuis le retrait des forces
américaines d’Irak, les forces du gouvernement, les Sunnites dépossédés, les
factions chiites soutenues par l’Iran, et les factions kurdes, se sont
régulièrement opposées au nord du pays. En 2014, ces conflits ont donné lieu
à une guerre civile en Syrie.
Le chaos qui a commencé avec
l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis en 2003 a donné naissance à l’Etat
islamique (ISIS), qui contrôle désormais de vastes territoires en Irak et en
Syrie. Les bombardements et attaques de drones américains se poursuivent dans
le cadre d’une guerre régionale contre Al-Qaeda et ISIS en Irak, en Libye, en
Algérie et en Afghanistan.
De la même manière que le
bourbier des jungles putrides du Vietnam, les guerres civiles des déserts du
Proche-Orient semblent aujourd’hui interminables.
Elles sont simplement le
prochain chapitre de l’encyclopédie américaine de la guerre.
L’ancien militaire et 34e
président des Etats-Unis, le Général Dwight D. Eisenhower, nous a mis en
garde face aux dangers inhérents à l’existence d’une armée conjointe à une
industrie privée de l’armement et impliquée dans des guerres perpétuelles.
Eisenhower a discuté des dangers de l’émergence d’un complexe
militaro-industriel dans son premier discours devant le peuple américain en avril
1953, ainsi que dans son adresse à la nation de janvier 1961.
Dès l’arrivée au pouvoir du
successeur d’Ike, John F. Kennedy, qui a accru l’implication des Etats-Unis
dans la guerre civile du Vietnam, les présidents américains ont oublié les
sages conseils du vieux guerrier quant à la guerre pour promouvoir la paix.
Depuis le dernier discours
d’Eisenhower, Kennedy, Johnson, Nixon, Reagan, Bush Sr., Clinton, Bush Jr.,
et Obama se sont lancés dans des guerres interminables qui continuent de
coûter la vie à de jeunes hommes. Le nombre de morts américaines s’élève
désormais à 65.913 depuis 55 ans.
Le candidat aux élections
présidentielles de 1972, George McGovern, s’est lui-même dit « fatigué
de toutes ces guerres rêvées par de vieux hommes pour coûter la vie aux plus
jeunes ». Malheureusement, cet ancien pilote de l’Air Force qui a servi
pendant la seconde guerre mondiale, et qui était aussi un populiste opposé à
la guerre, a connu la défaite face à Nixon. Et les habitudes belligérantes
des Etats-Unis ont perduré.
Que lastima.
Voici deux historiques
présentant l’histoire guerrière des Etats-Unis (source :
Wikipédia) :
En plus de leur coût en termes
de vies humaines, ces guerres ont également eu un très important coût
financier. Le graphique ci-dessous montre la dette générée par les grandes
guerres de l’histoire des Etats-Unis. Leur dette en termes de PIB est
désormais au plus haut depuis la seconde guerre mondiale. Bien que la crise
économique et la récession de 2008-2009 et l’inflation monétaire survenue
ensuite soient partiellement à blâmer, une grande partie de cette dette est
attribuable à la guerre contre le terrorisme :
Source :
Fondation Peter G. Peterson
Selon la compilation
Wikipédia, les Etats-Unis ont mené 90 guerres depuis la signature de leur
Déclaration d’indépendance. Seules cinq ont été formellement autorisées par
le Congrès : la guerre de 1812, la guerre contre le Mexique, la guerre
d’Espagne, la première guerre mondiale et la seconde guerre mondiale.
Les Etats-Unis ont été fondés
par la guerre, et il ne fait aucun doute qu’ils resteront en guerre jusqu’à
la mort de leur république.
Nous en souffrirons tous,
jusqu’à ce que la plus grande nation du monde s’effondre sous le poids d’une
dette et d’une ruine financière accumulées au fil de ses guerres
interminables.
Personne n’a jamais mieux
expliqué la situation que le Général Butler :
Il n’y a que deux choses
pour lesquelles nous devrions nous battre. La première est la défense de
notre territoire, et la deuxième est la déclaration des droits.
All we are
saying is give peace a chance (The Plastic Ono Band, 1969).
|