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1. Les
banques centrales, "prêteuses en dernier ressort"...
Beaucoup voudraient aujourd'hui que les banques centrales, les banquiers
centraux, fussent des "prêteurs en dernier ressort".
Ils reprennent ainsi une idée d'économistes de la seconde
partie du XIXème siècle selon laquelle les instituts
d'émission de billets qui avaient acquis du législateur le
privilège de monopole, seraient tels.
Et ils la transposent à cette entorse faite à la liberté
monétaire et généralisée au XXème
siècle que sont les banques centrales.
Rappelons en passant que, par exemple, la banque centrale des Etats-Unis - la
"Fed" - n'a pas cent ans d'âge, elle les aura en 2013 si elle
existe toujours (cf. ci-dessous).
Mais des économistes ont développé la science
économique depuis lors et des économistes
spécialisés en monnaie ont mis le doigt et insisté sur
des concepts fondamentaux comme ceux de "coût de
l'échange" et d'"intermédiaire de
l'échange".
2. Le coût de l'échange.
Tout échange est coûteux, tout échange est une action
coûteuse.
Estimé trop élevé, le coût dissuade
d'échanger.
De fait, l'homme a fait des efforts par le passé et ses efforts ont
été couronnés de succès. Il est parvenu
progressivement à réduire le coût des échanges. Et
ce n'est pas fini car le coût n'est toujours pas nul.(1)
[(1) Soit dit en passant, l'expression "coût de transaction"
est souvent employée à la place de "coût de
l'échange". Il s'agit d'un anglicisme que rien ne justifie de
préférer à la dénomination "coût de
l'échange", sinon, peut-être, de s'attacher à ce
qu'il recouvre, de prétendues "imperfections du droit de
propriété ou du contrat" et des refus, d'une part, de
raisonner en termes d'action humaine et, d'autre part, de voir dans
l'échange une action humaine].
L'homme a ainsi mis au point ce qu'on dénomme la "monnaie"
– l'"argent" comme on dit communément et curieusement
en France -.
Le recours à la monnaie dans les échanges réduit le
coût de ceux-ci.
Il reste que le coût de l'échange n'est pas constant, fixe, mais
variable.
Ponctuellement, on peut estimer qu'il augmente parfois au point d'interdire
l'échange désiré.
Et cette augmentation estimée peut avoir de fâcheuses
conséquences pour soi ou pour autrui.
3. Les
intermédiaires de l'échange.
Dans cette perspective, la monnaie est un intermédiaire de
l'échange, un type d'intermédiaire car il y en a beaucoup
d'autres dont ne se sont pas préoccupés les économistes
en majorité jusqu'à la décennie 1960.
La monnaie est autant un intermédiaire de l'échange que, par
exemple, un "agent immobilier" ou que la personne à qui on
s'adresse dans une banque ou ailleurs et qui va transmettre un ordre d'achat
ou de vente d'actions ou d'obligations sur un marché organisé,
sur une bourse.
De même que la personne intermédiaire rend un service, de
même, la monnaie rend un service dont il s'agirait de connaître
et comprendre l'importance économique et qu'il ne s'agirait pas de
galvauder.
Et de même que la personne intermédiaire est
rémunérée pour le service qu'elle rend, pour son
efficacité ou sa qualité, de même, la monnaie est
rémunérée pour le sien.
En fait, elle procure à son détenteur une
rémunération - non pécuniaire - qu'il s'agirait de
connaître et comprendre et qu'il ne s'agirait pas de galvauder,
là encore.
4. Les banques
centrales ou trésors publics, "intermédiaires de
l'échange" improvisés irresponsables.
Ponctuellement, étant donnés la structure de leur bilan et, en
particulier, leurs capitaux propres, des banquiers de second rang –
i.e. sous tutelle d'une banque centrale - peuvent décider de ne pas
procéder à tels ou tels échanges car ils sont
responsables et estiment le coût de ceux-ci trop
élevé. Certains commentateurs diront alors "qu'il
n'y a plus de marché", "qu'il n'y a plus de
liquidité"...
Mais cela peut déplaire ou ne pas convenir au banquier central
à qui ils sont assujettis par la réglementation
monétaire ou bancaire et qui veut mener telle ou telle politique
monétaire, en toute irresponsabilité...
Dans ce cas, le banquier central mettra en branle une action qui, en
définitive, tendra à réduire le coût de
l'échange estimé pour que les échanges ne soient pas
esquivés, mais aient lieu. La politique monétaire devient ainsi
illusionnisme et magie.
Dans le système monétaire international actuel dont sont
convenus, implicitement ou non, les autorités monétaires
nationales des divers pays du monde, ces dernières décennies
depuis la conférence
de Gènes (1922), et l'expérience de ces derniers mois le
démontre, les banques centrales et les trésors publics ne
semblent pas en effet avoir de "contrainte de bilan" alors qu'ils
peuvent contribuer à en imposer une aux banquiers de second rang de
leur ressort.
Une preuve d'actualité en est qu'ils ont racheté consciemment
des titres financiers – qu'au passage, ils ont même
dénommés "actifs toxiques"
- dont les débiteurs sont a
priori insolvables ou en voie de l'être.
En conséquence, tout se passe comme s'ils n'étaient pas
sensibles aux variations du coût de l'échange dont, en
définitive, les banquiers de second rang les avaient informés.
En d'autres termes, loin d'être les prêteurs en dernier ressort
dont certains aveugles veulent bien parler aujourd'hui, les banques centrales
et, a fortiori,
les trésors publics ne sont aujourd'hui que des intermédiaires
de l'échange improvisés, ils ne sauraient être efficaces.
Mais ce sont des intermédiaires qui présentent une autre
originalité : celle de se moquer du coût de l'échange
estimé par les banquiers de second rang ou autres
intermédiaires financiers et des variations de ce coût, bref de
braver l'information donnée par le marché.
Pour cette raison, non seulement ils ne sauraient avoir quelque
efficacité que ce soit, mais encore ils ne font que différer
des coûts dont il faudra payer l'addition.
5. La concurrence,
"la liberté conduite à l'autel".
Reste qu'en tant qu'intermédiaires de l'échange, ils sont en
concurrence avec la monnaie, autre intermédiaire de l'échange,
qu'ils le veuillent ou non.
Certes, en s'affranchissant entre autres progressivement de
l'étalon-or au XXème siècle (période 1922-71),
ils ont pris le contrôle de l'intermédiaire monnaie. Le cas
échéant, ils ont même détruit des formes
historiques de celui-ci (par exemple, avec la création de l'euro)
comme pour mieux le faire oublier.
Ils peuvent penser qu'ils ont désormais toute latitude d'action, de
politique monétaire.
Mais pour autant, ils n'ont pas fait disparaître la concurrence car la
concurrence n'est jamais que le nom donné à la liberté
"quand celle-ci est conduite à l'autel" :
"… comme ce mot sacré a encore la puissance de faire
palpiter les cœurs, on dépouille la Liberté de son prestige en lui
arrachant son nom; et c'est sous le nom de concurrence
que la triste victime est conduite à l'autel, aux applaudissements de
la foule tendant ses bras aux liens de la servitude." (Bastiat,
1850, chap. 1)
La
liberté ou la concurrence, conséquence du droit naturel de la
propriété et de la responsabilité, se réglemente,
se limite, mais ne se détruit pas.
Limitée ou de plus en plus limitée par tel ou tel moyen, elle
fait supporter à chacun un coût de plus en plus
élevé qui fait espérer ou annonce l'abandon
inéluctable de la réglementation en question.
Entre temps, elle acquiert une autre face qui surgit sous les traits de ce
qu'on dénomme "marché
noir".
Bref, la liberté ou la concurrence en matière
d'intermédiaire de l'échange, si on préfère, la
liberté ou la concurrence monétaire existe toujours.
Et il faudrait que les autorités monétaires, d'où
qu'elles soient, fussent à son écoute plutôt que
veuillent l'ignorer sous prétexte que la monnaie est aujourd'hui,
apparemment, toujours emprisonnée par leurs rêts.
Même les dirigeants de l'U.R.S.S. s'y étaient résolus
avant que disparaisse celle-ci.
J'écris "apparemment" étant entendu qu'en
matière monétaire aussi, nous sommes entrés dans
l'ère numérique avec la "monnaie
électronique" et que celle-ci commence à faire
réfléchir et amène certains à se poser des
questions du genre : "7.
E-Money and the Reintroduction of Private Money: Is the Fed
Obsolete?" ("La monnaie électronique et la
réintroduction de la monnaie privée : la Fed est-elle obsolète
?").
6. L'innovation
libératrice.
Car une grande conséquence de la liberté ou de la concurrence,
limitée ou non, réduite à des marchés plus ou
moins noirs, est l'innovation.
Et le plus souvent, en science économique par exemple, c'est dans les
domaines où la réglementation est la plus grande que
l'innovation éclate.
A défaut de chercher à s'affranchir des règles que la
réalité impose et qu'on ignore ou ne cerne pas directement ou
bien, au moins chercher à s'affranchir de celles que les
prétendus omniscients ou protecteurs auto déclarés que
sont banques centrales et autres trésors publics infligent.
7. La sanction du
mépris de l'innovation.
Le refus ou la négligence de la connaissance de l'innovation
financière depuis au moins une trentaine d'années a conduit des
dirigeants de banques de second rang ou d'intermédiaires financiers
à faire n'importe quoi, à ne pas faire ce qu'ils auraient du
faire s'ils avaient su – certains l'ont reconnu – et à
provoquer ainsi l'ajustement économique que nous subissons depuis
2007.
De même, le refus ou la négligence de la connaissance de
l'innovation en matière de monnaie depuis, là encore, au moins
trente ans – cf. par exemple, Hayek, F. (1978), Denationalisation of
Money, Institute of Economic Affairs, Londres ou Rueff, J.
(1971), Le
Péché monétaire de l'Occident, Plon, Paris - conduit
et conduira des dirigeants de banque centrale ou de trésor public
à faire n'importe quoi, à ne pas faire ce qu'ils auraient du
faire.
Et cela ne pourra que provoquer un ajustement économique autrement
désastreux que celui que nous vivons depuis quelques temps.
Quand ?
S'il n'y a pas une réaction salutaire rapide, l'avenir le dira d'ici
peu.
Georges
Lane
Principes de science économique
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publiés par Georges Lane
Georges Lane
enseigne l’économie à l’Université de
Paris-Dauphine. Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du
séminaire J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi
les très rares intellectuels libéraux authentiques en France.
Publié avec
l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits
réservés par l’auteur
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