Officiellement, le gouverneur de la Banque de France a donné un
délai de quatre jours à Daniel Bouton, le 19 janvier au soir, pour satisfaire
à son obligation d’informer les marchés des risques de perte. Ce délai devait
permettre à la banque de déboucler ses positions dans les moins mauvaises
conditions possibles. En contrepartie, Daniel Bouton s’était engagé à
respecter le secret durant cette période de latence.
Selon Marie-Jeanne Pasquette, le secret n’a pas duré longtemps:
avant même la fin du week-end, Daniel Bouton avait craché sa pastille à une
palanquée de collègues.
Le soir même du dimanche 20 janvier, le cercle des initiés va
en effet s’élargir. Les banquiers prévenus ne peuvent pas faire comme s’ils
ne savaient rien. Deux de nos témoins, ont partagé immédiatement
l’information avec leurs proches collaborateurs, membres du directoire,
directeurs financiers ou directeurs des risques. Et il est probable que ces
derniers aient, eux aussi, passé quelques coups de fils à leurs équipes pour
vérifier l’exposition exacte de leur banque sur les marchés et ses
engagements vis à vis de la Société Générale.
Manifestement, les banques internationales ont donc bénéficié d’un
« tuyau » de la part de la Société Générale bien avant le reste du
marché.
Kerviel, petit soldat de la banque
On lira avec intérêt les analyses de Gilles Pouzin sur le sujet, qui rappelle
que l’audit de la Société Générale s’est intéressé très tardivement aux
positions de Jérôme Kerviel. Durant toute l’année 2007, c’est-à-dire l’année
précédent le bouillon de la banque, Jérôme Kerviel a dépassé 2.200 fois ses
limites d’engagement. Le 7 novembre 2007:
le service de surveillance du marché à terme germano-suisse
Eurex (filiale de Deutsch Börse et SWX) avait aussi demandé des explications
par courrier à la Société générale, concernant les positions extravagantes
prises par Jérôme Kerviel le mois précédent. Les services de contrôle interne
de Daniel Bouton avaient bien reçu et répondu à ce courrier, mais pour
enterrer l’affaire et continuer à en faire : la Société générale avait
même renfloué les positions de Kerviel sans les couper, en versant plusieurs
centaines de millions d’euros à Eurex, pour honorer ses appels de marge.
Quelques semaines plus tard, le joueur s’était refait, à la faveur d’un
rebond boursier, et on n’en parlait plus.
Fin 2007, les spéculations de Jérôme Kerviel avaient rapporté
1,4 milliard d’euros de profits à la Société générale. Un gain déraisonnable
sur des paris hasardeux dépassant les limites, certes, mais un gain bien
réel.
On connaît la suite: début 2008, le même Kerviel met la banque en
danger en prenant des positions qui se terminent par une débâcle. Jusque-là,
Kerviel a servi fidèlement son employeur qui ne s’en plaint pas!
Daniel Bouton a-t-il, à cette occasion, instrumentalisé Kerviel
pour dissimuler d’autres pertes sur le marché des subprimes
qui commençait à sentir le roussi?
Il appartiendra à l’histoire de lever le voile sur ces secrets.
En attendant, il est évident que certaines banques ont été
initiées à un secret qui aurait dû être gardé avant le débouclage total des
positions.