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1. La
crise de 1929 et la monnaie.
Le fait économique dénommé aujourd'hui "crise
de 1929" a amené des économistes à
s'intéresser enfin – si on peut dire - à la monnaie alors
qu'ils l'avaient mise de côté dans la théorie de
l'équilibre économique général -
"théorie des prix" - jusqu'alors.
Sir John
Hicks (1935) en particulier est à la fois un exemple de l'attitude
et explicite sur le point dans la revue Economica.
"After the thunderstorms of recent
years, it is with peculiar diffidence and even apprehension that one ventures
to open one's mouth on the subject of money.
In my own case these feelings are particularly intense, because I feel myself
to be very much of a novice at the subject.
My education has been mostly in the non-monetary parts of economics, and I
have only come to be interested in money because I found that I could not keep
it out of my non-monetary problems.
Yet I am encouraged on reflection to hope that this may not prove a bad
approach to the subject : that some things at least which are not very
evident on direct inspection may become clearer from a cross-light of this
sort.
It is of course very largely by such cross-fertilisation that economics
progresses, and at least one department of non-monetary economics has hardly
emerged from a very intimate affair with monetary theory.
I do not, however, propose to resume this particular liaison. One understands
that most economists have now read Böhm-Bawerk ; yet whatever that union
has bred, it has not been concord. I should prefer to…"
L'est tout autant P. N. Rosenstein-Rodan (1936) toujours dans Economica.
"The distinction between
"influences from the side of money " and " from the side of
goods " and the consequent separation of the " monetary " and
" non-monetary " approach in economic theory is an inheritance from
the classical school which is being overcome only very gradually and with
great difficulty.
It is the purpose of this article to trace the process by which this
separation is being abandoned, and to show how the coordination of the theory
of prices and the theory of money into one logically coherent system is
slowly being achieved in current economic literature".
Pourtant des décisions politiques essentielles dans le domaine avaient
été prises dans la décennie 1920 comme, par exemple,
celle d'autoriser les monnaies nationales convertibles en or à taux
fixe à être échangées internationalement
(conférence de Gènes 1922, cf. Rueff, J. Le péché monétaire
de l'Occident, 1971 )
La raison invoquée – succédané erroné de la
"théorie quantitative de la monnaie" - avait
été que l'augmentation de la production d'or était insuffisante
et ferait obstacle à la croissance des échanges internationaux
et partant à la croissance économique ; il fallait des moyens
de paiements additionnels.
On sait la suite :
- au niveau international, l'abandon de l'étalon or en 1971
après de nombreuses péripéties plus coûteuses les
unes que les autres à chacun et,
- au niveau d'une partie de l'Europe, la fusion des monnaies nationales dans
l'euro,
"néant habillé en monnaie", en 1999-2002.
Etant données ces décisions politiques, faut-il se
féliciter des travaux de recherche des économistes dans le
domaine de la monnaie ? N'auraient-ils pas été
écoutés comme ils auraient du l'être ?
On peut se poser les questions et être dans le doute surtout quand on
prête attention à ce qui est devenu aujourd'hui la
"rengaine des moyens de paiements additionnels", toujours vivace.
Il est à souligner que tous les économistes n'ont pas
conseillé aux politiques de prendre de telles décisions, bien
au contraire, il n'y a pas eu consensus, loin de là.
A partir de la théorie monétaire dans l'état où
elle se trouve aujourd'hui, des économistes continuent même
à s'opposer à ces décisions insanes et ne se lasseront
pas d'expliquer et de prédire leurs conséquences
néfastes tant qu'elles ne seront pas rapportées une bonne fois
pour toutes.
2. La crise de 2009
et la finance.
Le phénomène
économique actuel que nous vivons et que certains
dénomment "crise
financière", "crise économique" ou encore
"crise du laissez faire", ne saurait être affranchi des
décisions calamiteuses.
En revanche, ce phénomène devrait amener des économistes
à s'intéresser à la finance et à ne plus
l'exclure de la théorie économique.
Le sort qu'un grand nombre d'économistes ont réservé
à la finance dans la théorie économique jusqu'à
aujourd'hui est en définitive grosso
modo le sort qui y avait été réservé
à la monnaie jusqu'à la décennie 1930.
En conséquence, et de même, il faudrait que des
économistes le changeassent mais, étant donnée
l'expérience monétaire, en évitant de s'engager dans la
voie méthodologique qui avait été prise alors en
matière de monnaie et qui a conduit aux aberrations dans le domaine
que nous connaissons aujourd'hui.
2.A. La voie
mathématique.
Certes, une voie différente a déjà été
déblayée, depuis la décennie 1950, par des
"économistes mathématiciens" ou des
"mathématiciens économistes" avec les succès
et les échecs retentissants qu'on sait. Nous vivons actuellement le
dernier grand échec en date et ses conséquences.
Cette voie a suscité un développement sans
précédent de l'industrie financière.
Mlaheureusement, les hommes des Etats en usent et en abusent aujourd'hui en
n'hésitant plus à faire supporter des déficits
budgétaires de plus
en plus considérables, impensables hier, ni à continuer
dans le même temps à vouer aux gémonies ce qu'il
dénomme le "capitalisme
financier", les "marchés financiers", les
"marchés de capitaux" et à aboyer ainsi avec les
crypto marxistes et autres socialo communistes quand ils ne le sont pas
volontairement eux-mêmes.
Sans ces marchés, ils devraient avoir des budgets en équilibre
ou presque.
Soit dit en passant, étant donnée la voie suivie et
l'expérience vécue, tout se passe comme si l'industrie
financière était un cône reposant non pas sur sa base,
mais sur sa pointe que le moindre zéphyr des attentes formées
avec incertitude et déçues faisait s'écrouler
périodiquement.
2.B. Les financiers
sont de bonne composition.
On ne peut que s'étonner que les financiers praticiens ne se
formalisent pas de ces critiques qui leur sont adressées plus ou moins
directement.
Ils ont été, en particulier, les premiers dindons de la
"crise actuelle". En effet, si les chiffres du chômage ont
fortement augmenté ici ou là, c'est d'abord parce qu'ils ont
fait faillite ou ont été licenciés.
Mais on peut aussi les comprendre : ils ont autre chose à faire que
d'écouter ou lire les explications des hommes de l'Etat et de leurs
conseillers prétendus experts économiques qui, a priori, les excluent
de la théorie économique et, a
posteriori, les insultent.
Après que, pendant longtemps, les "monétaristes"
– apparus en tant que tels fin décennie 1960 début
décennie 1970 – ont été voués aux
gémonies par les "experts non monétaristes" pour
finalement avoir gain de cause, voilà donc que les financiers
connaissent le même sort.
Mais, à la différence des uns et des autres, les financiers
ont, eux, quelque chose à perdre s'ils font des erreurs. Ils
sont responsables des actions qu'ils mènent et des résultats de
celles-ci.
En écrivant cela, je parle évidemment des "vrais", de
ceux qui apportent quelque chose à la vie économique, pas de
ceux que la réglementation du législateur rend irresponsables
et va renflouer en cas de faillite via l'inflation de la banque centrale ou
le nouvel impôt infligé aux contribuables.
2.C. La finance du
point de vue de la théorie économique.
Il convient de souligner que la grande condition d'existence de la finance
est, primo,
la préférence de certains êtres humains pour le futur et
la préférence d'autres pour le présent et, secundo, la
concrétisation de ces préférences par
l'intermédiaire de l'instrument juridique qu'est le contrat de
prêt/emprunt de monnaie, i.e. le contrat financier.
Sans cet intermédiaire mis au point par les règles de - vrai -
droit (propriété, responsabilité et échange
libre), les préférences ne sauraient être satisfaites, il
y aurait un coût d'échange intertemporel trop
élevé ou, si on préfère recourir à
l'anglicisme, un coût
de transaction trop élevé.
Le contrat financier a donc réduit le coût de transaction, mais
pas à zéro. Il faut s'attendre à de nouveaux
progrès dans le domaine.
La finance a ainsi pour principe la réduction de ce coût de
transaction.
Malgré cela, la partie essentielle de la théorie
mathématique de la finance néglige les coûts de
transaction et pour cause, puisque la mathématique en question a
été préférée a priori par son manipulateur aux
règles de droit.
Dumas
et Luciano (1991) le rappelaient en partie dans la revue The Journal of Finance
en ces termes :
"Much of financial theory neglects
transaction costs. Perhaps the most successful implementation of it - i.e.,
continuous-time portfolio choice and option pricing - is downright
inconsistent with the existence of any transactions cost at all."
Peu
de choses déterminantes ont changé depuis lors sinon les crises
financières qui
se sont succédées !
Que penser dans ces conditions des développements - et a fortiori de leurs
enseignements - qui sont proposés dans un domaine d'étude
où la condition d'existence de ce domaine est laissée de
côté, pour ne pas dire "niée" ?
Ce
qui doit arriver, arrive
Et je retiendrai de la conclusion de Dumas et Luciano :
"Ultimately, it must pay for the
customer to place his order with the dealer rather than transact directly in
the market.
Also, dealers must be allowed to trade with each other.[...]
A third application of this exact solution would be to price derivative
assets in the presence of transactions costs, when investors adopt optimal
porfolio strategies, in continuous time.Our objective would be to find the
bid- and ask-prices of a European call option in an intertemporal setting.
As been amply demonstrated by Figlewsky (1989), it is not true, in the
presence of transactions costs, that a replicating argument would provide the
right option price."
3. Le sort du marché financier.
Contrairement à la monnaie, la finance a été longtemps totalement exclue de
la théorie des prix, de la théorie de l'équilibre
économique général.
Dans la décennie 1930, J.M. Keynes lui a curieusement ouvert une toute
petite porte tout en introduisant un ectoplasme de marché de la
monnaie dans la théorie économique à l'occasion de son
ouvrage intitulé La théorie
générale de l'emploi, de l'intérêt et de la
monnaie .
En effet, dans ce qu'est devenu son développement et qu'on
dénomme la "macroéconomie", le marché de la
monnaie est en définitive un pseudo marché qu'il serait plus
heureux de dénommer "marché de la liquidité"
en raison, entre autres, du caractère marginal de la "préférence
pour la liquidité".
Comme l'a fait apparaître géométriquement
Hicks (1937), il renferme une quasi offre de "liquidité" -
et non pas une offre de monnaie -, et une demande de liquidité,
la fameuse invention keynésienne qu'est la "préférence pour la
liquidité" – liquidité est un mot non
défini, présenté implicitement comme synonyme de monnaie
–.
Demande de monnaie en définitive "marginale", la
"préférence pour la liquidité" rend compte
d'un arbitrage simpliste de l'individu entre détenir de la monnaie ou
détenir des titres financiers à revenu fixe - en
l'espèce, des rentes perpétuelles de l'Etat... - à quoi
la théorie financière a substitué depuis lors la "gestion de patrimoine"
digne de ce nom....
Que, dans le plan géométrique
de la production (ou du revenu) et du taux d'intérêt où
le situent les hypothèses keynésiennes (ou bien dans celui de
la production et du niveau des prix où le situent les néo
keynésiens), l'équilibre de ce marché apparaisse
indéterminé, d'une part, et, d'autre part, que sa
détermination dépende du marché des produits, n'ont donc
rien d'étonnant. C'est le contraire qui l'eut été.
4. La vulgate
économique et les décisions des hommes de l'Etat.
Est étonnant en revanche que la vulgate économique ait fait
accepter l'idée saugrenue que le marché de la monnaie n'aurait
pas un équilibre simplement déterminé par une offre et
une demande de monnaie, ces deux derniers concepts étant à
étudier finement et à approfondir à l'aune de
l'innovation permanente dans le domaine (par exemple, la "monnaie
électronique").
Rappelons en passant que la monnaie est ce qui réduit le coût de
l'échange, que jusqu'à présent les formes de monnaie
n'ont pas réduit ce coût à zéro et qu'il faut
s'attendre en conséquence à des réductions dans l'avenir
par de nouvelles formes.
Dans ces conditions, on comprendra sans peine les difficultés qu'il y
a à vouloir faire prendre en considération dans la
théorie économique le marché financier en
totalité et à lui donner des lettres de noblesse.
Mais de deux choses l'une : ou bien la vulgate économique restera dans
la même tendance et on continuera à avoir des ajustements
économiques sévères périodiques étant
données les décisions prises par les hommes de l'Etat, ou bien
elle en changera et, dans ce cas, sautera aux yeux de chacun la
nocivité des décisions en question qu'elle a camouflée
jusqu'à présent.
Georges Lane
Principes de science économique
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les articles publiés par Georges Lane
Georges
Lane enseigne l’économie à
l’Université de Paris-Dauphine. Il a collaboré avec
Jacques Rueff, est un membre du séminaire J. B. Say que
dirige Pascal Salin, et figure parmi les très rares intellectuels
libéraux authentiques en France.
Publié avec l’aimable
autorisation de Georges Lane. Tous droits réservés par
l’auteur
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