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Depuis
au moins le temps des absurdités malthusiennes ou marxistes, une
tendance a été suivie par les politiques à des
degrés divers selon les pays.
Elle consiste à dire que la réglementation étatique
serait seule morale et que toute innovation serait à vouer aux
gémonies.
Si l'innovation doit perdurer malgré tout pour la satisfaction de
chacun, si, en particulier, les politiques ne peuvent s'opposer à son
développement, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, la
tendance consiste à mettre l'ensemble innovation et
développement sous tutelle des hommes de l'Etat.
Dans le domaine de la finance, la tendance est exemplaire. Voici trois
exemples, au premier regard sans lien.
1. Le système
de retraite de sécurité sociale obligatoire en France.
Il y a le cas limite du système
de la retraite de sécurité sociale obligatoire en France
infligé aux "travailleurs" à partir des années
1941-45, qui oblige les gens à vivre au jour le jour dans ce domaine .
Rappelons qu'il prend aux uns pour donner aux autres, en se servant au
passage.
" Prendre aux uns pour donner aux autres, violer la
liberté et la propriété, c'est un but fort simple; mais
les procédés peuvent varier à l'infini.
De là ces multitudes de systèmes qui jettent l'effroi dans
toutes les classes de travailleurs, puisque, par la nature même de leur
but, ils menacent tous les intérêts." (Frédéric
Bastiat, 1850, chap.4)
Le système a été construit sur la base d'un
procès stalinien fait au marché financier en
général, et à l'assurance-vie en particulier, et dans
des conditions extraordinaires, fort éloignées de celles de la
démocratie, à savoir celles de la guerre et de la fin d'une
guerre aux destructions sans précédent.
En fait, le cas était limite et il ne l'est plus.
Il était limite car, en toute rigueur, le temps ou la durée,
condition de la finance, n'intervenait pas comme paramètres du
système.
Mais maintenant que le système est déficitaire en permanence et
que les politiques manipulent "âges de retraite" et
"durées de cotisation" pour tenter de faire
disparaître le déficit, la limite a été reculée.
On est entré de plain pied dans le périmètre de la
finance car pour que le système fonctionne, il faut faire appel au
marché financier et qu'il se laisse séduire.
La situation devient même cocasse quand on n'oublie pas que le
système avait été construit sur le principe que la
retraite ne devait pas être tributaire du marché financier (du
taux de capitalisation ou d'intérêt).
Si le principe avait été respecté, si le marché
financier avait été tenu à l'écart et n'avait pas
innové depuis 1941-45, il y a longtemps que le système aurait
disparu.
On ne sait pas encore la suite, mais on
ne peut que la deviner.
2. Le marché
des "subprime" aux Etats-Unis.
Il y a le cas récent du type de contrat financier disponible aux
Etats-Unis et dénommé « subprime ».
Le temps ou la durée y intervient explicitement, mais pas la
responsabilité des parties contractantes.
En effet, ce type de contrat est réglementé par le
législateur de telle sorte qu'il est une opportunité de gain
pour celui qui s'endette et une opportunité d'opprobre pour celui qui
refuse de prêter, quand il ne court pas le risque d'être
traîné devant un tribunal par tel ou tel groupe de pression pour
le refus affiché.
Contrat pervers, sa perversité avait été divisée
par sa décomposition via la titrisation. Mais elle a été
multipliée dans un rapport autrement plus grand par la politique
monétaire suivie (variations du taux d'intérêt à
très court terme).
On sait la suite ... cf. "Subprime"
"Sur crise" ?
3. La finance
islamique.
Troisième cas, celui dont on parle désormais en France, ici ou
là et, en particulier, au ministère des finances depuis mi
2008, à savoir la finance islamique.
Dans une étude (2005) publiée par l'Université de
Princeton (Etats-Unis) intitulée Islam and Mammon :
The Economic Predicaments of Islamism , Timur Kuran a
établi que les principes théoriques de la finance islamique ont
une histoire relativement courte. Ils ont été formulés
en grande partie par le théologien pakistanais Sayyid Abul Ala Maududi
à partir des années 1940.
Il semblerait que la première banque islamique moderne ait
été créée en Egypte, aux alentours de 1963.
Ce point de vue n'est pas partagé par Mohammed El Qorchi, "Deputy
Division Chief" du département des "Monetary and Financial
Systems" du F.M.I. dans un article de Finance
et développement, 42, 4 décembre 2005
intitulé "Islamic
Finance Gears Up".
Selon El Qorchi, la création de la finance islamique remonte à
trois décennies, et, depuis lors, le nombre des institutions
financières islamiques dans le monde est passé de 1en 1975
à plus de 300 aujourd'hui dans plus de 75 pays.
Qu'à cela ne tienne.
Il faut savoir que les institutions financières islamiques sont
concentrées au Moyen-Orient et en Asie du Sud (avec le Bahreïn et
la Malaisie comme centres les plus gros), mais elles apparaissent aussi en
Europe et aux États-Unis.
Fin 2005, les actifs totaux dans le monde étaient estimés
dépasser $250 milliards, et ils ont une croissance estimée
à 15% par an (bien que les données transfrontalières
restent rares).
Les produits financiers islamiques sont destinés aux investisseurs qui
veulent se conformer à la loi islamique ("charia") qui
régissent la vie quotidienne du musulman.
Ces lois interdisent de donner ou de recevoir des intérêts parce
que tirer un bénéfice d'un échange de monnaie contre monnaie
est considéré immoral ; elles font obligation que toutes les
opérations financières soient fondées sur
l'activité économique réelle et elles interdisent les
investissements dans des secteurs comme le tabac, l'alcool, le jeu, et
l'armement.
Les institutions financières islamiques offrent un éventail
toujours plus large de nombreux services financiers, tels que la mobilisation
de fonds, l'allocation d'actifs, les services de paiement et de
règlement d'échange et la transformation et
l'atténuation de risques.
Mais ces intermédiaires financiers spécialisés
effectuent leurs opérations en utilisant des instruments financiers
conformes aux principes de la charia.
Quelles sont les
raisons avancées pour expliquer l'essor récent de la finance
islamique?
Une raison est la forte demande d'un grand nombre de musulmans
immigrés et non-immigrés en services et échanges
financiers conformes à la charia.
Une deuxième est la richesse pétrolière croissante, avec
la demande d'investissements adéquats flambant dans la région
du Golfe.
Et une troisième est la compétitivité de la plupart des
produits, attirant des investisseurs musulmans et non musulmans.
Pourtant, malgré cette croissance rapide, la banque islamique reste
très limitée dans la plupart des pays et est minuscule
comparée au système financier mondial.
Bref, ce sont la révolution du marché du pétrole dans la
décennie 1970, une certaine liberté de circulation, beaucoup
plus que l'innovation, qui semblent avoir contribué au
développement de la finance islamique.
Reste que les lois islamiques interdisent de payer et de recevoir des
intérêts.
Mais cela ne signifie pas qu'elles désapprouvent de gagner de l'argent
ou encouragent le retour à un tout cash ou à une
économie de troc.
Elles encouragent seulement toutes les parties à un échange
financier à partager le risque et le profit ou la perte du projet.
Les déposants dans les banques islamiques peuvent être
comparés à des investisseurs ou des actionnaires qui gagnent
des dividendes lorsque la banque fait un profit ou qui perdent une partie de
leur épargne si la banque affiche une perte.
Le principe est de lier le rendement d'un contrat islamique à la
productivité et à la qualité du projet, garantissant
ainsi une répartition plus équitable des richesses.
Les instruments financiers islamiques prennent ainsi la forme de contrats
entre fournisseurs et utilisateurs de fonds pour gérer le risque.
Côté "actifs", les banques islamiques se lancent dans
des investissements et des activités commerciales selon divers contrats
disponibles.
Côté "dépôts", les fonds sont surtout
mobilisés sur la base d'un contrat de Moudaraba ou un contrat de prêt
libre d'intérêt (Qard
Al Hasan).
Globalement, les banques islamiques offrent à leurs déposants
quatre catégories de comptes:
- courants,
- d'épargne,
- d'investissement et
- d'investissement à fins particulières.
Alors que l'arbitrage et la vente à découvert ne sont pas
acceptables en vertu de la charia, il semble que des opérations
financières autres soient, en pratique, l'objet de diverses
interprétations.
Par exemple, les opérations impliquant l'achat et la vente de
"contrats de dette" sur les marchés secondaires sont admises
en Malaisie et nulle part ailleurs.
4. Synthèse
4.A. Qu'ont donc en
commun ces trois exemples ?
Ils illustrent la présomption des politiques d'organiser la finance
sur des règles morales à quoi n'obéirait pas
l'innovation financière depuis la nuit des temps.
En France, ce furent des règles socialo-communistes,
matérialistes, dont la perversion n'est toujours pas perçue
malgré la faillite à partir de 1989 des régimes
entièrement communistes et fondées uniquement sur de telles
règles.
Aux Etats-Unis, ce furent des règles "démocrates"
dont la perversion a été mise en valeur par la politique
monétaire suivie, au corps défendant de celle-ci - bien
sûr -, avec les conséquences qu'on sait et qu'on vit
aujourd'hui.
En terre d'Islam, ce sont des règles
"révélées" qui ont acquis de l'importance
économique mondiale en raison des perversions
précédentes et des conséquences désastreuses
qu'ont eues ces perversions sur les économies
réglementées où elles sévissaient.
4.B.
Dénominateur commun de ces exemples, l'absence d'innovation digne de
ce nom.
L'innovation est nécessairement non étatique car la
réglementation, l'arme du législateur, ne saurait innover, mais
seulement connaître des variations, des réformes quand ce
dernier est acculé dans ses retranchements. N'oublions jamais que :
"Ce qui limite la spoliation, c'est rarement la
résistance des spoliés; c'est plutôt les pertes qu'elle
inflige à tout le pays et qui retombent en partie sur les
spoliateurs." (Vilfredo Pareto, 1896/97)
L'innovation qui perdure est nécessairement morale pour la raison que
:
"[...] regardez à la fin d'un fait accompli, et vous
verrez qu'il a toujours produit le contraire de ce qu'on en attendait, quand
il n'a point été établi d'abord sur la morale et la
justice." (François René de Chateaubriand, Mémoires d'Outre tombe.)
L'innovation ne peut enfin que remettre en question les réglementations
existantes - révélant ainsi indirectement leur
immoralité cachée qu'on faisait passer pour de la morale - et
plonger les politiques dans les affres d'en trouver d'autres.
A défaut d'y parvenir, ces derniers s'imitent et "se font
mousser".
En France, le ministère de l'économie et des finances en est
donc arrivé à tourner la page de la "planification
centrale à la soviétique" – même si, à
certaines époques, certains l'ont revendiquée
"indicative" – et se trouve désormais sur celle de la
"finance islamique". S'il n'y a pas perdu son latin, il va
devoir apprendre son arabe.
"Sacrée évolution !" en près de soixante dix
années.
… N'est-ce pas vraiment le cas de le dire !
Georges Lane
Principes de science économique
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Georges
Lane enseigne l’économie à l’Université
de Paris-Dauphine. Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du
séminaire J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi
les très rares intellectuels libéraux authentiques en France.
Publié avec
l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits
réservés par l’auteur
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