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Keynes est un
auteur bien plus controversé que certains veulent bien
l’admettre. Il était sujet à des contradictions et
à de brusques « changements de cap », la
question du libre-échange en étant le meilleur exemple.
Ses
références idéologiques sont loin de se situer
uniquement à gauche. Ainsi, on l’oublie souvent, mais
l’économiste britannique a écrit, au début du XXe
siècle, un ouvrage sur le conservateur libéral britannique,
Edmund Burke, intitulé The Political Doctrine of Edmund Burke. Qu’est-ce
que l’immoraliste, John Maynard Keynes, peut bien avoir en commun avec le
conservateur Burke ?
Curieusement,
Keynes se reconnaît en Burke sur de nombreux points. Tout
d’abord, Keynes, comme Burke, a succombé aux charmes de l’élitisme.
En ce point au moins, il n’est certainement pas socialiste
puisqu’il estime que seuls des technocrates – et non le
prolétariat – sont à même de gouverner un pays.
Ensuite,
Keynes nourrit une certaine méfiance à l’égard des
tropismes révolutionnaires. Rappelons, à toutes fins utiles,
que Burke était un farouche opposant de la Révolution
française. En cela, l’admiration de Keynes peut nous laisser
circonspects lorsqu’on sait que ce dernier a amorcé une
« révolution économique » ayant
changé la face du monde…
Mais Keynes
s’en explique :
il est toujours dangereux, selon lui, de supprimer un bien présent
pour un bien futur, tant le futur est incertain. En économie, il ne
dit pas autre chose. Rappelons-nous, en effet, de sa fameuse phrase :
« Le long terme est un horizon peu intéressant. À
long terme, nous serons tous morts. ».
Keynes ne
s’intéresse pas au futur, son attention est tournée
exclusivement vers l’instant présent. C’est sans doute
pour cela qu’il a une préférence marquée pour la
consommation par rapport à l’épargne. C’est aussi
pour cela qu’il affichait un tel mépris à
l’égard des thésauriseurs. C’est enfin pour cela
qu’il ne se souciait pas des conséquences budgétaires des
plans de relance, financés
par la dette publique, qu’il prônait. Pour paraphraser
l’économiste britannique, Tim Harford,
de tels plans de relance ne sont rien d’autre que des
« taxes sur les adolescents » puisque la dette publique
implique des intérêts élevés
que ces derniers devront rembourser.
Par ailleurs,
Keynes rappelait que les politiciens devaient se soucier du bien-être
des populations présentes et non futures. En cela, il a
été entendu par la plupart des hommes d’État qui,
rappelons-le, optent presque toujours pour des politiques
électoralistes, donc de court terme.
Il n’est
alors pas étonnant que Keynes soit si hostile à certaines
révolutions. Il ne veut pas sacrifier la stabilité du
présent pour un projet politique illusoire dont les éventuels
effets positifs ne se feront sentir que dans de longues années, voire
des décennies. Sur ce point précis, il est difficile de lui
donner tort, l’expérience nous ayant montré les ravages
produits par certaines (la plupart ?) des révolutions.
Toutefois,
cette méfiance vis-à-vis des révolutions paraît
insuffisante pour caractériser de tels liens entre Keynes et Burke,
d’autant plus que ce caractère antirévolutionnaire ne se
fonde pas forcément sur les mêmes raisons : Burke
était surtout atterré par la vague de violences qui secoua la
France à partir de 1789, même si, politiquement, il était
extrêmement dubitatif quant aux réelles intentions de
l’Assemblée nationale française. En outre, il rappela que
la France s’était déjà grandement
libéralisée sous le règne de Louis XVI et que la
« thérapie de choc » mise en œuvre par les révolutionnaires
aurait un impact désastreux. Il se méfiait également des
conséquences de la tyrannie de la majorité.
Voilà
toute une série de raisons absentes de l’œuvre de Keynes.
C’est bien pour cela qu’il faut minimiser les rapports
idéologiques entre Burke et l’économiste britannique.
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