NOUVELLEAKS par Slobodan Despot
On ne trompe pas le Diable deux fois
Conte suisse 2.0
Note de l’auteur : Cette nouvelle version du « Pont
du Diable » est une pure œuvre de fantaisie. Toute ressemblance avec
des personnages existants ou ayant existé serait totalement fortuite.
I. Son petit train électrique
Le Prince des Ténèbres s’ennuyait depuis près de mille ans sur son
rocher du Gothard lorsqu’il sentit, vers la fin du XXe siècle, des
foreuses lui chatouiller le séant. Les industrieux descendants des
Helvètes aux bras noueux venaient d’entamer le chantier de ce qui devait
être le tunnel le plus long du monde. Il se frotta les griffes !
Depuis près de mille ans, il ruminait son humiliation par ces
montagnards pour qui il avait construit un premier pont en une seule
nuit. Leur modeste contrepartie consistait à lui céder la première âme
qui le franchirait. Et ces madrés apprentis-banquiers lui avaient
dépêché… une chèvre ! Cette fois-ci, il comptait bien récupérer son
dû. Il attendit donc, patiemment ou impatiemment, on ne le sait
pas : car que pèsent dix-sept années dans l’agenda du Diable ?
Dix-sept ans et onze virgule un milliards de francs plus tard, les
gnomes désormais urbanisés organisèrent une grande fête pour inaugurer
leur œuvre, dont ils s’attribuaient tout le mérite. Ils ne savaient pas
qu’on ne creuse pas même une taupinière dans ces montagnes sans son aval.
Ils ignoraient que les neuf vies perdues « par accident » au
fil des travaux n’étaient qu’un acompte sur ses services. Un ouvrier tous
les six kilomètres de galerie ! A l’époque, il avait demandé une âme
pour dix mètres de passerelle… Mais il les avait laissés faire, se
contentant de leur souffler quelques suggestions.
Les descendants n’étaient pas du même bois que les aïeux. Ils étaient
plus réceptifs, plus « ouverts » comme ils le disaient
eux-mêmes. Les retourner n’était qu’un jeu d’enfant. Le Malin décida que
leur prodige d’Ingénierie serait son cadeau du millénaire, comme les
éternels adolescents s’offrent un petit train électrique à cinquante ans.
Ce premier jour du mois de juin de l’an de grâce 2016, Satan
s’installa donc devant son écran plasma et s’apprêta à savourer la
cérémonie d’ouverture. Il fit défiler les chaînes nationales, mais ne
trouva nulle part la retransmission. Les bulletins de nouvelles n’en
passaient que des bribes, très brèves, très recadrées, avec des
commentaires presqu’embarrassés. La grande messe noire que lui avaient
annoncée ses espions était pourtant devisée à huit millions. Les nains
avaient vu les choses en grand : six cents figurants, des chœurs,
des orchestres, des écrans géants. Ces lèche-culs avaient même fait venir
un metteur en scène allemand, pour flatter le grand empire voisin et bien
montrer qu’ils ne savaient plus rien faire tout seuls. (Décidément, les
temps ont bien changé, s’était dit l’Ennemi en se lissant les cornes.)
Tout cela était bien alléchant, mais à quoi bon si on ne le
retransmettait pas en diablovision urbi et orbi? Les médias
assommaient leur public avec des ouvertures de jeux olympiques qui
coûtaient à peine davantage. Sans oublier l’incessant matraquage des events
de l’Expo.02, en 2002… Et maintenant ? Black out sur le
chantier du siècle ? Il mettrait bon ordre à tout cela ! En
attendant, il se passa quelques vidéos de l’État islamique dont il
goûtait l’exécution soignée et l’humour subtil.
II. Le debriefing
La cérémonie une fois terminée, le Prince des Ténèbres convoqua en sa
caverne alpestre ses sbires et ses indics, qu’il avait infiltrés parmi le
personnel et les invités de la manifestation. Ces démons mineurs se
mirent à caqueter tous en même temps.
— Silence ! tonna le Maître des Enfers. C’est moi qui pose les
questions. Et je ne veux entendre qu’une seule voix !… La cérémonie
fut-elle en tout point conforme aux normes sataniques ?
— Oui, Maître ! s’écrièrent les démons d’une seule voix.
— Fut-elle cacophonique, puante et laide à souhait ?
— Oh oui, Maître !
— Mes attributs et symboles ont-ils été disposés en bonne place ?
— Oui, Maître !
— Honorés et vénérés sans équivoque ?
— Oui, Maître !
— Y a-t-on représenté mes fidèles lieutenants ?
— Oui, Maître, en l’apparence de Baphomet, le démon ailé aux seins de
femme. On lui a même ajouté une jolie tête blafarde d’hydrocéphale
mort-né.
— Et ma maudite personne ?
— Oui, Maître, sous l’effigie d’un grand bouc.
— A-t-on fait défiler l’humanité esclave à mes pieds ?
— Oui, Maître, sans le moindre doute. Une armée de prolétaires, tout
d’orange vêtus, avançant au pas de zombie sous l’aile du Baphomet…
— Et mes domestiques humains, ces larves complaisantes ?
— Offerts comme sur un plateau en sous-vêtements blancs, Maître, et
dans des poses lascives.
— Leurs plateformes, qui plus est, étaient poussées à grand-peine par
des prolétaires, pour bien distinguer la caste initiée de la caste
laborieuse, ajouta un démon isolé dans un élan de pédanterie.
— Une seule voix ou rien, ai-je dit !
Le démon dissident s’évapora aussitôt dans un nuage de soufre. Le
lendemain, le Département fédéral de la Justice déplora par communiqué la
disparition d’un de ses plus compétents chefs de service lors d’une
randonnée en montagne.
— Il n’empêche, poursuivit le Tentateur après avoir foudroyé le
bavard, cette attention aux détails me plaît. On reconnaît bien là
l’esprit germanique ! Aurait-on poussé la prévenance jusqu’à convier
ma fiancée, la Putain de Babylone ?
— Oui, Maître : la Femme Écarlate était bien là, impossible à
confondre dans sa robe rouge ! Elle était grosse de vos œuvres et
portait, par surcroît de dérision, un vicieux petit sac à l’effigie de la
croix suisse…
— Ah, leur croix blanche ! Ils la mettent à toutes les sauces
sitôt qu’il s’agit de fourguer du bibelot. Elle se vend si bien qu’on en
aura bientôt oublié sa détestable signification !
Sur ces mots, le Diable fut pris d’un rire tonitruant qui fut
enregistré par les sismographes dans tout le massif du Gothard.
— Bien ! Bien ! Bien ! Mes petits démoncules, tout ceci
me paraît fort bien emmanché. A-t-on proclamé, en fin de compte urbi
et orbi mon Nom maudit ?
La troupe démoniaque fut parcourue d’une hésitation. Un ange essaya de
passer.
— Comment ? Je ne vous entends pas !
— C’est-à-dire, Maître… La cérémonie n’était guère verbale. Ce n’était
pas le concept. Même les chants étaient dépourvus de paroles audibles.
— L’a-t-on écrit alors, en grandes lettres de feu et de suie ?
— Euh, l’écrit n’était pas non plus dans le concept, Maître… Mais ils
ont vu Votre maudit visage se dessiner mille fois sur leur écran géant,
avec des effets de stroboscopie…
— Maigre consolation… Un petit pentagramme, au moins ?
— Non, mais tous ont pu Vous admirer, sous la forme du Bouc, besognant
sur scène la Femme Écarlate !
— Une telle scène, Maître, se passe de sous-titres, enchérit un incube
imprudent qui fut aussitôt éviscéré. Le lendemain, on apprit qu’un
illustre réalisateur suisse, dont les films dépassaient les mille
entrées, était mort d’overdose.
— Je sens le doute en moi s’immiscer, marmonna le Diviseur. Vous n’allez
pas me dire encore qu’on a invoqué une fois de plus l’Autre,
l’Innommable…
— Vous voulez dire le Christ, Maître ? demanda un lémurien
distrait qui fut immédiatement emporté dans un cri glaçant par des
chauves-souris géantes. Le lendemain, un éminent professeur de théologie
fribourgeois ne se présenta pas à ses cours.
Les autres n’en firent aucun cas, mais protestèrent à l’unisson :
— Oh, non, Maître ! Pas une seule fois ! Soyez
tranquille !
— J’ai pourtant lu qu’on avait convoqué les prétendues « autorités
religieuses »…
— Certes, Maître, mais nous en avons profité pour jeter la discorde
entre les pseudo-chrétiens en remplaçant le pasteur par un imam et en
oubliant totalement l’orthodoxe ! Puis on les a tous envoyés en
troupeau bénir un coin de tunnel désert. Personne n’en a fait cas.
— Ne me mentez pas ! rugit l’Obscur. La radio a bien rapporté la
présence d’un évêque dans le cortège !
Sur ces mots, la troupe bigarrée des démons mineurs pouffa d’un rire
franc qui laissa le Maître pantois.
— Mais non, Maître ! Ce n’était qu’un figurant avec une
mitre ! Un évêque de carnaval ! Une potiche ! Un
conciliaire !
— Vous me rassurez sur ce point. Mais mon triomphe est bancal. Au lieu
de messe noire, les médias ne parlent que de « légendes
montagnardes », de « folklore alpin »…
— Enfin, Maître… C’est ce qui figurait dans le communiqué de presse,
pour berner le bon peuple avant la cérémonie. Vous savez très bien,
Maître, que les journalistes ne regardent pas plus loin que le bout de
leur nez, même quand ils se retrouvent face au Diable en personne dans un
tunnel.
— Vous m’en direz tant ! Ne cherchez-vous pas à m’enfumer ?
La servile assemblée s’émut tant que chacun, malgré la menace, se
remit à glapir pour lui-même.
— Depuis quand le folklore alpin comprend-il les scarabées
égyptiens ?
— L’arbre de vie renversé ?
— Le sacrifice de l’Agneau ?
— La croix couchée ?
— Les esprits-meules de foin du vaudou ?
— La cheffe de cérémonie en tunique blanche déchirée ?
— Que vous faut-il de plus, Maître ?
Débordé par le tumulte, le Prince de ce monde renonça à sévir. Lorsque
les mauvais esprits se furent calmés, il étira ses bras et parla
ainsi :
— Je vous ai compris ! Cette cérémonie me plaît assez, ne
serait-ce que par sa saine laideur foutraque ! A-t-elle été applaudie
par le peuple, toujours friand de mardis gras et de saturnales ?
— Oh, Maître, les édiles étaient ravis !
— Les notables éblouis !
— Les conseillers abasourdis !
— Les communicateurs ébahis !
— Taisez-vous ! Une seule voix, je vous rappelle !
— Oui Maître, reprit le pandémonium d’une seule voix. Toute l’élite
helvétique et eurocratique était là. Et elle applaudissait à tout
rompre ! Les ministres et les chefs d’État avaient la bouche en
cul-de-poule comme des satrapes goûtant les poèmes du sultan.
— Toute l’élite, cela fait combien de monde ? Était-ce un nouveau
Woodstock, au moins ? Une Nuit debout ?
De nouveau, un ange tenta de passer. Cette fois-ci, il y réussit.
— Euh… Maître… On a visé surtout les décideurs. C’était le concept.
— Les décideurs, cela nous donne combien ?
— Mille personnes, Maître…
— Mille personnes ? Mille personnes ! Vous vous
foutez de moi ? Pour une cérémonie à huit millions ? Quel
gaspillage ! Je ne reconnais plus mes Suisses !
L’immense éclat de voix fit effondrer un pan de rocher dans le canton
d’Uri. On déplora six victimes.
— C’est quand même tout ce qui compte en Suisse et en Europe, Maître.
— Ne me vendez pas votre baratin de relations publiques ! Pas à
moi ! Les « tout ce qui compte » autoproclamés, ça vaut
pipette ! Je les connais trop bien : ils travaillent presque
tous pour moi. C’est le peuple qu’il me faut, les ignares, les candides,
les béotiens, les supporters de football !
Dans son emportement, le Seigneur des Mouches se transforma en un
tourbillon de glaires qui recouvrit l’infernal parlement de crachats
gluants.
— C’est la télévision qu’il me faut, m’entendez-vous ? tempêta la
nuée visqueuse. La télévision, pharmacie de l’immondice, hospice de la
vulgarité, boulevard de la bêtise ! La télévision, ce vase d’iniquité,
ce lavage de cerveau permanent ! La télévision, cet encéphalogramme
du nivellement par le bas et le plus bas encore ! Bref…
Il s’était rhabillé en tissu de ténèbres et rassis sur son trône.
— Bref : je veux voir ma cérémonie transmise en Eurovision !
Les démons écarquillèrent leurs yeux injectés.
— En différé, Maître ? Aucun producteur ne la prendrait.
— Oui, Maître : c’est déjà une vieille histoire. Tout événement
passé devient ringard dans l’heure, ajouta un lézard à lunettes rondes
qui voulait faire l’avantageux. Il fut aussitôt vitrifié. Le lendemain,
la Première chaîne nationale mit au concours le poste de rédacteur en
chef de l’information.
— Qu’à cela ne tienne ! Amenez-moi les producteurs du
spectacle !
III. Rencontre au sommet
Le soir même de la cérémonie d’inauguration, un étrange incident se
produisit dans le tunnel du Gothard. Un train spécial avait été affrété
pour un aller-retour dans les galeries avec les VIP et les organisateurs
du spectacle. Vers le milieu du trajet, le conducteur crut voir une
silhouette se jeter sur les voies et déclencha le frein d’urgence. Au
même moment, la lumière vacilla et s’éteignit. Après quelques minutes,
l’éclairage revint de lui-même et le train put repartir : le
conducteur avait manifestement été victime d’une illusion d’optique.
On s’aperçut alors qu’il manquait quatre personnes dans la voiture
présidentielle : le metteur en scène, l’acteur qui jouait le bouc et
celui qu’on avait affublé d’ailes et d’une tête de bébé mort-né pour
jouer l’Antéchrist, et puis surtout… Madame la Ministre des Transports,
vedette et patronne de l’événement. Aucune porte n’avait été
ouverte : ils étaient tous quelque part dans le train. Mais
où ?
Pendant que les services de sécurité se grattaient le crâne, les
quatre disparus se regardaient dans le blanc des yeux au milieu d’un
vaste hall sans fenêtres orné d’immenses rideaux de velours rouge. De
faibles néons grésillants dessinaient autour d’eux comme un test de
Rorschach d’ombres et de mouvements indistincts. Puis une voix caverneuse
résonna dans leurs têtes.
— Madame, Messieurs et tout ce qu’il y a entre deux, soyez les
bienvenus en mon austère demeure !
Ils se tournèrent vers le coin le plus sombre de la cathédrale de
béton et n’y virent qu’une paire de braises rougeoyantes.
— Je sais : ça fait un peu blockhaus. Mais nous faisons notre
possible pour vous obliger.
Aussitôt, ils sentirent derrière leurs mollets le rebord de quatre
fauteuils de cuir rouge et s’y assirent machinalement. La ministre fut la
première à ouvrir la bouche :
— Où sommes-nous ? Si c’est un kidnapping, je vous avertis…
— Ne vous alarmez pas, Madame : vous êtes aussi libres que des
humains peuvent l’être. Quant au lieu… vous n’êtes qu’à quelques mètres
au-dessus de votre train, au milieu du Gothard.
— Comment cela ? Je connais par cœur les plans. Il n’y a rien
au-dessus du tunnel.
— Rien sur les plans, non. Mais vous connaissez les ingénieurs :
sitôt que vous leur parlez sécurité et progrès, ils se mettent en quatre.
Cette annexe ne vous aura coûté que deux ou trois cents millions. Bien
moins que la surfacturation de vos contractants…
— Qui êtes-vous d’abord, Monsieur ? s’empressa de demander la
ministre, qui s’était recomposé une posture officielle.
— Vous le saurez assez tôt, Madame. Mais de grâce, épargnez-moi ce
sourire idiot.
— Mais je ne souris pas. Je n’ai aucune envie de sourire !
— Elle ne sourit pas, Maître, flûta soudain une voix multiple et haut
perchée, comme un chœur de castrats. Ce n’est que le rictus boutiquier
des officiels suisses. Ils l’affichent tout le temps, même quand ils
dorment.
— Ce me semble être une moquerie…
— Non, Maître, c’est une crampe des zygomatiques. A force de vouloir
rassurer et plaire à tout le monde, elle est devenue congénitale. Ils ne
s’en rendent même pas compte !
Les quatre otages assistaient médusés à ce dialogue sans visages.
— Madame, reprit la voix grave, je dois vous dire que vous m’avez fait
un honneur et un grand plaisir par votre tenue.
Sans s’en rendre compte, la ministre jeta sur ses atours un regard
coquet.
— Cela vient de chez…
— Oui, Madame : de chez nous. Une belle femme comme vous se
postant en robe de vierge déchirée devant l’un de mes antres c’est…
comment dire ? Du plus haut érotisme satanique !
— Et d’une belle dérision à l’égard de l’Autre, de l’Innommable…
enchérit la voix plurielle.
Les quatre humains furent soudain pris de panique. Les deux comédiens
se prirent par la main.
— En effet, jeunes gens : vous voici chez Satan ! Lucifer ou
Belzébuth si vous préférez…
Le rocher trembla. Une lueur bleue parut dans le coin sombre et révéla
quelques formes. Soudain, l’interprète d’Antéchrist poussa un cri aigu et
se recroquevilla sur sa chaise, faisant tomber ses prothèses mammaires.
— Mais… Maître ! Ce n’est même pas un trans ! C’est un homme
déguisé !
— On n’en avait pas sous la main… expliqua le metteur en scène comme
pour s’excuser.
— Et alors ? Encore mieux ! Ce mauvais déguisement ne fait
qu’ajouter le factice à la dérision. Mais qu’avez-vous donc, jeune
homme ?
— Aah, rappelez ces araignées !
— Il est arachnophobe, ajouta le metteur en scène. Mais où voit-il des
araignées ?
— Oh, cela me revient, fit l’Immonde. Ceux qui me craignent me voient
sous l’aspect de leur pires cauchemars. Tu me paraissais plus fier en
éventant les esclaves humains de tes ailes blanches, mon garçon…
Comme le comédien tremblait de tous ses membres, le Malin s’apitoya.
— Peut-être seras-tu plus à l’aise en compagnie de celui que tu
singeais, mon fidèle Baphomet ?
L’ombre grouillante se changea aussitôt en un démon hideux à tête de
bouc et ailes de chauve-souris, des seins de femme très pâles sortant de
sa poitrine velue. Les trois autres se couvrirent la face, mais le
pseudo-Antéchrist s’effondra au sol. Son âme s’envola au ciel comme la
buée d’un vapoteur.
— Peste ! tonna le démon. Une âme de perdue !
— Malédiction ! Il n’a pas supporté la vision de la laideur.
C’était un agent de l’Ennemi, de l’Autre, de l’Innommable…
— Vous pourriez lire plus attentivement les CV de vos figurants,
monsieur le Régisseur, gronda le Pervers.
L’adipeux metteur en scène sembla se liquéfier.
— Pardon, monsieur… Satan ! Je… On ne m’y reprendra plus…
— Aucun risque, en effet. Et maintenant, Madame, à nous deux. Pourquoi
avez-vous empêché le peuple de voir mon apothéose ?
— Mais… Je n’ai rien empêché du tout.
— Si. Vous avez réservé ma messe noire à un millier de VIP inutiles.
Vous avez dépensé huit mille francs par place assise ! Pensiez-vous
que le bon peuple ne méritait pas de voir le spectacle ? Qu’il
n’était qu’une quantité négligeable ? Ou l’avez-vous simplement
oublié dans l’équation, comme d’habitude ?
— N… non. C’était le concept.
— Eh bien, votre concept, vous allez le changer.
Instinctivement, la ministre avait déjà tiré son portable de son sac à
main.
— Vous allez m’appeler vos collègues ministres aux manières de
sommeliers, vos chefs de cabinet métrosexuels, vos copains patrons de
presse et même s’il le faut vos camarades du Parti demicrotte-clampin. Et
vous leur direz de passer mon apothéose en Eurovision !
Sur ces mots, le Bouc se manifesta pour la première fois :
— Excusez-moi, monsieur… monsieur Lucifer, mais je crois que c’est
impossible. Le Diable lui-même ne pourrait faire repasser un event
périmé à la télévision…
— Oui, que voulez-vous : au XXIe siècle, l’audimat est la
divinité suprême, confirma le metteur en scène allemand.
Ce furent leurs dernières paroles. A la place du comédien, ne resta
sur le fauteuil qu’un trophée de chamois, et une flaque de saindoux se
substitua au lard germanique. La ministre, comprenant qu’on ne plaisantait
plus, masqua son éternel sourire de la main gauche tandis que sa droite
composait fébrilement des numéros.
— Ne vous pressez pas, Madame, le Diable a tout son temps, reprit la
voix sur un ton patelin. Vous êtes désormais mon hôte chérie et choyée.
En attendant que votre mission soit accomplie, nous enverrons un de nos
démoncules prendre votre place. Vos concitoyens n’y verront que du feu.
Quant à ces trois insignifiants, on aura oublié leur disparition dès les
prochaines nouvelles de 20 heures…
IV. Épilogue
Le metteur en scène et les deux comédiens ne furent jamais retrouvés
dans le train officiel. Le mystère de leur disparition demeura entier et
le tunnel du Gothard, comme le pont médiéval, fut baptisé depuis lors le
tunnel du Diable. Quant à la ministre, elle finit par sortir du
cabinet de toilette où elle était allée se repoudrer minutieusement. Elle
a repris ses fonctions avec entrain et même soufflé l’office fédéral de
la Culture à un collègue endormi. Elle annonce d’importants événements
culturels et médiatiques en Suisse pour ces tout prochains mois.
Le trait de Maëlle
Main courante
VACCINS | L’Afrique se méfie de plus en plus
Cela pourrait fournir le scénario d’un grand film de résistance
anti-corporations, façon « La constance du jardinier » :
une religieuse kenyane a été arrêtée pour avoir voulu protéger ses
étudiants contre l’administration du vaccin rougeole-rubéole. «Les
soupçons de sœur Cecilia concernant les dangers potentiels de certaines
vaccinations ne sont pas sans précédent. En mars de l’année dernière,
ChurchMilitant.com avait déjà rapporté que les évêques du Kenya avaient
voulu mettre le public en garde parce qu’ils estimaient que certains
vaccins pouvaient provoquer la stérilisation. » Superstition ou
menace réelle ? Les eaux bénites des multinationales du médicament
ne sont en tout cas plus en odeur de sainteté…
ISLAM | Une idéologie indexée au prix du baril
Dans un entretien passionnant sur RESET, l’islamologue Gilles Képel
rappelle quels sont les principes du salafisme et explique le succès
fulgurant de la doctrine rigoriste et rétrograde de la monarchie
saoudienne. «
Ce qui était à l’époque une conception marginale est devenu, indexé sur
le prix du baril, une norme qui prétend à l’hégémonie dans le monde
islamique ». On comprend mieux la très molle résistance de nos
élites à la propagation de ce totalitarisme propulsé par les
pétrodollars.
VIE PRIVÉE | L’idiotie fouineuse n’a plus de limites
Google Earth semble donner des ailes aux coupeurs de cheveux en quatre
de l’administration ! Dans une propriété de Romainmôtier, le canton
de Vaud veut raser un magnifique
labyrinthe en herbe à vocation méditative, pourtant invisible de
l’extérieur. Motif : cette œuvre d’art végétale est implantée en
zone… agricole ! « Les curés oisifs baptisent même les
chevreaux », comme dit un proverbe balkanique.
BREXIT | Une étrange anticipation
« Britain first ! » aurait crié l’assassin de Jo Cox,
selon une proche de la députée pro-UE assassinée le 16 juin —
laquelle a depuis lors effacé son tweet ! Or, une semaine plus tôt,
le président de l’UPR François Asselineau avait mis
en garde contre un scénario semblable à celui de l’assassinat d’Anna
Lindh, la championne suédoise pro-Euro, à trois jours du référendum en
Suède en 2003. Chacun en tirera ses conclusions…
UE | Curieux dialogue avec les orthodoxes
Une exposition
consacrée au très
controversé cardinal Stepinac a été inaugurée au Parlement européen.
Ce prélat béatifié par le Vatican, qui était le chef de l’Église de
Croatie au temps du génocide des Serbes, des Juifs et des Tziganes au nom
de la politique officielle de cet État (1941-1945), est l’une des figures
le moins susceptibles de favoriser le rétablissement du dialogue
est-ouest en Europe. Est-ce pour cela qu’on l’a mis en honneur à
Bruxelles ?
MEDIAS | CSOJ était bien une épine dans leur pied
Philippe
Bilger s’insurge contre le très faible écho suscité par la fin de la
très populaire émission de Frédéric Taddéï « Ce soir ou
jamais ». « Cet éveilleur, cet animateur, cette indépendante et
pluraliste intelligence gouvernait dans la souplesse et l’urbanité CSOJ
qui constituait un havre miraculeux de liberté d’expression, de vive
contradiction et d’allure médiatique. » Le comparatif dressé avec le
« buzz » suscité par la disparition d’autres émissions
populaires a quelque chose de sidérant.
TERRORISME | Dira-t’on jamais aux Occidentaux pourquoi ils sont
visés ?
Une réflexion
dérangeante de Joe Lauria (en anglais) sur la politique d’information
occidentale au sujet des attentats. Quand un avion de ligne russe est
abattu, c’est à cause de l’intervention russe en Syrie. Mais les
attentats visant l’Occident n’ont-ils pour cause que la méchanceté et le
fanatisme de leurs auteurs ? « Relier le terrorisme à
l’interventionnisme occidental [au Moyen-Orient] pourrait susciter un
réexamen profond du comportement de l’Occident dans la région,
aboutissant éventuellement à son retrait…». CQFD.
Le livre est éternel
Nous n’avons pas besoin de craindre une disparition future du livre.
Bien au contraire : plus certains besoins de divertissement et
d’éducation seront satisfaits au travers d’autres inventions, et plus le
livre regagnera de dignité et d’autorité. Car même la plus puérile
intoxication progressiste sera bientôt obligée de reconnaître que
l’écriture et les livres ont une fonction éternelle. Il deviendra évident
que la formulation en mots et l’utilisation de cette formulation par
l’écriture ne sont pas seulement des aides importantes, mais que ce sont
en réalité les seuls moyens par lesquels l’humanité puisse avoir sa
propre histoire et une conscience continue d’elle-même.
— Hermann Hesse, Magie du livre
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