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Une spéculation surréaliste dont vous êtes le héros final
LTCM pour Long Term Capital Management. Derrière ce nom, se cache un des
plus grands scandales financiers des années 90. Les acteurs étaient tellement
prestigieux et les sommes impliquées si colossales qu’il est devenu depuis un
cas d’école.
La quasi faillite de LTCM est une illustration d’avant-garde du
dysfonctionnement endémique du Casino financier. Une certaine philosophie de
la vie, un désir de toute puissance financière, une entrelacement systémique,
une bonne dose d’arrogance et le tout saupoudré d’addiction à la spéculation
constituaient déjà le cocktail explosif des finances mondiales tel que nous
le vivons aujourd’hui.
La différence entre 2016 et les années 90? Le comportement s’est aggravé.
Les logiciels calculent plus vite. La mondialisation est bien avancée. Le
volume des sommes concernées est incalculable. L’impunité est
sous-entendue.
Mais il y a plus important si cela est possible. LTCM a englouti de
l’argent de la Fed mais aussi des banques. La faillite n’a du coup pas été
formelle. On nous parle de quasi faillite. C’est une première dans la
maxime bien rodée aujourd’hui de la privatisation des bénéfices et de la
mutualisation des pertes. Inimaginable dans un monde qui se dit libéral. Et
pourtant…
LTCM, le Hedge fund « infaillible »
LTCM est un hedge fund qui voit le jour en 1994 et disparaît en 1998. Sa
particularité réside avant tout dans la brochette des associés qui l’ont
fondé. Cela va des plus prestigieux spécialistes de la bourse à des
professeurs d’économie dont le célèbre Robert Merton. Celui-ci avait eu pour
étudiants à l’université presque tous les traders de LTCM!
LTCM était donc considéré comme le nec plus ultra du mariage des
magiciens de la bourse et des génies des mathématiques financières.
Infaillible. Les modèles développés par cette équipe devaient être
gagnants systématiquement. Voilà l’image que cette dream team donnait!
Et voici l’évolution des résultats pour 1’000$ investis dans LTCM.
Entrer une légende
Comparaison
du rendement de $1,000 investi dans LTCM1, le Dow
Jones Industrial Average et investi mensuellement en bond du trésor américain
(maturité constante).
Mais le dieu de l’argent ne fait pas de miracles durables. La prise de
risques de LTCM qui est maximale combinée à un effet de levier qui ne l’est
pas moins n’a pas supporté l’impondérable.
Le marché a cessé de suivre les lois de statistiques de nos génies
dont deux venaient de se voir gratifiés du prix Nobel d’Economie (Myron
Scholes et Robert Merton, professeurs de Stanford et Harvard).
La chute en 1998 en sera d’autant plus spectaculaire et marquante! L’excès
de confiance dans le modèle mathématique qui n’avait semble-t-il pas intégré
suffisamment la volatilité du marché aura un coût à la hauteur de la
réputation des protagonistes. Le comportement humain a mis en échec
les modèles mathématiques.
Quelques 4 milliards de dollars seront nécessaires -et offerts- pour
éviter la déroute qui elle aurait impacté la bagatelle de 110milliards de
dollars! Les deux articles ci-dessous expliquent très bien l’historique. On y
retrouve les incontournables UBS et Credit Suisse qui ont lourdement
participé aux pertes.
LTCM, l’ancêtre des subprimes
Mais dans cette histoire, le plus intéressant est de présenter LTCM comme
un éventuel ancêtre des subprimes de 2007 et de la crise des banques
européennes de 2011.
Nous retrouvons systématiquement un besoin chronique de
liquidités. Dans le cas de LTCM, nous voyons comment la Banque
centrale et les banques vont mettre la main à la poche pour éviter une
déconfiture de 110 milliards de dollars.
Depuis le scandale LTCM, rien n’a changé. Pire, la crise des
liquidités est devenue systémique au niveau planétaire. L’intervention des
banquiers centraux est devenue quotidienne pour éviter l’effondrement du
casino planétaire.
Du coup, les différentes crises semblent n’être rien d’autres qu’autant de
pas qui poussent toujours plus les limites des Banques Centrales dans
l’implication de l’argent public, des ménages et des retraites pour éviter
aux uns et aux autres la panne de liquidités.
Le taux-plancher en Suisse, les différents QE aux Etats-Unis et en Europe
ne sont rien d’autres que la mise à disposition de liquidités pour éviter que
les multiples faillites de hedge funds mais aussi bancaires ne viennent
troubler l’huilage du casino.
La spéculation systémique est devenue depuis LCTM, une activité
garantie par les Etats pourvoyeurs de liquidités. Ce mécanisme porte
l’élégante appellation « politiques monétaires non
conventionnelles ». Comprenez que tout est bon pour éviter une crise
sévère de liquidités. Et là tout c’est TOUT.
Il va pleuvoir de l’argent
Il semblerait que la prochaine étape de la politique monétaire non
conventionnelle soit l’helicopter money.
Après avoir épuisé les réserves financières de toute sorte, les excédents
des balances de paiement, les économies des différents pays et le pouvoir
d’achat des ménages privés, voici la distribution de l’argent aux ménages.
Selon Wikipédia,
« L’Hélicoptère monétaire est un type de politique
monétaire consistant, pour une banque centrale, à créer de la monnaie et de
la distribuer directement aux citoyens, à la manière d’un dividende citoyen1.
L’idée est devenu célèbre grâce à l’économiste américain Milton
Friedman en 1969. À partir de 2012, certains économistes on rebaptisé
l’idée « quantitative easing pour le peuple ».
L’effondrement du Casino financier planétaire n’aura pas lieu
avant l’épuisement de cette phase. Il en sera le direct bénéficiaire si les
lois qui régissent la création monétaire continuent à ne pas être respectées
et à tolérer la création monétaire bancaire privée…
L’impondérable perturbe les modèles mathématiques
Dans le cas de LTCM, la chute des dieux de la finance est selon eux
due au comportement humain du marché qui ne s’est pas comporté de manière
prévisible et prédictible.
Puisque ses modèles sont parfaits, le meilleur moyen pour le
casino d’être toujours gagnant, serait de supprimer l’irrationalité humaine
des marchés pour assurer la prédictibilité des théories et modèles.
C’est précisément ce que l’on peut attendre des logiciels de Trading de
haute fréquence et de la robotisation du secteur. Les modèles sont intégrés
dans des machines qui ne sont pas soumises à des frayeurs ou autres
émotions. Ce processus irait parfaitement dans le sens du patron de la Finma
qui souhaite « obliger
UBS à remplacer ses traders par des algorithmes » afin d’éviter
toute manipulation. Nous avons la faiblesse de croire que ces traders
déshumanisés qui ont intégré les algorithmes du casino ne risquent pas les
sautes d’humeur…. Ils ne sont soumis qu’aux failles technologiques dont les
risques ne sont pas forcément moindres…
Mais la Technologie a aussi ses impondérables…
A ce propos, nous pouvons rappeler l’affaire de Knight Capital
Group. Il s’agit d’une « entreprise américaine de services
financiers notable pour ses algorithmes de transactions à haute fréquence qui
en font un important négociant en actions américaines sur le New York Stock
Exchange et le NASDAQ. »
« Un problème technique dans le logiciel algorithmique de
passage d’ordre de l’entreprise le 1er août 2012 a causé de fortes
fluctuations et a entraîné pour la société une perte d’un montant estimé à
440 millions. «
La perte a été limitée à quelques 440 millions de dollars grâce à
l’intervention de Goldman Sachs qui a racheté des actifs à prix cassés.
La performance est remarquable! Il faut effectivement des génies pour
développer des logiciels capables de réussir pareils exploits.
Le casino n’apprend pas de ses erreurs
Que ce soit dans le cas de LTCM ou de Knight Capital (repris par GETCO) ,
nous sommes dans le même schéma d’impondérables qui engloutissent des
millions ou des milliards. Pourtant ces deux exemples ne sont que des fétus
de paille à côté de ce qui risque de se passer en cas d’effondrement du
Casino planétaire…
L’orgueil démesuré et la quête de toute puissance empêchent les
tenants du Casino de voir le risque atomique qu’ils font courir à la
planète. Du coup, ils n’apprennent rien du passé. L’excitation d’un éventuel
« coup fumant » est plus forte.
Il faut dire enfin que, grâce à des banquiers centraux très complaisants,
des sauveurs finaux permanents leur ont été fournis sur un plateau.
Dorénavant, une entreprise qui compte ne sera plus en faillite. Epargnants
et contribuables voleront à son secours en toute légalité illégitime.
L’histoire méconnue de la
faillite dans les années 90 du fonds le plus prestigieuse
« L.T.C.M ». Cet acronyme ne vous dit peut-être rien. Et
pourtant, il incarne certainement à lui seul, l’un des plus impressionnants
scandales de l’histoire de l’industrie financière : la déroute du
prestigieux fonds d’investissement dénommé Long Term Capital Management dans
laquelle tout le système bancaire international a failli être entraîné. Une
« quasi faillite » qui fait aujourd’hui cas d’école.
Nous sommes au début des années 90. Le système financier international est
stable. C’est à cette époque, et précisément en 1993, que John Meriwether,
dit « J.M », décide de faire son retour après avoir été contraint
de prendre sa retraite deux ans plus tôt : Il avait dû démissionner
suite à l’affaire Mozer, du nom de l’un de ses collaborateurs, à l’origine
d’un scandale ayant éclaboussé toute l’entreprise. Titulaire d’un M.B.A de
l’université de Chicago et ex-trader vedette chez Salomon Brothers,
Meriwether et son équipe avaient été responsables de la grande partie des
profits du groupe lors des cinq dernières années qu’il avait passées dans la
banque, soit un record de 500 millions de dollars en moyenne par an.
Après quelques années de retraite paisible, Meriwether ne résiste donc pas
à l’appel des marchés et décide de monter sa propre firme. Il contacte alors
Merrill Lynch pour l’aider à lever des fonds et se lance dans la mise en
place de ce qui deviendra le fonds d’investissement le plus
prestigieux que n’ai jamais connu Wall Street. « JM » a
une stratégie simple : s’entourer des meilleurs scientifiques issus du
monde universitaire et de personnalités reconnues de l’industrie financière.
La même stratégie qu’il avait utilisée pour recruter ses collaborateurs chez
Salomon. D’ailleurs, c’est à peu près la même équipe qui va être reconstituée :
Lauwrence Hilibrand (diplômé de MIT, trader vedette chez Salomon qui avait
réussi à toucher la bagatelle de 23 millions de $ l’année 1989), Eric
Rosenfeld (ancien professeur à Harvard), Victor Haghani (diplômé de la London
School of Economics), William Krasker et Gregory Hawkins (PhD en économie au
MIT). En somme, une belle brochette de grosses têtes.
John Meriwether
Meriwether réussit par ailleurs deux coups de génie : Le
débauchage David Mullins, alors vice-chairman de la réserve fédérale
Américaine (FED), spécialiste en charge des crises financières dans cette
institution et surtout les recrues de deux universitaires
parmi les plus brillants et les plus illustres dans le domaine de la finance,
Robert Merton, professeur à Harvard et Myron Scholes, chercheur et professeur
à Stanford. « Michael Jordan et Muhammad Ali dans la même
équipe », dira même Roger Lowenstein, dans un livre qu’il aura
consacré à l’affaire LTCM [1].
Ainsi, tout comme Meriwether n’a pas résisté à l’appel des marchés, les
esprits les plus féconds de Wall Street ont succombé à ses propositions de
charme. Le fonds est constitué tout au long de l’année 93 et Merrill Lynch
est chargée de se mettre à la recherche de capitaux en trouvant des
investisseurs. L’équipe constituée par Meriwether a de l’allure. Il le sait.
Les règles sont simples…et salées : 10 millions de dollars pour chaque
investisseur pendant trois ans avec les commissions les plus élevées de
l’époque, 2% de prélèvement sur l’investissement et 25% sur les gains
.
Et pourtant les investisseurs affluent, et pas des moindres :
Sumimoto (une banque japonaise), l’Union des banques suisses (UBS), la Chase
Manhattan Bank, la banque de Chine et la banque d’Italie et de nombreuses
personnalités fortunées investissent des centaines de millions de dollars.
A cette période, l’investissement entre dans son âge d’or au Etats-Unis et
les américains en sont particulièrement friands. Suite au boom des marchés
financiers, le nombre de riches dans le monde a sensiblement augmenté, avec
pas moins de 6 millions d’individus millionnaires en dollars. Et, pour bon
nombre de ces fortunés, investir dans un fonds constitue une opportunité non
négligeable. D’autant plus s’il a le prestige de la bande à Meriwether.
LTCM débute donc son activité avec près de 1,25 milliard de
dollars. Loin des 2,5 milliards escomptés par « JM », mais
suffisamment pour en faire l’un des hedge fund disposant de la plus grande
manne financière à son actif au monde.
Et les investisseurs ne seront pas déçus ! Les résultats sont
extraordinaires et les bénéfices au rendez-vous. Après les commissions
versées aux principaux partenaires, les performances, qui bénéficient aux
actionnaires du fonds, s’élèvent à 20 % la première année, 1994. Les
années suivantes, Meriwether et ses prestigieux stratèges confirmeront leurs
ambitions « de battre le marché » : +42,8 % de
performances en 1995, +40,8% en 1996 et +17,1% en 1997 pour les actionnaires.
Incroyable. Entre temps, Myron Scholes et Robert Merton obtiennent, en 1997,
leur prix Nobel d’économie pour les leurs travaux, en compagnie du regretté
Fischer Black, sur la valorisation des options, plus connus sous le nom de
« modèle de Black & Scholes ».
Tout réussit donc à LTCM. Les investisseurs exultent et les
dirigeants du fonds sont confiants. Et ils prennent des risques de plus en
plus importants en augmentant considérablement leurs positions à effet de
levier.
Malheureusement, les modèles mathématiques et les stratégies
financières complexes peuvent battre le marché une bonne partie du temps,
mais elles ne peuvent le battre tout le temps. Et c’est ce qui est
arrivé. La crise asiatique de la fin 1997 ayant déjà réduit les performances
de LTCM au cours de cette année là, elle a crée alors une volatilité qui a
fait grimper le coût des emprunts. Le coup fatal intervient en Août
1998 avec la défaillance de la Russie, alors incapable d’honorer le paiement
de ses dettes et contraint de dévaluer sa monnaie.
Les investisseurs se tournent alors naturellement vers les
emprunts américains (les plus sûrs) tout en délaissant les titres les plus
risqués. Tout cela se déroulant au moment où LTCM avait vendu à découvert ses
emprunts, dont les cours ne cessent de grimper compte tenu de l’afflux massif
d’investisseurs.
Dès lors, toutes les tentatives du fonds de vendre certaines de
ses positions échouent, le marché manquant de liquidités.
La catastrophe est presque inévitable : 1,7 milliard de dollars
perdus en Août, 1 milliard sur les trois premières semaines de Septembre, le
capital du fonds plongeant de 4,7 milliards à 1,5 milliard de dollars de fin
97 à Septembre 98.
Le 18 Septembre 1998, la rumeur de la faillite du fonds le plus
prestigieux que Wall Street ait jamais connu intervient. La rumeur
inquiète : les risques que l’éventuelle faillite de ce fonds fait courir
à l’économie mondiale sont importants.
La FED est « obligée » d’intervenir, indirectement,
puisqu’elle fait alors appel aux banques de Wall Street pour sauver le fonds.
Près de 3,6 milliards de dollars sont injectés pour sauver LTCM de la
déroute. Ce qui est fait.
Meriwether et ses comparses bénéficient d’une sortie honorable, non sans
laisser des dégâts, directs et indirects, ça et là au sein de l’industrie
financière : licenciements, démissions, baisse des titres, etc. Et, si
l’on tient compte des prêts irrécouvrables par les banques, l’argent du plan
de sauvetage et les capitaux perdus par les actionnaires, l’onde de choc
générée par LTCM avoisine les 110 milliards de dollars. Tout le système
bancaire international subissant ainsi le contrecoup d’un petit groupe, aussi
prestigieux fusse-t-il, animé par l’indéfectible ambition de « battre le
marché ».
La faillite évitée, Robert Merton, qui fût au centre du dispositif érigé
par John Meriwether, conclura cet épisode par ces quelques mots : « stricto
sensu, il n’y avait aucun risque. Si le monde s’était comporté comme il
l’avait fait par le passé » [2]. Peut-être. Mais le monde est divers et imprévisible, et les
marchés financiers versatiles. Et donc, « stricto sensu », c’était
peut-être déjà un énorme risque que de penser qu’on est plus fort que le
marché.
Yann Olivier ,
Novembre 2006
[1] When Genius Failed : The Rise and Fall of
Long-Term Capital Management
[2] Cité par Roger Lowenstein dans When Genius
Failed : The Rise and Fall of Long-Term Capital Management
Le 1er octobre dernier, le Congrès américain met l’affaire Lewinsky entre
parenthèses. Oubliée pour quelques heures, la procédure d’impeachment lancée
contre Bill Clinton ! Les élus du peuple américain découvrent, sidérés, que
la finance mondiale est passée à côté de la catastrophe. Ils écoutent, bouche
bée, les déclarations de William McDonough, le président de la Federal
Reserve de New York, qu’ils ont convoqué pour qu’il s’explique sur le
sauvetage d’un fonds d’investissement à risques. LTCM initiales de Long
Term Capital Management entre dans l’histoire financière contemporaine.
A 12 ans, Meriwether commence à investir ses économies sur les marchés
Quelques jours auparavant, la Fed de New York a réuni en
catastrophe les grandes banques de Wall Street, les sommant d’apporter 3,7
milliards de dollars pour sauver LTCM de la faillite. L’Etat au secours du
privé, voilà un spectacle inhabituel de l’autre côté de l’Atlantique… Il
fallait que l’affaire fût grave.
Et, de fait, en quelques jours, le monde entier apprendra avec
stupeur qu’une poignée de financiers aux dents longues et de mathématiciens
de génie à demi reclus dans un village du Connecticut ont créé une bombe
financière qui a failli faire exploser la finance mondiale.
L’histoire de LTCM, c’est d’abord celle de son fondateur, John Meriwether,
52 ans. Ce spéculateur insatiable s’est bâti, en vingt-cinq ans, une
réputation de roi des traders. Son plus beau coup de bluff, raconté par l’un
de ses collègues devenu journaliste (1), fut de battre au poker menteur son
patron, John Gutfreund, président de la Banque Salomon Brothers, en pariant 10
millions de dollars. » Vous êtes complètement fou « , lui lança
Gutfreund, désarçonné par tant d’aplomb et soulagé d’éviter un pari aussi
stupide.
Entrer une légende
C’est cette capacité à estimer les comportements humains qui vaut alors à
John Meriwether sa réputation de demi-dieu de la finance.
» Gagnant ou perdant, il arborait toujours la même expression neutre,
légèrement préoccupée. Il possédait une grande aptitude à maîtriser les deux
sentiments qui déglinguent le plus souvent les traders, la trouille
et l’avidité « , raconte encore Michael Lewis. Dans la salle
des marchés de Salomon, la plus célèbre de Wall Street, perchée au 41e étage
de l’une des tours jumelles du World Trade Center, John Meriwether est le roi
du jeu et le champion du bluff, deux traits de caractère qui ne le quitteront
jamais.
Le créateur de LTCM n’hérite pourtant pas de sa vocation de golden boy au
berceau. Issu d’une famille irlandaise, il grandit entouré d’une flopée de
cousins dans la banlieue sud de Chicago. Son père est comptable et sa mère
employée d’école. Mais John a deux hobbies : le golf et la Bourse. A 12 ans,
il est caddy au country club du coin et commence à investir ses économies sur
les marchés. Bon élève, il est admis à la Northwestern University et enseigne
un an dans les écoles publiques avant de décrocher son MBA de l’université de
Chicago.
A 28 ans, en 1974, John Meriwether entre chez Salomon Brothers comme on
entre en religion. En moins de quinze ans, il multiplie les transactions
miraculeuses. En 1986, le département d’arbitrage qu’il a créé et qu’il dirige
joue avec la moitié du capital de Salomon. Quatre ans plus tard, ce même
département réalise 87 % des bénéfices avant impôt de la banque. En 1991, les
activités d’arbitrage rapportent près de 400 millions de dollars de profits à
Salomon, et 54 millions de primes à ses cinq traders vedettes, dont deux
rejoindront plus tard LTCM.
John Meriwether est devenu un membre influent du conseil d’administration,
mais le vent tourne. Paul Mozer, l’un de ses traders, lui avoue avoir
falsifié une adjudication de bons du Trésor, en février 1991, pour en
accaparer une plus grosse part que le quota autorisé par la loi. Bien que
Meriwether ait immédiatement transmis cette information au conseil de
direction, c’est la SEC, le gendarme de la Bourse américaine, qui découvre elle-même
le pot aux roses six mois plus tard. Le scandale éclate. Salomon doit payer
290 millions de dollars d’amende. Le trader est condamné, le président
démissionne. John Meriwether verse une amende amiable de 50 000 dollars et
donne sa démission au milliardaire Warren Buffett, qui vient de prendre en
main le redressement de la banque.
Le surdoué des salles de marché disparaît de la scène publique pendant
deux ans. Il quitte son appartement de Manhattan et s’installe avec son épouse,
Mimi, dans leur propriété de 27 hectares, au nord-est de New York. Pour Mimi,
ancienne championne d’équitation, John transforme la grange en écurie de
pur-sang. Catholique pratiquant, Meriwether est régulièrement aperçu à la
messe, quand il ne part pas avec d’anciens collègues de Salomon pour un
week-end de golf sur le terrain qu’ils ont acheté quelques années plus tôt en
Irlande. Mais l’esprit de Meriwether est trop actif pour se contenter d’une
retraite dorée. Après avoir dominé les parties de poker menteur et
les stratégies d’arbitrage, il imagine une nouvelle joute intellectuelle pour
défier les marchés : LTCM.
Au bout de longs mois de préparation, Long Term Capital Management voit le
jour en février 1994. L’idée de Meriwether est simple : donner une nouvelle
dimension à ce qui a fait son succès chez Salomon. Jusqu’à l’arrivée de
Meriwether, les salles de marché de Wall Street ne sont pas des repaires de
forts en thème. En 1968, la moitié des dirigeants de Salomon sont des
autodidactes. Mais les marchés entrent bientôt dans une phase de
sophistication qui avantage les intelligences les plus aiguisées. Meriwether
en prend conscience et s’entoure chez Salomon de scientifiques bardés de
diplômes auxquels il apprend la Bourse. Il les veut avec lui chez LTCM.
Meriwether débauche une à une les stars de Salomon Brothers
La plus belle conquête de Meriwether dans les milieux académiques est sans
doute Myron Scholes, professeur et chercheur à l’université de Stanford,
qu’il persuade de venir passer une année sabbatique dans la salle des marchés
de Salomon. Excellente intuition. Des années plus tard, en 1997, le
modèle mathématique d’évaluation des options inventé par Myron Scholes et
Robert Merton leur vaut le prix Nobel d’économie. Tous deux sont dès
le début associés fondateurs de LTCM, aux côtés d’autres traders de Salomon,
comme William Krasker, ancien professeur de Harvard.
Le nouveau fonds récupère ainsi un à un les meilleurs éléments de Salomon
: Eric Rosenfeld, son responsable des emprunts d’Etat ; Hans Hufschmid,
directeur des opérations de change ; Gregory Hawkins, chef des emprunts
hypothécaires ; Richard Leahy, directeur du marketing ; James McEntee, trader
en bons du Trésor, et Lawrence Hilibrand, une brillante recrue du
Massachusetts Institute of Technology devenue le plus jeune directeur général
de Salomon, à 27 ans, et le golden boy le mieux payé en 1991, avec un revenu
de 23 millions de dollars. Pour enrichir encore cette dream team, comme la
qualifie alors Business Week, Meriwether débauche également le vice-président
de la banque centrale des Etats-Unis, David Mullins. Comment ne pas faire
confiance à des personnages aussi talentueux qu’intègres ?
Merrill Lynch est chargé de trouver 1,25 milliard de dollars pour
commencer
Voulant démarrer tout de suite dans la cour des grands, LTCM confie à la
Banque Merrill Lynch la délicate mission de trouver les 1,25 milliard de
dollars nécessaires au déploiement de ses nouvelles stratégies. Les termes du
contrat sont pourtant sévères : chaque investisseur doit apporter au moins 10
millions de dollars, qui resteront bloqués trois ans. Il n’a aucun droit de
regard sur les transactions effectuées par LTCM et doit se contenter du
compte rendu évasif que lui adresse chaque mois John Meriwether. Même les
commissions sont parmi les plus élevées de la place : 2 % des fonds investis
et 25 % des gains réalisés reviennent chaque année aux gestionnaires. Mais
l’équipe jouit d’une telle réputation qu’aucune personne sérieuse de Wall
Street n’ose douter de son infaillibilité.
LTCM exerce une telle fascination que le gratin des banquiers
new-yorkais se précipite pour lui confier ses économies. David
Komansky, le président de Merrill Lynch, y place personnellement 800 000
dollars, et 123 cadres de la banque y investissent 22 millions de dollars.
Deux dirigeants de Bear Sterns, James Cayne et Warren Spector, apportent 10
millions de dollars chacun. Un des patrons de Paine Webber et d’autres
personnalités de Manhattan, notamment des associés de McKinsey, succombent à
la tentation. A l’étranger, la banque suisse Julius Baer vante les mérites de
LTCM à ses clients fortunés.
Pour établir des relations étroites avec les plus grandes institutions
financières de la planète, LTCM propose à celles qui veulent bien lui confier
au moins 100 millions de dollars de devenir des partenaires, avec qui il
promet d’échanger davantage d’informations. La Banque d’Italie mise 250
millions de dollars sur l’équipe de Meriwether. La banque japonaise Sumitomo,
quatrième mondiale, investit 100 millions de dollars ; la Banque de Chine
l’imite pour le même montant. L’Union de banques suisses (UBS),
le Crédit suisse et la Dresdner Bank font également partie
des investisseurs influents. Plus modeste, la Chase Manhattan Bank ne parie
que 20 millions de dollars sur la création du fonds.
20 % de gains en 1994, 43 % en 1995, 41% en 1996, 17 % en 1997…
Il faut bien admettre que les cerveaux féconds de LTCM ont découvert la
martingale des marchés financiers. Même en tenant compte des commissions
importantes, la performance qui revient aux investisseurs a de quoi faire des
jaloux. 20 % de gains nets sur ses dix premiers mois d’existence en 1994, 43
% en 1995, 41 % en 1996 et un plus modeste 17 % en 1997. La régularité avec
laquelle le hedge fund engrange ses victoires suscite encore plus
l’admiration de Wall Street. Les placements sur lesquels investit LTCM
comportent en eux-mêmes un niveau de risque et une rentabilité dérisoires. Ce
qui rend ses investissements si rémunérateurs, c’est l’effet de
levier, c’est-à-dire le niveau de spéculation pure,
qu’utilise LTCM pour transformer ces gains minuscules en machine à sous
géante.
Le fonds calcule minutieusement la probabilité de succès de ses paris et,
quand il est sûr d’être gagnant, il y investit des sommes pouvant dépasser
largement cent fois sa mise de départ, grâce à des mécanismes financiers
démultiplicateurs. Même en prenant l’outil de mesure du niveau de risque le
plus classique, le ratio Sharpe, qui a valu à son inventeur un prix Nobel
d’économie, LTCM semble quatre fois moins risqué que ses concurrents,
ou quatre fois plus performant pour un niveau de risque équivalent.
Mais le hedge fund profite de sa prospérité pour mener une
croissance exponentielle. Après trois ans d’existence, il aligne 160
employés dans le monde, dont une trentaine de jeunes matheux fraîchement
recrutés par le bureau de Londres. Les associés eux-mêmes voient se
multiplier leur richesse virtuelle. » Leur succès leur est probablement
monté à la tête, explique William McDonough devant le Congrès. Ils ont pris
des positions plus importantes et ont augmenté leur effet de levier à des
niveaux plus élevés en rendant une partie de leur capital à leurs
investisseurs, mais apparemment sans réduire leurs risques. » Fin 1997,
LTCM rembourse ainsi 2,7 milliards de dollars à certains investisseurs, qui
le prennent comme une injure. Le capital du fonds redescend à 4,7 milliards
de dollars. Les associés, qui avaient investi au départ 150 millions de
dollars dans le fonds en empruntant auprès des banques, se retrouvent à la
tête d’une participation de 1,5 milliard. Certains se sont même endettés à
titre personnel pour investir davantage, à l’image de Lawrence Hilibrand et
de Hans Hufschmid, qui auraient respectivement emprunté 24 millions et 14,6
millions de dollars pour les miser sur LTCM.
Lorsque la Russie cesse de rembourser sa dette, LTCM voit sa
stratégie s’effondrer
L’équipe infaillible de John Meriwether semble avoir tout prévu.
Sauf l’improbable.
Une des stratégies de base de LTCM consiste, par exemple, à parier sur un
rapprochement entre les taux d’intérêt et le prix des obligations privées et
ceux des bons du Trésor. En achetant massivement des obligations privées et
en vendant parallèlement des bons du Trésor, LTCM engrange une plus-value si
la relation entre leurs niveaux de risque respectifs redevient normale.
Mais ce qui devait arriver arriva. Les marchés cessèrent soudain
d’obéir aux lois statistiques des prix Nobel. » Ceux de LTCM pensent
sûrement que leur modèle a raison et que le reste du monde a tort « ,
ironise Patrick Young, consultant et créateur du serveur Applied Derivatives
Trading sur Internet.
Avec la crise des marchés émergents, qui conduit, à la mi-août, à la
défaillance pure et simple de la Russie, les investisseurs fuient vers les
titres les plus sûrs, c’est-à-dire les emprunts d’Etat américains, et
délaissent les titres plus risqués dont le cours chute.
Résultat, LTCM voit monter le cours des titres qu’il a vendus sans
les avoir et chuter le cours de ceux qu’il a achetés en empruntant.
Comme il joue sur des sommes et des titres qu’il ne possède pas
réellement, le fonds est appelé à couvrir chaque dollar de perte en versant
immédiatement de l’argent, sans quoi ses positions seront liquidées. LTCM
perd ainsi 750 millions de dollars en mai et juin, puis 1,7 milliard en août,
et à nouveau 1 milliard sur les trois premières semaines de septembre. A ce
rythme, son capital plonge de 4,7 milliards à la fin de 1997 à 1,5 milliard
le vendredi 18 septembre, jour où la nouvelle d’une probable faillite arrive
aux oreilles du gouverneur de la réserve fédérale de New York.
Les événements s’accélèrent. » Après avoir consulté Alan Greenspan
et le secrétaire au Trésor, Robert Rubin, nous avons conclu qu’une visite aux
bureaux de Long Term Capital était nécessaire « , raconte William
McDonough, le président de la Fed de New York. Une délégation de la Fed et du
Trésor se rend alors à Greenwich, dès le dimanche 20 septembre, pour
rencontrer les associés de LTCM.
» L’équipe comprend alors l’impact que les positions de Long
Term Capital ont déjà sur les marchés du monde entier, et que l’importance de
ces positions est beaucoup plus grande que ce que les marchés imaginaient
« , explique William Mc Donough.
Les responsables de la Fed arrivent à la conclusion qu’une
liquidation du fonds entraînerait des centaines de milliards de dollars de
transactions qui ne trouveraient pas de contreparties, et causeraient
plusieurs milliards de dollars de pertes aux quelque 75 banques
internationales qui, sans même avoir investi dans LTCM ni lui avoir prêté
d’argent, se sont simplement engagées dans des transactions avec le fonds.
Face à cette menace de panique financière et de baisse sans fin des marchés
qui risquait de peser sur l’économie tout entière, les dirigeants de
la Fed invitent les banques de Wall Street à établir un plan de
sauvetage.
Pendant que les banquiers s’étripent sur les conditions de leur
participation à un tel plan, John Meriwether, lui, continue de rester maître
de son jeu. Quand Warren Buffett lui propose, le 23 septembre à midi, de
racheter l’intégralité du fonds pour 250 millions de dollars et d’y
réinjecter 3,725 milliards, Meriwether refuse en faisant valoir qu’il ne peut
pas, juridiquement, engager les autres associés sans leur signature.
Au président de la Fed de New York, il explique que le plan de Warren
Buffett est techniquement irréalisable. Les observateurs qui connaissent le
roi du bluff estiment qu’il était conscient de tenir encore ses adversaires
avec la menace d’une faillite qui les ruinerait s’ils ne lui offraient pas
une sortie honorable. Réunis le soir même dans le bureau du conseil
de la Fed de New York, derrière les lourdes portes en fer forgé de la banque,
les patrons de quatorze institutions financières capitulent. Ils
injecteront 3,625 milliards de dollars pour éviter la faillite de LTCM, et
laisseront une part de 10 % à Meriwether et à ses associés pour les inciter à
désamorcer leur bombe sans faire de vagues.
950 millions de francs suisses de pertes pour l’UBS, dont le président va
sauter
L’affaire LTCM avait pourtant trop de ramifications pour qu’un
simple plan de sauvetage suffise à l’enterrer. Ses premières victimes sont
les banques elles-mêmes. Après quelques démentis et messages rassurants,
elles sortent l’une après l’autre les cadavres des placards. Le 26 septembre,
l’UBS annonce une provision de 950 millions de francs suisses pour faire face
à ses pertes, quasi certaines, sur LTCM. Le lendemain, la Dresdner Bank
provisionne 240 millions de marks. Le 1er octobre, Merrill Lynch rend public
le montant de son exposition aux hedge funds : 2 milliards de dollars, dont
1,4 milliard auprès du seul LTCM, ce qui explique son empressement à le
sauver. Depuis, cela tombe comme à Gravelotte : Bankers Trust, Chase
Manhattan, Crédit suisse, First Boston sont contraints de reconnaître des
centaines de millions de dollars de pertes ou de provisions. Contrairement à
ce qu’elles ont d’abord tenté de faire croire, les banques françaises
seraient aussi impliquées. Paribas admet le premier avoir prêté 33 millions
de dollars à des hedge funds, dont la moitié à LTCM qui l’aurait remboursé
depuis. DLJ, une filiale d’Axa, reconnaît le 7 octobre que ses engagements
sur les hedge funds atteignent 106 millions de dollars, dont 97 %
théoriquement couverts par des dépôts de garantie. Après une révélation du
Wall Street Journal, le Crédit lyonnais admet avoir prêté 34 millions de
dollars aux associés de LTCM.
Le surdoué des marchés chez Paribas est licencié sans
ménagement
Bien que la Société générale démente tout lien avec cette affaire, sa
participation au plan de sauvetage inquiète ses actionnaires. Par ailleurs,
selon nos informations, la BNP aurait prêté davantage d’argent aux hedge
funds qu’elle ne veut bien le dire. Enfin, les sicav du Crédit agricole ont
avoué avoir perdu près de 180 millions de francs investis sur LTCM.
Les sanctions pleuvent. Mathis Cabiallavetta, président de la
troisième plus grosse banque du monde, l’UBS, démissionne le 3 octobre, pour
endiguer la colère des actionnaires et stopper le plongeon du titre.
Quelques traders vedettes sont remerciés. La CPR se sépare de son directeur
des opérations de trading pour compte propre, tandis qu’à New York, le
surdoué des marchés émergents de Paribas qui avait, dit-on, empoché l’an dernier
un chèque plus gros que celui du président, André Levy-Lang, est licencié
sans ménagement. La Banque ING Barings annonce le licenciement de 1 200
personnes. Quelques jours plus tard, Merrill Lynch sacrifie 4 300 personnes.
Des centaines d’autres licenciements sont attendus chez Bankers Trust, tandis
que Salomon Smith Barney devrait réduire ses effectifs.
M. Mathis Cabiallavetta,
Bio: Mathis Cabiallavetta est directeur de Philip Morris International et
de BlackRock.[1]
Mr. Cabiallavetta est président de Marsh & McLennan Companies et
membre de MMC International’s Advisory Board.
Avant de joindre MMC en 1999, Mr. Cabiallavetta état président de Union Bank of Switzerland, qui est
devenue UBS AG,
qu’il avait intégrée en 1971.
Mr. Cabiallavetta occupe la fonction de Directeur de la Swiss
American Chamber of Commerce. (Wikipédia)
Il
est aussi vice-président de Swiss Re
Les conséquences sont aussi démesurées pour l’ensemble des marchés
financiers. L’onde de choc de la crise LTCM et le dénouement des positions
spéculatives des hedge funds se font sentir sur tous les marchés de la
planète. Si l’on ajoute le capital perdu des actionnaires, les prêts
irrécouvrables des banques et l’argent du plan de sauvetage, LTCM a déjà
englouti 110 milliards de dollars (600 milliards de francs français) dans son
naufrage. Mais ses engagements sur les marchés dépasseraient au total plus de
1 000 milliards de dollars. Dénouer de telles positions provoque des
remous sur tous les marchés. Et la baisse du dollar à partir du début du mois
d’octobre en est l’une des conséquences indirectes.
Qu’un homme seul, ou presque, avec une ambition forcenée, une formule
mathématique magique, un goût du risque poussé à l’extrême et une confiance
en lui infinie, ait pu déséquilibrer l’économie mondiale, c’est la marque des
années 90, celles de l’explosion des marchés financiers. Avec la déconfiture
de LTCM, une page est tournée. La frayeur causée par Meriwether fut telle,
que le consensus est en train de se créer dans les banques centrales sur la
nécessité de contrôler l’activité des hedge funds. Une conclusion
inattendue pour un bluff à 600 milliards de francs (français)…
Les cinq étapes d’une spéculation à hauts risques
Pour démarrer, LTCM collecte 1,25 milliard de dollars auprès
d’investisseurs institutionnels et de clients fortunés. Fin 1997, compte tenu
des souscriptions et des remboursements effectués, LTCM dispose d’un capital
de 4,7 milliards de dollars.
- Emprunter auprès des banques
Pour augmenter sa capacité d’investissement, LTCM emprunte auprès des
banques grâce à des mécanismes allant du prêt classique au financement
structuré. Ces dettes étaient de 125 milliards de dollars fin 1997, et encore
de 100 milliards fin août 1998.
Sur les marchés à terme, on peut parier beaucoup. A Chicago, 10 milliards
de dollars permettent d’acheter pour 370 milliards de dollars de contrats à
terme sur emprunts d’Etat. En cas de baisse de 1 % , il faut déposer un appel
de marge de 3,7 milliards.
En dehors de ses positions au bilan, LTCM pouvait conclure des contrats de
swap (crédit croisé) hors bilan. Cette technique permet de recevoir une somme
d’argent contre la promesse de payer la différence entre deux taux d’intérêt
si l’un d’entre eux monte.
En jouant ses dettes sur les marchés à terme, LTCM aurait, selon la
rumeur, accumulé des positions totales de 1 300 milliards de dollars. En
général, la plupart de ces positions se neutralisaient. Mais un déraillement
de 2 % mettait LTCM en faillite.
Les » hedge funds » : à l’origine, l’invention d’un
journaliste financier…
La seule caractéristique commune à tous les hedge funds est d’être
des fonds d’investissement échappant à toute réglementation et dont les
gestionnaires prélèvent une grosse partie de la performance en commissions.
De nombreux hedge funds méritent l’appellation de fonds à risques, de fonds
spéculatifs ou de fonds d’arbitrage. Le terme de hedge fund remonte à
l’invention du premier fonds de couverture (hedge en anglais) par un
journaliste financier, à la fin des années 40. Il fut le premier à gérer son
portefeuille en se protégeant contre une baisse généralisée de la Bourse en
achetant la meilleure action d’un secteur et en vendant simultanément la
moins bonne. Il neutralisait les hausses et les baisses pour ne plus jouer
que sur l’évolution de l’écart entre ces deux titres. Ces stratégies ont été
déclinées sur d’autres marchés. Avec le développement des marchés à terme,
les hedge funds ont découvert que l’effet de levier des produits dérivés leur
permettait de démultiplier leurs paris.
Une étude réalisée par le consultant américain Cerulli Associates
estime qu’il existait 4 500 hedge funds dans le monde à la fin de 1997,
contre 1 000 en 1990. Deux tiers de ces hedge funds sont américains, et un
tiers sont domiciliés dans des paradis fiscaux. Les fonds de LTCM, par
exemple, étaient gérés aux Etats-Unis mais domiciliés dans les îles Caïmans. Les
clients des hedge funds sont principalement des individus fortunés (80 % des
actifs), mais la part des investisseurs institutionnels augmente (20 % en
1997, contre 5 % en 1990). Enfin, la plupart des hedge funds prennent le
risque de perdre plus qu’ils n’ont : 81 % d’entre eux misent couramment entre
deux et trois fois leur capital.
L’équation par qui la tempête financière est arrivée
Cette formule d’évaluation du prix des options a valu à ses
inventeurs le prix Nobel d’économie en 1997 et le prix mondial du fiasco
financier en 1998. Pour Richard Olsen, chercheur en finance à
Zurich, la faille de cette formule est qu’elle suppose une
distribution statistique normale de la performance des
marchés selon la loi de Gauss. » La volatilité extrême des
marchés est en réalité trois fois plus importante « , explique Richard
Olsen.
(1) » Poker menteur « , de Michael Lewis, éditions Dunod, mai
1990, 316 pages.
Knight Capital est sauvé. Le courtier américain, qui avait perdu
440 millions de dollars (355 millions d’euros) la semaine dernière à la suite
d’un bug informatique, est parvenu à réunir 400 millions de dollars pour
éviter la faillite, lundi 6 août. Six investisseurs, dont son concurrent
Getco, détiendront à terme plus de 70 % de ce courtier « de gros »
– il sert d’intermédiaire avec des intervenants plus petits.
L’ampleur et la rapidité de la mobilisation, intervenue durant le
week-end, sont à la mesure de l’émoi suscité. En effet, le 1er août, Knight
Capital a provoqué un mini-krach à la Bourse de NewYork : plus de 140 titres
ont connu des mouvements anormaux. En cause : un « problème
technique » lors de l’installation d’un nouveau logiciel de passage
d’ordres.
« Il a fallu près d’une heure pour apprendre que le problème
venait d’un algorithme de Knight Capital. Ce logiciel a envoyé des ordres par
centaines et fait exploser les cours », raconte Gregori
Volokhine, président du gérant Meeschaert aux Etats-Unis.
C’est que Knight est un poids lourd à Wall Street : il gère près de 15 %
des actions traitées quotidiennement sur le marché américain. Soit quelque 20
milliards de dollars, huit fois le volume échangé sur le CAC 40 !
SUBMERGÉ
Le courtier est aussi un habitué du trading haute fréquence, qui consiste
à passer des ordres de Bourse automatisés à des vitesses toujours plus
rapides grâce à des programmes informatiques très sophistiqués. Trop, selon
ses détracteurs, à qui l’incident du 1er août a donné du grain à moudre.
« Le trading automatisé montre ses limites lorsqu’il devient
incontrôlable », déplore Benoît Lallemand, de
l’ONG Finance Watch, qui souligne qu’il a fallu une demi-heure au courtier
pour arrêter sa machine.
Si les clients de Knight Capital n’ont pas été affectés, le
courtier a vite été submergé par sa « paume », qui l’a lesté de
plus de 4,5 milliards de dollars d’actions en quelques minutes. La banque
Goldman Sachs a dû intervenir en urgence, le soir du 1er août. Elle a racheté
les actions non désirées à prix cassé pour aider Knight à « passer la
nuit », rapporte le Wall Street Journal.
Le courtier a ainsi pu limiter sa perte à 440 millions de dollars.
Ce dernier ne disposait que de 365 millions de dollars de trésorerie, d’où la
recapitalisation du week-end.
L’affaire serait donc close ? Rien de moins sûr. « La
technologie de Knight était très réputée, autant que le contrôle du risque de
JPMorgan, souligne M.Volokhine. Il faudra du
temps pour rétablir la confiance. »
De nombreux clients ont, en effet, délaissé le courtier. NYSE-Euronext,
l’opérateur de la Bourse de New York, a provisoirement retiré à Knight
Capital son mandat de teneur de marché – qui lui permet d’acheter et de
vendre des actions. Plusieurs analystes évoquent le risque de démantèlement
du groupe au profit de ses concurrents, alors que l’action Knight a perdu
plus de 70 % de sa valeur depuis la semaine dernière.
Audrey Tonnelier
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