Y a-t-il eu un accord de Shanghaï pour affaiblir le dollar?
Avant-propos:
Voici une excellente analyse de Bruno Bertez sur le comportement des
devises et ses conséquences sur les marchés.
On voit bien que dans les moments -clés, le marché s’appelle « accord
de Shangaï », « réunion du Plaza », G20, etc.
La libre loi du marché n’existe que dans un cadre défini ou rectifié par
les uns et les autres. Sans oublier les ententes cartellaires qui jalonnent
les faits divers de la finance.
Autant dire que le marché totalement libre n’existe pas plus qu’une
économie libérale.
On laisse aller quand on veut et on intervient quand on veut…
Ranger les modèles économiques et observer est la voie de la sagesse
du 21ème siècle.
Une seule constante accompagne toutes les actions: le court terme. Aucune
stratégie sur le long terme n’est lisible. On gagne un maximum à court terme
et on fait le service minimum pour que le tout ne collapse pas… en tout cas
pas tout de suite.
Voilà une preuve de plus pour penser que l’effondrement global n’arrivera
que lorsque la nouvelle gouvernance mondiale, avec ses structures organisées
en myriades d’entités autonomes, sera fin prête.
Liliane Held-Khawam
Bruno Bertez, Agefi Suisse MERCREDI, 11.05.2016
LA BAISSE DU DOLLAR A ÉTÉ ORCHESTRÉE LORS DU G20 ET ELLE A PERMIS LA
FORTE REPRISE DU PÉTROLE DES COMMODITIES ELLE RAPPELLE LA RÉUNION DU PLAZA EN
1985.
La semaine écoulée n’a pas été bonne pour le risk-on. La bonne tenue
relative du S&P américain peut faire illusion, mais illusion seulement.
Les indices ont bien résisté, mais il y eu des silos de faiblesse
significatifs comme les biotechs en chute de 5%. Tous les véhicules de risque
ont été étrillés et sévèrement quelque fois: émergents, High Yield, matières
premières, et surtout les banques.
Les médias ont considéré cette fuite devant le risque comme une
conséquence des indicateurs économiques: en cause, ceux qui confirment la
réalité du ralentissement de la croissance mondiale. Nous sommes plus sceptiques,
car le ralentissement de la croissance, c’est de l’histoire ancienne et la
confirmation par les chiffres de l’emploi américain est arrivée plus tard,
bien plus tard. Les dégâts étaient déjà réalisés. Par ailleurs les analyses
un peu fines montrent que l’emploi n’a peut-être pas été si «doft» qu’il
apparait.
Comme à l’accoutumée, il faut considérer que le retournement est
surdéterminé:
l le rally de février s’est épuisé sans relais;
l le report de la hausse des taux de la Fed, c’est de l’histoire ancienne,
même si «ils» essaient de nous tenir haleine;
l il y a une fatigue à soutenir un marché à bout de bras et c’est déjà une
bonne raison de baisse;
l des grands vrais gourous respectés comme Druckenmiller sont venus nous
dire «vendez tout, sortez des marchés», «get out of the stockmarket»et ce
sont des gens crédibles, eux, pas des banquiers;
l les marchés sont faits pour baisser et il faut sans cesse dépenser de
nouvelles forces, faire de nouveaux discours, de nouvelles promesses pour les
empêcher de faire ce qu’ils ont envie spontanément de faire;
l les dopages ne font effet qu’un temps, surtout quand ils sont verbaux.
La baisse, aurions nous tendance à dire, était dans l’ordre des choses et
c’est la hausse, le rally qui a démarré en février qui était
l’artifice.
Le marché japonais a perdu plus de 3%, l’Europe est de plus en plus
baissière avec un déchet de 5%, les émergents sont en recul de 4,7% et tout
est l’unisson. La Chine n’a reculé que de 1%, mais le secteur financier à
Hong Kong a chuté de 5% soit 8% en deux semaines.
Les nouvelles chinoises ne sont pas bonnes en particulier du côté
des défaillances du marché obligataire, il y a déjà eu 22 défauts
depuis le début de l’année. Les spécialistes s’inquiètent des «bad
loans» dissimulés dans les bilans des banques: selon CLSA Ltd, firme
très respectée, les «bad loans» des banques chinoises sont neuf fois plus
importants que les chiffres officiels et ils pourraient représenter plus de 9
trillions de yuans!
Le FMI estime que 1,3 trillion de dette corporate est dû par
des sociétés qui réalisent moins de chiffres d’affaires qu’elles n’ont de
paiement d’intérêt à effectuer. Le refinancement des dettes en cours
en Chine va être problématique. Enfin, le marché du financement de gros des
banques, le marché des «repos» donne de sinistres indications.
Le balancier risk-on /risk-off a joué, les Treasuries américaines ont été
recherchées et les spreads de risque sont dilatés sur tous les segments de
marché. Avec une mention particulière pour les périphériques européens,
candidats habituels, Portugal, Espagne, Italie.
Les mesures particulières, spécifiques comme le nouveau QE de Draghi ou le
coûte que coûte étendu à la Chine, ne semblent pas calmer les appréhensions. Pas
plus que la généralisation des taux négatifs qui touchent maintenant 9,9
trillions d’actifs financiers dans le monde. La bulle financière a
éclaté et les fuites se manifestent un peu partout, à la marge du système.
Les sinistres financiers démarrent toujours sur les franges, jamais au
Centre. Cette semaine, c’est l’Afrique du Sud qui a été particulièrement
attaquée, mais la Russie, la Corée, la Malaisie et l’Indonésie n’ont pas été
épargnés.
Une mention tout à fait spéciale doit être faite pour la Turquie.
On en parle beaucoup au plan politique et géopolitique, mais la situation
économique et financière est inquiétante: les primes pour assurer
la dette Turque s’envolent et les taux d’intérêt à 5 ans se rapprochent de
10%. Les actions ont chuté de 8% en une seule journée,
tandis que la monnaie plongeait de 4% contre le dollar! La dette extérieure
est très élevée et les banques ont de très lourds engagements de court terme
vis à vis de l’étranger. La Turquie est une catastrophe en attente d’arriver.
La vraie nouvelle importante, pour nous, c’est l’arrêt de la baisse du
dollar, il a remonté de 0,8% au dollar index à 93,81. Sa baisse depuis le
premier janvier reste de près de 5%. On sait que c’est la baisse du dollar
qui a permis de désamorcer les dernières crises, celle d’août 2015 et celle
de janvier 2016. Donc on ne s’étonnera pas si le regain de fuite devant le
risque coïncide, est corrélé à un redressement du dollar.
Le lien n’est pas psychologique, il est organique; un dollar en hausse
produit des difficultés pour tous ceux qui se sont endettés en dollars et
pour toutes les banques qui dépendent du «dollar funding». En sens
inverse un dollar plus abondant et moins cher permet d’alléger les tensions
financières globales, de lutter contre ce qu’ils appellent «le resserrement
des conditions financières».
En février 2016, le système mondial était à nouveau au bord du collapse. A
un point tel que les grands argentiers ont du se concerter téléphoniquement
en urgence pour établir une réponse. Celle ci est venue lors de la réunion du
G20 à Shanghai. Yellen, Jack Lew, Draghi, Lagarde et autres Chinois et
Japonais ont élaboré une réponse concertée. Elle fut efficace comme
le prouve le fantastique rally qui a fait regagner trois trillions au marché
américain.
On ignore le contenu de ces accords et de ces concertations, simplement,
on en a vu le résultat: la baisse du dollar. Elle a été
orchestrée, elle a permis la forte reprise du pétrole et des matières
premières, par le jeu des corrélations monétaires historiques, et comme le
complexe des commodities était leader sur les marchés, il les a entrainé
tous.
Certains commentateurs qui connaissent un peu l’histoire ont tracé un
parallèle avec ce qui s’est passé en 1985, lors de la fameuse réunion du
Plaza. Il avait été décidé de favoriser un décrochage du dollar.
Ce n’est certainement pas un hasard si cette comparaison a été
soufflée aux médias, elle facilite la tache des régulateurs. Elle leur donne
plus de pouvoirs qu’ils n’en ont réellement. Elle va dans le bon sens
puisqu’elle permet de peser sur le prix du dollar et sur celui de son
compagnon de peg, le yuan. Elle permet d’affaiblir les deux devises
clefs du monde global.
En tant que mesure de court terme, cette hypothèse d’un accord de Shanghai
est crédible car elle correspond à un intérêt commun: éviter une révulsion
des marchés financiers et des systèmes bancaires. Cependant en tant
que mesure de long terme pour restaurer la croissance réelle des économies
mondiales, elle est tout à fait inadéquate, elle ne fait que partager et
répartir la demande. Elle laisse entier les problèmes du Japon, de l’UE et
celui de la transition/ralentissement chinois.
Nous sommes dans un monde de Currency War qui ne veut pas être nommé
et tous les accords monétaires ne peuvent être que de pure circonstance,
accords de court terme. Les manipulations sur les changes peuvent être
acceptées par tous les participants mais à une condition: elles doivent être
transitoires, et permettre de gagner du temps.
Gagner du temps avant qu’un nouveau grand plan, non-conventionnel
soit mis au point pour sortir de l’impasse dans laquelle les banquiers
centraux se sont mis.
Bruno Bertez
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