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1.
Les trois temps.
La vie laborieuse des Français a, annuellement, trois grands temps :
- un premier qui va de janvier à juillet pendant lequel elle travaille
pour l'Etat, c'est l'esclavage moderne (cf. Contribuables associés : le
jour de libération fiscale ) ;
- un deuxième qui va de mi-juillet à début octobre
où elle travaille pour soi en toute sérénité
– au moins faut-il le croire -, la sérénité
étant d'autant plus grande que mi juillet-août règnent les
"V...acances" ;
- le troisième où elle travaille pour soi mais désormais
sans sérénité car gouvernement et parlementaires sont
aux prises pour décider d'ici la fin de l'année les
caractéristiques de la période d'esclavage moderne de
l'année suivante.
En cette année 2009, le troisième temps vient de commencer.
2. Loi de finances
de l'Etat et loi de financement de la sécurité sociale.
Hier, une loi et une seule décidait des caractéristiques de la
période d'esclavage : la loi de finances.
Son unicité donnait d'autant plus d'importance à ce dont elle
procédait (l'Etat soumis aux représentants du peuple) et
à ce qui en découlait (le degré d'esclavage).
Aujourd'hui, et cela depuis le milieu de la décennie 1990, deux lois
en décident : la loi de finance (LF) et la loi
de financement de la sécurité sociale (LFSS) .
Cette discontinuité historique atteste, à sa façon, de
l'entrée dans le rang - constitutionnel - du résultat du coup
d'Etat de 1945-46
qui avait débouché sur la création du para-état
qu'est l'organisation de la sécurité sociale (OSS).
Les deux lois LF et LFSS font, chacune, d'abord l'objet d'un projet, puis de
la discussion du projet par le Parlement et enfin d'un vote.
Le projet de loi est concocté par les ministres et leur bureaucratie
– voire aujourd'hui par la Présidence de la République et
ses services - et agrémenté, le cas échéant, de
rapports concoctés par d'autres bureaucrates, qui peuvent être
les mêmes, des "personnalités" ou des
"experts".
Par exemple, la Cour
des Comptes :
"En vertu de la loi organique relative aux lois de
financement de la sécurité sociale (LOLFSS) du 2 août
2005, la Cour est appelée à rendre un avis sur la «
cohérence des tableaux d’équilibre du dernier exercice
clos » avec les comptes des régimes.
Les tableaux d’équilibre du dernier exercice clos, 2008, sont
approuvés en loi de financement, en même temps que ceux pour
l’année en cours et pour l’année suivante.
Ils sont présentés pour les régimes de
sécurité sociale (branches du régime
général d’une part, ensemble des régimes
obligatoires de base d’autre part) et pour les organismes qui concourent
à leur financement (fonds de solidarité vieillesse -FSV- et
fonds de financement des prestations sociales agricoles -FFIPSA-)."
Soit dit en passant, le coût de toute cette
procédure est purement et simplement laissé de
côté par les commentateurs et autres politiques, il n'est jamais
évoqué, personne n'en parle !
3. Recettes et
dépenses.
Le projet de loi décrit et dispose les recettes et les dépenses
de l'institution en jeu.
Dans le cas de la L.F., l'Etat est en jeu, ses recettes résultent
principalement des impôts qu'il lève par l'intermédiaire
du ministère des finances et qui sont l'objet de votes, ses
dépenses de ce que les politiques jugent bon et qui sont l'objet de
votes.
Dans le cas de la L.F.S.S., l'O.S.S. est en jeu, ses recettes
résultent des quantités de monnaie qu'elle
prélève par l'intermédiaire principal qu'est
l'A.C.O.S.S. (agence centrale des organismes de sécurité
sociale qui n'a rien d'une banque et a été créée seulement en 1967),
ses dépenses des quantités de monnaie qu'elle doit verser en
indemnisations ou réparations.
Les recettes sont l'objet de votes en ce qui concerne la
"sécurité sociale maladie", presque pas en ce qui
concerne les autres "branches" de la sécurité sociale
– en particulier, la "sécurité sociale
vieillesse" -.
Rappelons en passant que la notion de "branche" n'est pas
définie juridiquement ! La Cour des comptes a eu l'occasion de le
souligner à plusieurs reprises et de s'en inquiéter.
De même, les dépenses sont l'objet de votes en ce qui concerne
la sécurité sociale maladie (O.N.D.A.M. pour objectif nationale
de dépenses d'assurance maladie) presque pas en ce qui concerne les
autres "branches" de la sécurité sociale – en
particulier, la sécurité sociale vieillesse -
Le projet de loi donne aussi la différence entre le montant en monnaie
des recettes et le montant en monnaie des dépenses de l'institution en
jeu.
Quand les montants des recettes et des dépenses sont égaux, il
est devenu habituel de parler d'"équilibre" des comptes.
Mais il y a une question de mot : on préfère le mot
"équilibre" au mot "égalité".
Qu'ajoute le mot "équilibre" au mot
"égalité" ? Que retranche le mot
"égalité" au mot "équilibre" ? Je
n'entrerai pas ici dans le développement de la réponse à
la question pourtant très importante tant le mot
"égalité" est mis à toutes les sauces par
certains à d'autres occasions.
Quand les montant des recettes et des dépenses sont inégaux, on
parle de "déséquilibre" des comptes.
Et quand le montant des recettes est inférieur au montant des
dépenses, on parle de "déficit".
4. Ah ! les
déficits.
Pour 2010, le déficit de l'Etat selon le projet de LF
2010 s'élèvera à :
€ 116
milliards
(soit 760 milliards de francs français) ;
d'après le projet
de LFSS 2010, le déficit de l'O.S.S. s'élèvera
à: :
€ 30,6
milliards
(soit 200 milliards de francs français).
Autant de chiffres considérables qui devraient faire frémir le
moindre commentateur et, a
fortiori, le moindre contribuable quand on sait que le PIB de
l'année 2008 s'est élevé à :
€ 1950
milliards,
que les recettes fiscales brutes prévues pour 2010 sont de l'ordre de:
€
347 milliards
et que les recettes totales nettes prévues du budget
général sont de l'ordre de:
€
267 milliards.
5. "Eh bien,
non."
D'après les commentaires que j'ai pu lire sur le sujet, on se flatte
surtout que le déficit de l'Etat pour 2010 soit inférieur
à celui de 2009 évalué
aujourd'hui à :
€ 141
milliards
(soit 925 milliards de francs français)
pour l'année entière.
On oublie ainsi, étonnamment, de rappeler qu'il y a un an, le projet
de LF 2009 ne faisait pas apparaître un tel montant, mais un montant de
"seulement"
€ 52 milliards
(340
milliards de francs français)
(je vous renvoie à ce
billet de mon blog pour précision).
Le dérapage qui devrait faire l'objet de commentaires et de
débats a donc été de :
€ 89 milliards
(585 milliards de
francs français)
et dans le sens
contraire de celui qui est avancé, à savoir dans celui de la
hausse (de 89 à 116 milliards) et non pas dans celui de la baisse (de
141 à 116 milliards).
Pour les cinquante dernières années, l'évolution du
déficit de l'Etat est retracée sur le graphique 1 qui suit :
Graphique 1
Evolution du
déficit de l'Etat
années 1960-2012
(en % du PIB)
Source : Sénat
Ce graphique 1 ne doit pas faire oublier ni les augmentations des assiettes
et autres taux de "prélèvements" supportées
par les "assujettis", ni les privatisations d'entreprises publiques sans
quoi les déficits eussent été plus grands encore.
A l'opposé, on semble se réserver à l'égard du
déficit de l'O.S.S. qui, d'après le projet de L.F.S.S. 2010,
est largement supérieur à celui de 2009 évalué
aujourd'hui à :
€ 23,5
milliards
pour l'année entière.
On ne signale pas qu'il avait été voté à
"seulement" :
€ 9,6
milliards,
soit une dérive de :
€ 13,9 milliards.
pas très éloignée de 100 milliards de francs
français.
Pour le seul régime
général de l'O.S.S., l'évolution du
déficit ces trente dernières années est donnée
par le graphique 2 qui suit :
Graphique 2
Evolution du déficit du régime général
de l'organisation de sécurité sociale
années 1980-2009
(en milliards d'euros
Source : Sénat.
Ce graphique 2 ne doit pas faire oublier là encore les augmentations
des assiettes et taux de "prélèvements"
supportées par les "assujettis", voire les réductions
de prestations, sans quoi les déficits eussent été plus
grands.
6. Le marché
financier : condition d'existence d'un déficit étatique ou para
étatique permanent.
Pour qu'un déficit étatique ou para étatique puisse exister
ailleurs que sur le papier, dans un monde où les banques centrales
n'escomptent pas automatiquement les dettes des Etats et ne transforment pas
ainsi la monnaie en fausse
monnaie, il faut qu'il existe des gens qui non seulement épargnent
mais encore soient prêts
à prêter aux Etats ou para états, i.e. à
mettre sous forme de titres de créance sur l'Etat ou le para
état tout ou partie de leur épargne.
L'ensemble du processus n'est rien d'autre que ce qu'on dénomme
"marché financier".
Pour que le déficit acquiert une réalité, il faut donc
que le marché financier existe.
Et pour que les déficits existent de façon permanente, il faut
aussi que le marché financier fasse preuve d'une efficacité
certaine car, au "financement" du dernier déficit, s'ajoute
la gestion de l'endettement accumulé, des créances
détenues non venues à maturité.
7. "Soyons
logiques".
Dans ces conditions, libre aux politiques d'anathémiser le
marché financier - pour ne pas parler du capitalisme
financier -, libre à ceux-ci de le charger de tous les
péchés du capitalisme, libre à eux, par exemple,
d'affirmer que l'ajustement
financier et économique en cours illustre un de ces
péchés, libre à eux de vénérer la
consommation, ils devraient tout de même prendre en
considération que, s'il n'existait pas et n'avait pas
évolué d'une façon remarquable, en particulier à
la fin du XXème siècle, jamais ils n'auraient eu la
capacité de donner vie aux déficits de leurs souhaits.
Et, en conséquence, jamais ils n'auraient eu la capacité de
mener jusqu'à aujourd'hui leur politique
de redistribution si destructrice.
Loin d'être "l"empêcheur de tourner en rond", le
marché financier est, au contraire, un tremplin qui permet à la
politique de redistribution de faire des sauts toujours plus
périlleux.
Mais cela pourra-t-il durer encore longtemps ? Impunément?
J'aurai l'occasion de donner des réponses à la question dans de
prochains billets.
Georges Lane
Principes de science économique
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Georges
Lane enseigne l’économie à
l’Université de Paris-Dauphine. Il a collaboré avec Jacques
Rueff, est un membre du séminaire J. B. Say que dirige
Pascal Salin, et figure parmi les très rares intellectuels
libéraux authentiques en France.
Publié avec
l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits
réservés par l’auteur
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