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1. La course
poursuite entre la monnaie libre et la monnaie monopolisée
obligatoire.
Jusqu’à récemment - à l’échelle de
l’histoire -, la monnaie n’avait pas été un
problème économique.
Bien au contraire, innovation économique majeure, depuis la nuit des
temps, elle avait permis de réduire le coût de
l’échange et d’accroître en conséquence les
échanges et les gains à l’échange.
Elle est devenue problématique quand les hommes de l’Etat ont
commencé à vouloir la monopoliser pour en tirer des revenus.
Mais le processus d’innovation en matière de monnaie a permis
encore de s’affranchir du monopole, en partie seulement.
Qu’à cela ne tienne, les hommes de l’Etat ont
cherché à récupérer la rente en totalité.
Mais de nouveau, l’innovation a frappé …, etc.
Bref, une espèce de course poursuite entre l’innovation et la
réglementation étatique en matière de monnaie a pris en
définitive le départ dans le passé et le monde la vit
intensément depuis le début du deuxième tiers du
XXème siècle, sans toujours la prendre en considération.
2. Du vrai et du
faux.
2.A. Du
côté de chez Rueff.
Hier, en particulier depuis la décennie 1950, Jacques Rueff
s’était efforcé de familiariser la
"communauté scientifique économique", mais aussi le
public, avec les concepts de "faux droit" et de "fausse
créance", le concept de faux droit généralisant
celui de fausse créance qu’il avait introduit
antérieurement dans son livre intitulé L'ordre social
(décennie 1940).
"Un droit est vrai ou faux suivant que son volume est égal ou
supérieur à la valeur des richesses qu’il enveloppe
[…] selon qu’ils [les droits] auront ou non contenu à leur
mesure, ils seront vrais ou faux". (Rueff, 1967)
"Pour que faux droits il y ait, il faut que certains droits, tels les
droits des obligataires, soient l’objet d’une définition a priori …
Les procédures attributives de faux droits sont celles qui
introduisent, au passif [d’un patrimoine], des droits d’un volume
supérieur à la valeur des richesses qu’elles font entrer
dans l’actif". (ibid.)
Surtout, Rueff avait expliqué qu’en conséquence des faux
droits, la monnaie ne pouvait devenir qu’un "égout collecteur" … de
ceux-ci.
2.B. Du
côté de chez Pareto.
Pour sa part, un demi siècle auparavant, Vilfredo Pareto, à qui
Rueff ne se réfère pas, avait distingué la vraie et la
fausse monnaie.
"On a une vraie monnaie lorsque les prix résultent
d’échanges absolument libres" (Pareto, 1896, §270)
Et il en tirait la conséquence que :
"Lorsque les prix s’établissent en une vraie monnaie
[…] le problème de l’équilibre économique
est entièrement déterminé". (ibid., §287)
S’agissant de la fausse monnaie, il écrit :
"Toute monnaie qui n’est pas de la vraie monnaie est ou de la
monnaie fiduciaire ou de la fausse monnaie :
c’est de la monnaie fiduciaire si chaque individu l’accepte et la
donne de plein gré […]
c’est de la fausse monnaie si elle est mise en circulation ou maintenue
en circulation par la fraude ou par la violence même
légale". (ibid.
§271)
"Entre la monnaie fiduciaire et la fausse monnaie se trouve la monnaie
qui a cours légal, mais qu’on peut changer à
volonté au pair contre la vraie monnaie". (ibid. §274)
Et il en tirait la conséquence que :
"Lorsque les prix s’établissent en fausse monnaie, on a une
inconnue de plus, c’est-à-dire le prix d’un vrai
numéraire en cette fausse monnaie" (ibid. §287)
"Il faut une condition de plus pour que le problème soit
déterminé" (ibid.
§287).
"Cette solution est donnée généralement en fixant
la quantité de monnaie". (ibid.
§287)
"Avec la fausse monnaie, il y a une infinité de positions
d’équilibre stable [...]
Mais ces positions ne diffèrent que nominalement" (ibid. §289)
"Par conséquent, on peut considérer comme étant
libre l’émission de la vraie monnaie, tandis que celle de la
fausse monnaie doit être réglée" (ibid. §288)
2.C. Du
côté de chez Keynes.
Dans la décennie 1930, John Maynard Keynes, qui ne cite pas Pareto non
plus dans sa théorie
générale, s’efforcera d’y montrer,
certes avec un autre vocabulaire, comment la fausse monnaie doit être
réglée par les autorités monétaires.
Et le monde n’est pas sorti depuis lors de cette malheureuse tentative,
toujours en cours sous le nom de "politique monétaire".
3. La monnaie,
"égout collecteur d’actifs toxiques".
Aujourd’hui, fin de la décennie 2000, suite à des
"fraudes" – pour reprendre le terme de Pareto - de diverse
nature, les financiers ont introduit de par le monde, dans le discours,
l’expression "actif toxique" - "toxique"
étant un qualificatif qu’il faut reconnaître beaucoup plus
violent, terrorisant que "faux", même si on peut l'y
résumer -.
Soit dit en passant, les actifs toxiques n’ont strictement rien
à voir avec les "junk
bonds" - comme les mots employés le suggèrent
et pourraient le laisser croire -, apparus dans la décennie 1980, qui
étaient des obligations dont le risque était affiché
sans réserve et recherché.
Les autorités monétaires se sont accommodées des actifs
toxiques et, conséquence immédiate, y ont articulé des
plans de sauvetage d’organismes financiers (bancaires ou non
bancaires).
Aux
Etats-Unis, les noms de ces plans sont variés : TARP (troubled assets relief program),
TARF (term asset-backed
real estate facility), TALF (term
asset-backed securities loan facility) ou TAPP (toxic-asset purchase plan).
Le
faux droit (ou la fausse créance) et sa conséquence logique
à terme, à savoir la "monnaie-égout collecteur de
ceux-ci", n’avaient pas retenu l’attention de leurs
détracteurs - dans le meilleur des cas, peu au fait des questions
monétaires, dans le pire, des ignares (cf. ci-dessous) -, et ils ont
été écartés de l’analyse économique.
Au contraire, l’esprit et la lettre de l’actif toxique et sa
conséquence immédiate – le sauvetage de certains, de la
faillite - sont l’objet de multiples déclarations
rassérénantes (cf. dernier discours de Ben Bernanke par
exemple).
Quelle grande
différence entre les concepts de ces deux époques ?
Le faux droit (ou la fausse créance) témoignait d’un
endettement de l’Etat dont celui-ci ne pourrait pas à
l’évidence honorer les engagements.
Soit dit en passant, si on en croit les "gazinternettes", ce serait le cas de
l'Etat grec à l'heure actuelle.
Malgré cela, la banque centrale en situation de monopole finirait par
le réescompter, i.e. l’achèterait aux banques de second
rang à un prix faux, le "surpaierait" et la monnaie
deviendrait ainsi "égout collecteur de faux droits".
L’actif toxique témoigne, pour sa part, d’un endettement
de personnes juridiques privées ou publiques "non
étatiques", mais influencées, voire soutenues par les
Etats (comme les "subprimes", crédits hypothécaires à
"vocation sociale", à charge de la discrimination
positive, pour les "déshérités"). Ces
personnes ne pourront pas toutes, à l’évidence, honorer
les engagements.
Et le fait est que les banques centrales ne l’ont pas
réescompté jusqu’au jour dit "de crise"
où elles sont convenues de le réescompter, directement ou
indirectement, en catastrophe, affichant ainsi au grand jour le cartel
réglementaire qu’elles formaient.
Elles l’ont surpayé.
En bonne logique, les monnaies sont donc, dès à présent,
des "égouts collecteurs d’actifs toxiques"
pour autant que la contrepartie comptable des billets et des
dépôts inscrits aux passifs des banques – formes de
substitut de monnaie- est surévaluée…
Ainsi la Fed a vu en trois ans son total de bilan passer de :
$ 858 (début 2007) à
$ 2240 milliards (fin 2009),
soit une multiplication par près de 2,6.
Pour sa part, le total du bilan de la BCE est passé de :
€ 1154 milliards (début 2007) à
€ 1852 milliards (fin 2009),
soit une multiplication par un chiffre de l'ordre de 1,6.
4. La course
poursuite infernale.
Ainsi le monde économique est-il passé, en moins d’un
siècle,
- de monnaies
primo
convertibles en or à taux fixe et à la demande et
secundo
couvertes par de l’or dont le montant exact du stock apparaissait dans
les actifs des bilans des banques,
à
- des monnaies
légalement inconvertibles et
couvertes par des actifs toxiques dont le montant du stock cache une
surévaluation dans les actifs des bilans des banques centrales.
Le passage a été effectué par la violence légale
et à un coût jamais évoqué, ni a fortiori
évalué, mais supporté.
Certains, bien évidemment, doivent considérer le passage
achevé, voire irréversible. Et de cet avis seront ceux qui
ignorent l’histoire monétaire et la course poursuite
signalée ci-dessus.
Mais ils ont tort : le passage n’est ni achevé ni
irréversible.
C’est en vérité un processus infernal de mise en cage de
la monnaie qui a été déclenché dans la décennie 1920, pour le
pire.
Il a un nerf qui se trouve être son coût croissant.
Et ce n’est pas parce que ce coût est laissé de
côté par les hommes de l’Etat et ceux qui partagent leur
opinion qu’il n’existe pas, qu’il n’est pas
supporté et qu’il ne s’aggrave pas.
Soit dit en passant,
« Voilà comment en France une opinion prévaut.
Cinquante ignares répètent en chœur une
méchanceté absurde mise en avant par un plus ignare
qu’eux ; et pour que cette méchanceté abonde dans le sens
de la vogue et des passions du jour, elle devient axiome. » (Bastiat,
1850, chap.6, p.500)
Tel est le constat que dressait Frédéric Bastiat en 1850.
Le phénomène de formation d’une opinion a-t-il
changé en plus d’un siècle et demi ?
Malgré les apparences, il est le même.
4.A. Quelles sont les
apparences ?
Depuis quelques décennies, des recherches sur le sujet ont
été menées et ont conduit les chercheurs à introduire les
notions de "cascade d’opinion" et de "cascade
d’information et de réputation".
Ces notions permettent d’expliquer de façon discursive, sans
vague, et donc de façon moins abrupte, ce qu’a écrit
Bastiat.
En d’autres termes, des chercheurs sont parvenus à mettre le
doigt sur des éléments internes et constitutifs du
phénomène sans remettre en question son effet, l’axiome.
4.B. Quelle est la
réalité ?
Il n’est plus question d’
"ignares", mais de scientifiques ou de prétendus tels, de
protecteurs de ceci ou cela auto déclarés et a priori
omniscients….
Il n’est plus question de "méchancetés", mais
de concepts dénaturés comme ceux de "monnaie",
"créance" ou "droit" par le qualificatif
"faux", et celui d’"actif" par le
qualificatif "toxique".
Bref, la monnaie n’est pas magique comme une opinion voudrait le faire
croire à une autre opinion, jusqu’à présent
abusée par ses soins.
La monnaie est un processus d’innovation économique majeur dont
il faudrait que chacun ait conscience.
Le processus est perverti par les manipulations incessantes des hommes de
l’Etat qui s’en sont donnés le monopole par la violence,
en toute cécité sur le coût, et dont le législateur
devrait abroger le monopole.
En ce début de nouvelle année, on ne peut que le souhaiter.
Georges
Lane
Principes de science économique
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publiés par Georges Lane
Georges Lane
enseigne l’économie à l’Université de
Paris-Dauphine. Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du
séminaire J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi
les très rares intellectuels libéraux authentiques en France.
Publié avec
l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits
réservés par l’auteur
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