Nous avons tellement pris l’habitude de considérer que les banques détenaient le pouvoir de faciliter nos projets ou au contraire de détruire nos rêves que nous en avons oublié un fait essentiel : nous sommes les créanciers de nos banques.
Voici une réalité qui peut paraître choquante pour la plupart des gens que nous croisons, mais c’est pourtant exactement la situation qui nous lie à nos banques, lesquelles ont réussi à nous convaincre que nous étions leurs débiteurs alors que nous sommes en réalité leur première source historique de financement.
Quand les banques jouent avec notre argent
Alors certes, depuis quelques années, elles ont multiplié les efforts (et parfois les manœuvres douteuses) pour s’affranchir de leur dépendance envers nous, les usagers, afin de s’enrichir auprès des marchés financiers dont elles auraient pourtant dû ne jamais pouvoir s’approcher. En effet, cette confusion des genres a été facilité par une législation complaisante et irresponsable qui a permis aux banques de détail de se prendre pour des acteurs de la finance internationale. Entendons-nous bien, il n’y a rien de mal à œuvrer au niveau des marchés boursiers qui, par bien des côtés, sont une sorte de casino géant où ceux qui gagnent raflent la mise de ceux qui perdent. L’ennui, c’est que nos banques sont allées y jouer avec notre argent.
Des épargnants dépossédés en douceur
Au début, le mariage entre l’épargnant et la banque était plutôt sain. Nous étions des « déposants », voire des « souscripteurs », en ce sens que nous apportions de l’argent à des professionnels dont le métier était à la fois de le faire fructifier en le réinjectant dans l’économie. C’est très schématisé, j’en conviens, mais c’est plus ou moins le rôle qu’ont eu les banques jusqu’à une époque récente. Alors, oui, les banquiers s’enrichissaient au passage. Oui, le crédit fut un moyen de créer davantage de richesse par un effet de levier qui comptait autant sur les réussites (l’intérêt venant rémunérer les opérations fructueuses) que sur les défaillances (la banque récupérant les biens dont les crédits n’avaient pas été honorés). Mais, qu’il s’agisse des obligations qui liaient les banques aux épargnants ou encore du nom qu’elles donnaient à ces derniers, il restait toujours quelque part la notion selon laquelle l’argent appartenait finalement aux individus qui l’avaient déposé.
Puis, le déposant devint un client, conservant encore un peu de son privilège mais descendu d’un cran dans sa capacité à donner son avis ou à contester. De client, il devint ensuite usager, chutant alors au rang de redevable car il n’était dès lors plus considéré que comme un mal nécessaire, un simple « utilisateur » aux droits pour le moins limités. Et tout cela, en douceur, sans susciter la moindre révolte.
Nous sommes devenus des débiteurs universels
Aujourd’hui, même ce statut d’usager tend à disparaître au profit de celui guère plus enviable de « débiteur universel ». Bon, c’est vrai, les banques ne nous appellent pas encore comme cela, mais elles nous considèrent déjà de cette manière.
Désormais, un bon client pour une banque, c’est celui qui a des crédits, qui est endetté. Parce qu’il paie des intérêts, c’est vrai, parce qu’il est également possible qu’il ne puisse pas rembourser, permettant à la banque de récupérer son bien à vil prix, mais aussi parce que nous vivons dans un monde de l’argent-dette. C’est le crédit qui crée la monnaie, et la monnaie est vue comme la richesse. Par conséquent, un épargnant qui obtient un crédit permet la création de monnaie qui enrichit les banques. Notre rôle est donc aujourd’hui réduit à créer cette richesse en nous endettant, et nous somme donc de facto devenus des débiteurs universels.
4000 milliards d’euros d’épargne
Pourtant, indépendamment de ce que les activités des nos banques peuvent générer sur les marchés financiers (lesquels représentent désormais plus de 97% de l’argent en circulation), nous ne sommes pas moins dépositaires de quelque 4000 milliards d’euros que nous épargnons et que nous déposons régulièrement sur nos comptes bancaires. Des sommes sur lesquelles nous avons accepté une sorte de « taxe » privée sous forme de frais bancaires, justifiable par le fait que les établissements auxquels nous les avons confiées sachent en prendre soin et les protéger pour nous.
Aujourd’hui, on nous explique qu’en cas de défaillance de notre banque, nous pourrions être tenus de contribuer au règlement de ses dettes, notamment par une confiscation de notre argent au-delà d’un certain montant épargné. Comme si nous étions co-responsables des agissements de notre banque. Comme si nous lui avions donné mandat pour prendre des positions on-ne-peut plus risquées sur différents marchés boursiers ou obligataires, juste parce qu’elle l’a fait en partie avec notre argent. Qui ne dit mot consent, paraît-il.
Par conséquent, s’il est vrai que se passer de banque n’est pas une solution réaliste dans le monde où l’on vit, à plus forte raison dans ce bouillonnement réglementaire qui tend peu à peu à limiter l’usage du cash, il reste toutefois possible de limiter son exposition aux risques pris par nos banques en concentrant notre épargne sur les produits les plus liquides possible, tout en exfiltrant une partie de notre patrimoine pour l’investir sous d’autres formes, qu’ils s’agisse de biens matériels (immobilier traditionnel, foncier, etc.) ou de valeurs refuges comme l’or et l’argent. Et d’ailleurs, au regard du dernier rapport de la Banque de France sur l’épargne des ménages (laquelle semble désormais se concentrer majoritairement sur les livrets et les comptes courants), il est possible que les Français aient déjà entamé cette débancarisation partielle de précaution.