Entendu mercredi
matin sur BFM, Carlos Ghosn, CEO de Renault Nissan, suggérer que le
gouvernement supprime la taxe professionnelle pour les constructeurs
automobiles au titre de son plan d'aide.
Autant, comme je
l'ai déjà écrit, je
serais hautement favorable à une suppression de cette taxe
paléolithique, autant il ne faudrait pas qu'elle soit limitée
à un seul secteur: les salariés de Renault ne méritent
pas plus de faveurs que ceux de Darty, du club Med ou de Pilote, et
baisser les taxes sur l'automobile seulement donne un avantage
immérité à ce produit par rapport aux autres dans la
compétition que se livrent tous les secteurs d'activité pour le
portefeuille forcément limité des ménages. Si la TP
venait à être supprimée, elle doit l'être pour tout
le monde, pas uniquement pour l'automobile.
Mais je ne vais
pas m'étendre sur la distorsion intersectorielle introduite par des
aides fiscales orientées vers des groupes de pression particuliers,
sujet battu et rebattu sur ce blog (exemple).
Venons en plutôt aux informations fournies par Carlos Ghosn, autrement
plus intéressantes.
Le handicap
français
Celui ci nous
apprend que fabriquer une voiture moyenne (#15K€ HT) revient 1400 Euros
de plus en France qu'en slovaquie ou en Turquie. Même modèle,
même équipement, etc...
Sur ces 1400
Euros,
- 400 Euros représentent la
différence des salaires nets versés entre Slovaques et
Français. C'est nettement moins qu'il y a 15 ans...
- 750 Euros représentent les
différences de charges salariales et patronales. On le sait, la
France verse des salaires nets faibles rapportés au coût du
travail qui est, lui, prohibitif.
- 250 Euros représentent le
coût de la taxe professionnelle.
(Nous admettrons comme exacts les
chiffres de M. Ghosn, bien qu'il ait un intérêt évident
à noircir le tableau)
Carlos Ghosn
exclut une baisse des salaires nets français, et on ne peut que
l'approuver: offrir comme perspective aux salariés les mieux
payés de devoir être égalisés par le bas n'est pas
un bon moyen de motiver les troupes, et de maintenir un niveau qualitatif
suffisant de sa production. Le vrai challenge, c'est d'arriver à
rester compétitifs avec des salaires nets élevés.
Par contre,
supprimer la TP ne règlerait pas tous les problèmes de
compétitivité du territoire "France", mais serait un
pas dans la bonne direction. Il n'en reste pas moins que l'existence d'un tel
différentiel de coût de la main d'oeuvre pose d'importantes
questions.
Comment se payer
le luxe d'un coût du travail élevé ?
Que faudrait-il
pour que nos entreprises puissent continuer à justifier un tel
différentiel de coût du travail par rapport, par exemple, aux
slovaques ? Tout simplement, il faudrait que la différence de
productivité du salarié français soit supérieure
à celle du slovaque d'un facteur supérieur ou égal au
ratio entre le coût du travail entre les deux pays.
Cela suppose donc
que le salarié français ait à sa disposition de
meilleures machines, de meilleures chaines de montage, de meilleurs process.
Or, cela n'est pas le cas: les constructeurs automobile sont capables
d'implanter dans les pays émergents des unités de production
qui n'ont pas à rougir de leurs homologues occidentales.
De plus, quittons
l'automobile et voyons ce qui se passe pour des entreprises de taille petite
ou moyenne. J'ai eu l'occasion de rencontrer, via les réformateurs (une annexe de l'UMP dont quelques
membres sont libéraux, et d'autres nettement moins), des
entrepreneurs qui ont développé des implantations dans des pays
de l'Europe de l'est, notamment depuis que ceux ci ont implanté des flat tax,
impôts sur le revenu et sur les sociétés proportionnels
à taux faibles. Leur témoignage est éclairant: alors
qu'en France, les entreprises voient leur valeur ajoutée
réduite comme peau de chagrin par les taxes et
prélèvement divers, obérant la capacité des
petites entreprises à devenir moyennes, les entreprises slovaques --
pour ne parler que d'elles --, parties de très bas en terme d'outil de
production, rattrapent et petit à petit supplantent en
modernité celles de la vieille Europe.
Certes, toutes
les entreprises slovaques n'avancent pas au même rythme, ce qui
explique que les salaires y soient pour l'instant encore plus faibles que
chez nous: les stigmates du communisme sont encore loin d'êtres tous
effacés. Mais à moyen terme, les salaires nets perçus
par les slovaques auront rattrapé les nôtres, et la
productivité de leurs outils industriels sera supérieure.
Autrement dit,
dans un pays où l'investissement en capital est
récompensé par une fiscalité soft, l'économie
permet de créer des emplois productifs et de mieux en mieux
payés : le capital et le travail doivent être
réconciliés, pas opposés. Qui peut encore oser
prétendre qu'un impôt élevé est un outil de
progrès social ?
La France, futur
pays de seconde zone ?
Par contre, en
France, nous vivons sur l'acquis du capital des générations précédentes,
ce qui nous permet, encore pour quelques temps, d'afficher un niveau de vie
supérieur à celui des ex-esclaves de l'URSS, mais nous ne
donnons à nos entreprises ni les moyens ni les incitations de
fixer le capital nécessaire à maintenir notre outil de
production suffisamment performant pour continuer à se payer le luxe
de coûts salariaux plus élevés.
Si la France,
sous quinze à vingt cinq ans, ne veut pas être le
réservoir de main d'oeuvre bon marché des pays qui ont fait le
choix de ne pas pénaliser la formation de capital et la
rémunération de la réussite, alors elle doit à
tout prix changer de paradigme fiscal et cesser de surtaxer les
excédents d'exploitation produits par les entreprises (taxe pro, IS,
etc...) ainsi que les revenus individuels de ceux dont la prise de risque se
révèle payante.
En ce sens, si
l'on met de côté son caractère sectoriel donc
égoïste, la proposition de C. Ghosn est une bonne proposition, quoique
j'en aie formulées de beaucoup plus ambitieuses
par le passé.
Baisser les
impôts ET les dépenses
Mais la baisse
des taxes ne suffit pas, elle doit impérativement s'accompagner de
baisses des dépenses publiques drastiques visant à
réduire les déficits et non à les augmenter.
En effet, qui dit
déficit dit emprunt de l'état, donc... Pompage de
l'épargne des individus. Certes, ces individus peuvent être
étrangers, mais les autres états pompent également
l'épargne française: l'argument ne prend pas. L'emprunt
d'état est un impôt déguisé, que
l'épargnant espère voir remboursé... par de futurs
impôts ! Il constitue un détournement de ressource qui pourrait
s'investir (ou se prêter) à des agents privés contraints
à l'efficacité économique, au profit d'un état
dont la qualité des dépenses n'a jamais été le
point fort.
Bref, le
déficit public entraine ce que les économistes appellent un
effet d'éviction, privant des agents économiques performants de
ressources allouées à des services publics dont
l'efficacité laisse à désirer.
Si une baisse
d'impôts est décidée par l'état sans baisse des
dépenses, ce qui sera gagné en impôts non payés
par les entreprises établies sera perdu sous forme de capitaux de
croissance prêts à s'investir dans les entreprises naissantes ou
en phase d'expansion initiale.Or, nous avons besoin de ces deux modes de
croissance des entreprises pour garantir, demain, un renouvellement
régulier du tissu des emplois offerts aux français,
renouvellement seul susceptible de garantir une hausse pérenne de
notre niveau de vie (cf. cet ouvrage).
Voilà
pourquoi une vraie "relance" de l'économie par l'état
devrait être constituée et d'une baisse significative de
certains impôts et de leurs taux marginaux ET, simultanément,
d'une baisse au moins équivalente des dépenses publiques. C'est
le seul moyen de pouvoir espérer, dans un avenir moyen, rester dans le
peloton de tête des nations en terme de niveau de vie par
habitant.
Nous faisons
exactement l'inverse: nous deviendrons les pauvres des futures grandes
puissances économiques d'après demain. Ce n'est qu'une question
de temps:
"On finit toujours par payer
la facture de ses conneries".
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Egalement par Vincent Bénard
Vincent Bénard, ingénieur
et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones
dédiés à la diffusion de la pensée
libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il
est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France, "Logement,
crise publique, remèdes privés", ouvrage publié
fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il
montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le
logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement
à l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il
ose proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de
marché pour y remédier.
Il est l'auteur du blog "Objectif
Liberté" www.objectifliberte.fr
Publications :
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La
doc française, avec Pierre de la Coste
Publié avec
l’aimable autorisation de Vincent Bénard – Tous droits
réservés par Vincent Bénard.
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