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Subprimes : comment une norme comptable inadéquate a exacerbé la crise

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Publié le 07 octobre 2008
2718 mots - Temps de lecture : 6 - 10 minutes
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Rubrique : Editoriaux

 

 

 

 

J'ai tenté d'analyser un certain nombre de facteurs qui ont conduit à transformer une bulle immobilière, dont des interventions publiques mal conçues sont responsables,  en désastre financier menaçant de se propager à la planète entière.

 

The forgotten rule

 

Malgré la régularité de mes publications sur le sujet ces derniers jours, j'ai pour l'heure omis de vous parler d'une autre réglementation étatique qui à l'usage se révèle inadaptée, et dont les dégâts sont aujourd'hui considérables, bien qu'elle ait sans doute été votée avec d'excellentes intentions. Il s'agit de la pratique du "Fair Value Accounting", encore appelée "Mark-to-market". De quoi s'agit-il ?

 

Au lendemain de la crise des caisses d'épargnes américaines de la fin des années 80, il est apparu que certaines sociétés sur-évaluaient leurs actifs en jouant sur les dates et les périodes de valorisation. Le problème posé est loin d'être trivial : lorsque votre société détient en portefeuille des parts d'une autre société cotée en bourse -- ou tout autre actif faisant l'objet de cotations au jour le jour --, ces parts fluctuent quotidiennement. Pour autant, vous n'allez pas, chaque jour, modifier votre bilan pour tenir compte des variations de ces parts: d'abord parce que cela rendrait illisible votre bilan, d'autre part parce que même si elles perdent temporairement de la valeur, vous n'avez rien perdu tant que vous n'avez pas vendu. Il existait donc, dans chaque pays, des règles permettant d'affecter à ces actifs volatils une valorisation moyenne raisonnable.

 

Hélas, avec le temps, sous l'amicale pression de tel ou tel lobby, ces règles se sont complexifiées et des personnes peu scrupuleuses ont utilisé cette complexité pour faire preuve de "créativité comptable", respectant la lettre de la règle mais en violant ouvertement leur esprit pour camoufler des pertes.

 

Par conséquent, dans les années 90, un certain nombre de textes ont été modifiées, pour, espérait-on, que les bilans comptables des entreprises reflètent ce qu'ils sont censés refléter, c'est à dire la situation comptable exacte de l'entreprise. 

 

Qu'est-ce que le Mark to Market / "fair value" accounting ?

 

L'une de ces règles est donc le fameux mark-to-market, obligeant les entreprises à inscrire dans leur comptes la valeurs de leurs actifs en temps quasi réel, dès que leur valorisation s'écarte d'une variation considérée comme normale. Cette règle a été renforcée en novembre 2007 par l'adoption d'une norme poétiquement dénommée FASB 157.

A première vue, cette obligation fait sens. Après tout, lorsqu'un actif se déprécie, il paraît logique que la comptabilité de l'entreprise, qui doit informer les marchés sur son état financier réel, prenne en compte cette dépréciation.

Mais la règle devient vénéneuse lorsque, en période troublée, les volumes échangés sur un type d'actif tombent à presque zéro, les rares ventes effectuées par des personnes possédant ces actifs étant des transactions de "sauve qui peut" rendues absolument nécessaires par l'état de la trésorerie de l'entreprise, et qui placent le vendeur dans une position de faiblesse absolument dramatique.

Le type d'actif qui fait ici problème sont les obligations (CDO) émises par des fonds de placement de sur  crédits hypothécaires, les désormais célèbres "Mortgage Backed Securities", dont personne ne semble vouloir, faute d'être capable d'en estimer la valeur réelle. Les rares transactions effectuées, telles que celle conclue fin juillet entre Merrill Lynch (rachetée depuis par Bank of America)  et un fond spéculatif Texan, ont valorisé les portefeuilles de CDO revendus à seulement 22% de leur valeur nominale !

 

Or, il est extrêmement peu probable que la valeur finale de ces CDOs soit aussi faible que 22% de leur valeur faciale. C'est d'ailleurs le pari fait par le fond qui les a rachetées: il espère, quand la crise se calmera, récupérer non pas 22%, mais sans doute bien plus, des dettes cachées derrières ces CDOs. Ceci dit, s'il a mal estimé la valeur réelle de ces bons, il laissera sa chemise.

 

Incidemment, c'est aussi le pari que fait Hank Paulson lorsqu'il crée un vaste fond spéculatif de rachat des créances pourries des banques américaines, transformant le contribuable américain en spéculateur malgré lui. Paulson parie que le prix de rachat des créances sera inférieur à ce que l'économie américaine pourra à moyen terme en récupérer, et qu'il fera donc faire un bénéfice au trésor public à terme ! Risqué, tout de même.  Mais foin de cette digression, revenons au Fair Value Accounting.

 

Un problème d'information

 

Le seul problème, mais de taille, qui se pose aux entreprises contraintes par le fair value accounting, est lorsque, sur une classe d'actifs, le "marché" en tant que tel disparaît. Lorsqu'un marché conserve des volumes d'échange significatifs, il fournit aux opérateurs une information transposable dans ses comptes. Mais lorsque le marché est quasi gelé et que les seules transactions sont des ventes de toute urgence, l'information devient désinformation et cesse de donner une représentation fiable de la valeur précise du portefeuille d'actifs de la société.

 

La règle du Fair Value Accounting oblige les entreprises à prendre en compte de façon immédiate cette mauvaise information. Comme un malheur ne vient jamais seul, une autre loi célèbre, la loi Sarbanes Oxley, votée suite aux scandales Enron ou Worldcom au début de ce millénaire ont très fortement aggravé les peines envers les PDG et les directeurs financiers qui n'appliqueraient pas ces règles le doigt sur la couture du pantalon, quand bien même il n'y aurait pas d'intention frauduleuse.

 

De fait, de nombreuses banques ont du se déclarer comptablement insolvables alors que la déprime du marché des CDOs ne signifiait peut être pas pour autant qu'elles l'aient effectivement été. Une telle déclaration influe évidemment sur leur rating, qui plonge, et donc sur leur capacité à se refinancer.

Dans le cas de banques, cela signifie une soudaine incapacité à emprunter au jour le jour sur les marchés interbancaires: du coup, des banques qui auraient été peut être solvables sans  Fair Value Accounting ne l'ont plus été car cette norme comptable, appliquée à la lettre, leur a coupé les robinets capables d'alimenter leur trésorerie dans les moments difficiles.

 

L'ancien Chairman du FDIC accuse...

William Isaac, ancien Chairman du FDIC de 1981 à 1985, estime que l'adoption de ces normes, contre lesquelles il s'était battues à l'époque, a gravement exacerbé la crise actuelle:

 

At the outset of the current crisis in the credit markets, we had no serious economic problems. Inflation was under control, GDP growth was good, unemployment was low, and there were no major credit problems in the banking system.

 

The dark cloud on the horizon was about $1.2 trillion of subprime mortgage-backed securities, about $200 billion to $300 billion of which was estimated to be held by FDIC-insured banks and thrifts. The rest were spread among investors throughout the world.

 

The likely losses on these assets were estimated by regulators to be roughly 20%. Losses of this magnitude would have caused pain for institutions that held these assets, but would have been quite manageable.

 

How did we let this serious but manageable situation get so far out of hand -- to the point where several of our most respected American financial companies are being put out of business, sometimes involving massive government bailouts?

 

(...)

 

The biggest culprit is a change in our accounting rules that the Financial Accounting Standards Board and the SEC put into place over the past 15 years: Fair Value Accounting. Fair Value Accounting dictates that financial institutions holding financial instruments available for sale (such as mortgage-backed securities) must mark those assets to market. That sounds reasonable. But what do we do when the already thin market for those assets freezes up and only a handful of transactions occur at extremely depressed prices?

 

The answer to date from the SEC, FASB, bank regulators and the Treasury has been (more or less) "mark the assets to market even though there is no meaningful market." The accounting profession, scarred by decades of costly litigation, just keeps marking down the assets as fast as it can.

 

This is contrary to everything we know about bank regulation. When there are temporary impairments of asset values due to economic and marketplace events, regulators must give institutions an opportunity to survive the temporary impairment. Assets should not be marked to unrealistic fire-sale prices. Regulators must evaluate the assets on the basis of their true economic value (a discounted cash-flow analysis).

 

If we had followed today's approach during the 1980s, we would have nationalized all of the major banks in the country and thousands of additional banks and thrifts would have failed. I have little doubt that the country would have gone from a serious recession into a depression.

 

If we do not halt the insanity of forcing financial firms to mark assets to a nonexistent market rather than their realistic economic value, the cancer will keep spreading and will plunge the world into very difficult economic times for years to come.

 

I argued against adopting Fair Value Accounting as it was being considered two decades ago. I believed we would come to regret its implementation when we hit the next big financial crisis, as it would deny regulators the ability to exercise judgment when circumstances called for restraint. That day has clearly arrived.

 

La crise qui n'aurait pas dû avoir lieu...

 

1200 milliards de crédit subprimes sur plus de 50 000 milliards d'actifs boursiers (actions, obligations, et assimilés), jamais un risque de défaut de l'ordre de 20% sur ces actifs n'aurait du provoquer une telle dégringolade. Mais les techniques de titrisation inventées pour refinancer les prêts subprimes ont propagé le mal sur l'ensemble des obligations gagées sur des crédits hypothécaires, qu'ils soient prime, subprimes, ou autres.

 

En effet, pour trouver des investisseurs acceptant de refinancer des prêts plus que délicats (et que les banques avaient du mal à refuser à cause d'un autre texte vénéneux, le CRA, déjà discuté ici), Fannie Mae, Freddie Mac et les banques d'affaires émettant leurs titres ont eu l'idée de les mettre en pool avec des prêts moins risqués, et de découper ces obligations (les fameuses CDOs) en tranches comportant un pourcentage croissant d'obligations pourries, les tranches les moins risquées étant moins rémunérées et prioritaires sur les tranches les plus risquées.

 

Mais parce qu'environ 25% des crédits subprimes sont aujourd'hui en défaut, ou au moins en retard de paiement annonçant un possible défaut, tout produit comportant au moins une "tranche" de crédits subprimes devient suspect d'abriter des pertes potentielles. De même, certains investisseurs commencent à s'inquiéter sur la valeur réelle de certains prêts "prime": après tout, la classification des prêts "prime" ou "subprime" découlait de critères définis par... Fannie Mae et Freddie Mac, ce qui ne rassure certainement pas les marchés. 

 

Un incendie auto-entretenu

 

Par conséquent, un marché d'obligations de plusieurs milliers de milliards de dollars (évidemment, impossible d'annoncer un chiffre exact...) est gelé parce qu'une part très minoritaire des créances qui les composent sont tout à coup fortement dépréciées ! Pour reprendre une image souvent utilisée par les financiers eux mêmes, ils ont cru qu'en mélangeant de la bonne viande avec un peu de viande pourrie, le steack haché ne changerait pas de goût. Mais devant la révélation de cette présence de viande avariée, plus personne ne veut acheter le steack: la mauvaise viande a pourri la bonne.

 

Les seules transactions de CDOs concernent aujourd'hui des vendeurs aux abois, comme pouvait l'être Merrill avant son rachat par B.A., et des acheteurs très joueurs, qui estiment, comme Hank Paulson, qu'ils finiront par arriver à séparer la viande saine des morceaux contaminés, et en tirer finalement un bon prix. Car un acheteur "normal" ne peut évidemment pas acheter ces actifs même avec une très forte décote: que ces obligations fassent encore l'objet de transactions encore plus décotées, et l'acheteur devra instantanément répercuter cette dépréciation dans son portefeuille, alors même qu'il sait pouvoir en tirer une plus value latente avec un peu de temps ! Ce cercle vicieux conduit à déprécier plus encore les CDOs, à inscrire encore plus de writedowns dans les comptes, à dégrader la note attribuée par les agences de rating, et ainsi de suite.

 

Mais il y a plus: les actionnaires des sociétés concernées, effrayés par ces dépréciations en série, se mettent à vendre leurs actions... Dont la valeur baisse, provoquant de nouvelles dépréciations d'actifs au sein des sociétés qui en détiennent le capital ! La pratique du Fair Value Accounting permet à l'incendie allumé par les premiers signaux d'alerte de s'auto-entretenir.

 

Les anglophones trouveront une explication plus détaillée dans cet article de Newt Gingrich, ancien speaker républicain de la chambre des représentants.

 

La règle du Mark-to-Market aboutit donc à ce que des obligations dont la part douteuse représente peut être moins de 20% du principal, soient inscrites jusqu'à une fraction ridicule de leur valeur dans les comptes de leurs détenteurs : Non seulement  cette évaluation est trop faible, mais elle rend évidemment très difficile une saine discussion entre actionnaires et créanciers, dans le cadre d'accords de titrisation que j'évoquais comme solution envisageable il y a quelques jours. Bref, la norme comptable imposée par le législateur a non seulement propagé la crise dans des zones de marché où elle n'aurait jamais dû s'étendre, mais constitue un obstacle à sa bonne résolution.

 

Encore une règle d'état qui exacerbe la crise... Ah ça oui, elle a bon dos, la dérégulation ultra-néo-libérale !

 

La réglementation normative est elle condamnée à l'échec ?

 

Pour Newt Gingrich, il est évident que l'obligation de respecter le Fair Value Accounting doit être levée immédiatement. A la lumière des problèmes engendrés par cette règle qui se révèle absurde, il a évidemment raison. Mais à moyen terme, le problème de la "juste valorisation " des actifs volatils dans les comptes des entreprises reste posé.

 

Reste donc à en trouver la solution, qui ne sera pas simple: les lois que je dénonce ici ont été votées en réaction à des pratiques  également malsaines, revenir au statu quo ante ne paraît ni possible, ni souhaitable. Mais la leçon de la crise actuelle semble claire: les législateurs sont incapables d'apprécier à leur juste niveau les risques induits par les lois nouvelles, certes censées corriger les causes des anciennes crises, mais incapables de s'adapter à la suivante, et dont les effets pervers à moyen et long terme peuvent se révéler pires que les maux qu'elles devaient soigner. 

 

Voilà qui conforte dans la conviction que j'exprimais il y a quelques jours, selon laquelle le paradigme réglementaire de type "normatif"  -- l'état définit la norme unique et oblige toute entreprise d'une certaine taille à s'y soumettre --  doit céder la place à un nouveau concept, celui du respect contractuel de normes privées et transparentes, en concurrence les unes contre les autres, les marchés financiers tels que le Nyse-Euronext ou d'autres étant libres d'agréer certaines normes et pas d'autres en fonction de leur sérieux. Contrairement aux normes d'état, à la fois coûteuses  -- Sarbanes Oxley impose au minimum 3 millions de dollars de charges annuelles aux entreprises cotées à Wall Street, excluant de fait les petites entreprises en croissance du marché des capitaux --, rigides, et impossibles à modifier hors d'un processus lourd et politiquement risqué du fait de lobbies intéressés à se créer une loi sur mesure, les normes contractuelles, sous le feu incessant de la critique et de la concurrence d'autres émetteurs de normes, proposeront des outils d'évaluation des entreprises mieux adaptés aux réalités de la vie des affaires.

 

Vincent Bénard

Objectif Liberte.fr

Egalement par Vincent Bénard

 

 

Vincent Bénard, ingénieur et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones dédiés à la diffusion de la pensée libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France, "Logement, crise publique, remèdes privés", ouvrage publié fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement à l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il ose proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de marché pour y remédier.

 

Il est l'auteur du blog "Objectif Liberté" www.objectifliberte.fr

 

Publications :

 

"Logement: crise publique, remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat

 

Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république, bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La doc française, avec Pierre de la Coste

 

 

 

Publié avec l’aimable autorisation de Vincent Bénard – Tous droits réservés par Vincent Bénard.

 

 

 

 

 

 

 

 

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