La Suisse, le Luxembourg, Singapour…
En moins de trois ans, les Etats-Unis ont fait tabula rasade
leurs principales places financières concurrentes, les privant de leur atout
concurrentiel majeur: le secret bancaire. Mais ils se sont bien gardés de
s’en prendre à leurs propres centres offshore: la Floride, le Wisconsin, le
Nevada…et surtout le Delaware. Le Delaware, devenu en peu de temps un des
plus grands centres offshore mondiaux. Pour une raison très simple: qui
pourra forcer les Etats-Unis à aligner le Delaware sur les standards régulatoires
que les mêmes Etats-Unis ont imposé à leurs concurrents? Personne. Le
Delaware sera soigneusement maintenu hors de tout effort de régularisation-
de l’OCDE ou d’ailleurs -tant que les Etats-Unis le décideront.
Intéressons-nous concrètement au processus de création d’une
société au Delaware: caractéristiques, démarches, coûts. Immersion
dans le deuxième plus petit Etat américain…
« En 2014, plus de 950.000 entreprises du monde entier s’étaient
enregistrées dans le Delaware, soit plus que le nombre d’habitants de
l’État : 935.600. Au total, les deux tiers des 500 plus grands groupes
américains côtés en Bourse sont présents. Souvent, il ne s’agit que d’une
simple boîte aux lettres. Au numéro 1209 de la North Orange Street de
Wilmington, la ville la plus peuplée du Delaware, il y en a même près de
200.000 :  target="_blank";Apple,  target="_blank";Coca-Cola,  target="_blank";Ford,  target="_blank";Google,  target="_blank";General Electric. »
(Le Figaro, 26/06/2015).
Plusieurs type de sociétés peuvent être ouvertes mais la plus demandée est
la Limited Liability Company (LLC). C’est une société à responsabilité
limitée qui existe depuis 1991. Ce type d’entreprise n’a aucun actionnaire et
ne peux avoir d’activité commerciale aux Etats-Unis. Les LLC du Delaware sont
exonérées d’impôts sur les transactions commerciales et les bénéfices générés
hors des États-Unis; leurs membres sont des étrangers qui ne résident pas aux
États-Unis.
Caractéristiques
Informations publiées: aucune information n’est
disponible, seul l’agent détient ces informations.
Anonymat et confidentialité: Les “beneficial owners”
(propriétaires des parts sociales) peuvent être des personnes physiques ou
morales. Le nom des associés n’est pas publié au registre public, le Delaware
Secretary of state.
Exigences comptables: il n’est pas obligatoire de
maintenir les pièces et livres comptables. Les LLC ne sont pas tenues
soumettre leurs comptes au registre public, ni au département du Trésor.
Possibilité d’utiliser la carte bancaire de la société pour ses achats
personnels sans risquer d’être poursuivi pour abus de bien social.
Obligations fiscales : comme déjà énoncé, à la condition
que l’activité se situe hors du Delaware, il n’y a aucun impôt ni sur les
sociétés, ni sur les bénéfices des associés (dividendes), ni droits de
succession sur les actions détenues par les non-résidents. Existence
d’une taxe annuelle d’environ 250 USD.
Exigences de capital: pas de capital à verser lors de la
création.
Base du Droit: coutumier.
Nombre minimum de directeurs et d’actionnaires: un
Directeur et un actionnaire.
Actions au porteur: non autorisées.
Les principales activités exercées sont l’entreprenariat, le commerce sur
internet, le commerce, le consulting, l’import-export, l’organisation de
successions, et bien sûr tout type d’activité financière. Pour
l’ouverture d’un compte bancaire, la banque centrale ne demande pas le nom
des véritables propriétaires de la société mais exige un dépôt minimum de 600
USD sur le compte. Il n’existe pas de comptes à numéro, ni de comptes à
pseudonyme. Ceci ne pose aucun problème puisque la fiscalité est égale à
zéro.
On peut créer une LLC en quarante-huit heures dès la réception des
documents. Les coûts de constitution sont en moyenne de 3000 USD à
4000 USD, tout compris: incorporation de la société dans l’Etat du
Delaware et introduction bancaire.
Pas d’impôts, pas de comptabilité, pas de publication de noms,
coûts de constitution très bas, pas de vérification des ayants-droits
économiques dans les relations bancaires : autant de
caractéristiques que ses concurrentes ne peuvent plus offrir. Et ce d’autant
plus que le Panama, rival principal dans la région pour ce qui est de la
constitution de sociétés offshore, vient d’être durement atteint par la
publication de 40 ans d’archives clients, les désormais fameux Panama papers.
Je me suis déjà exprimé sur l’origine des Panama Papers (Bilan Magazine,
13/04/2016), leur attribuant une source américaine.
Il est intéressant de comparer les LLC du Delaware avec les
sociétés offshores panaméennes.
Au Panama, la « Sociedad de Responsabilidad Limitada »
et la « Sociedad Anonima » sont assimilables à des sociétés à
responsabilité limitée où les actionnaires ne sont responsables qu’à hauteur
de leurs participations au capital de la société. Il n’est pas obligatoire
pour les actionnaires et les dirigeants d’être résident au Panama et il n’y a
pas de restriction quant à leur nationalité. Il n’y a aucune exigence en
terme de capital minimum. De surcroit, il n’y a pas d’obligation comptable.
Pas d’impôts sur les revenus extraterritoriaux tirés de
sources en dehors du Panama. Pas de taxe sur le capital : les sociétés
de Panama ne paient pas les gains en capital ni les impôts sur les gains
résultant de l’achat et la vente de titres négociés en dehors du Panama (par
exemple, l’achat et la vente de valeurs mobilières cotées en bourse sur les
marchés boursiers non panaméen).
Aucun impôt sur le revenu d’intérêts : les sociétés
de Panama ne paient pas d’impôts sur les revenus d’intérêts bancaires gagnés
à l’intérieur ou en dehors du Panama (autre exemple, il n’y a pas d’impôt sur
les intérêts gagnés sur les comptes d’épargne ou des certificats de dépôt au
Panama).
Aucune taxe de vente : les sociétés de Panama ne
paient pas d’impôts sur les ventes de produits ou de services qui sont
effectuées en dehors du Panama.
Aucune taxe sur l’émission d’actions des sociétés :
les sociétés de Panama ne paye pas de taxes sur l’émission d’actions, que ce
soit au porteur ou nominative. Enfin pas d’impôt pour dividendes pour les
actionnaires.
L’immunité Delawarienne. Il n’y a pas d’autre
terminologie pour qualifier le cadre légal régissant les activités
financières au Delaware. Immunité par rapport aux autres centres offshore
mondiaux, ayant les mêmes activités, mais qui sont de plus en plus vidés de
leur substance. Immunité qui confère au Delaware un caractère d’exception,
faussant ainsi véritablement toute concurrence en lui offrant une
attractivité manipulée de toute pièce. Si aucune institution internationale
ne peut forcer les Etats-Unis à aligner le Delaware aux nouveaux standards en
vigueur, il existe cependant aux Etats-Unis mêmes un contre-pouvoir
extrêmement puissant capable de le faire : l’opinion publique
américaine.
Lorsque celle-ci estimera que les activités du Delaware lui seront
insupportables, la pression sera telle qu’il n’y aura pas d’autre voie que la
mise en conformité internationale. Une opinion publique qui par le
passé, rappelons-le, n’a pas hésité à mettre fin à la guerre du Vietnam ou à
obliger le Président Nixon à démissionner.