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Il y a vingt ans, le 10 décembre
1991, le Conseil des Chefs d'Etat ou de gouvernement de la Communauté
économique européenne se réunissait à Maastricht,
comme il le fait en fin de chaque semestre depuis 1974. On sait la
suite... (et on pouvait la prévoir cf. par exemple ce billet d'octobre 1992).
A l'occasion de sa réunion du 9 décembre 2011, le même
Conseil, désormais ... de l'Union européenne, s'est tenu
à Bruxelles.
Les conclusions à quoi il est parvenu sont aujourd'hui, et
contrairement à il y a vingt ans, aisément consultables (cf.http://consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/fr/ec/126719.pdf )
Le document officiel des conclusions fait apparaître que les dirigeants
européens sont convenus d'une Union budgétaire plus
étroite pour, selon eux, sauver la monnaie unique.
En d'autres termes, ils ont aussi laissé aux banquiers centraux le
soin - ou le fardeau... - de répondre aux préoccupations des
investisseurs aux termes desquelles l'Italie et l'Espagne pourraient
succomber à la crise de dette souveraine, déjà vieille
de deux ans.
1. Le point.
Que dit précisément le document officiel sur ce point ?
"1. Constatant la détérioration de la situation
économique et financière, le Conseil européen a
discuté des efforts qui sont actuellement déployés pour
sortir l'Europe de la crise.
La nouvelle gouvernance économique de l'Union européenne,
exposée au point 3, doit être pleinement mise en oeuvre afin d'établir la confiance dans la
solidité de l'économie européenne.
Les réformes structurelles et les efforts d'assainissement
budgétaire doivent se poursuivre pour jeter les bases d'un retour
à une croissance durable et contribuer ainsi à renforcer la
confiance à court terme.
Des mesures sont également nécessaires pour permettre de
rétablir des conditions normales d'octroi de crédits à
l'économie, tout en évitant à la fois une prise de
risque trop importante et une réduction excessive du levier
d'endettement, ainsi qu'il a été décidé d'un
commun accord le 26 octobre 2011.
2. Rappelant les domaines prioritaires essentiels pour la croissance qu'il a
recensés en octobre 2011, en particulier l'acte pour le marché
unique, le marché unique numérique et la réduction de la
charge réglementaire globale pour les P.M.E. et les microentreprises, le Conseil européen a
souligné qu'il était nécessaire d'adopter promptement
les mesures les plus susceptibles de stimuler la croissance et l'emploi.
Il est donc favorable au principe d'un programme à mettre en oeuvre d'urgence et invite le Conseil et le Parlement
européen à accorder une priorité particulière
à l'examen rapide des propositions dont la Commission a estimé,
y compris dans son examen annuel de la croissance, qu'elles offraient des
possibilités de croissance importantes.
Il fait siennes les actions proposées par la Commission dans son
rapport intitulé "Alléger les charges imposées aux
PME par la réglementation".
3. L'examen annuel de la croissance 2012 constitue un excellent point de
départ pour le lancement du prochain semestre européen, au
cours duquel il sera procédé pour la première fois
à la mise en oeuvre de la gouvernance
économique renforcée, décidée récemment, y
compris de la nouvelle procédure de suivi et de correction des
déséquilibres macroéconomiques.
Le Conseil européen de printemps fera le point des progrès
accomplis et adoptera les orientations requises.
Il est urgent de mettre l'accent sur la mise en oeuvre,
notamment compte tenu de la disparité des progrès
enregistrés cette année sur la voie de la réalisation
des objectifs fixés dans la stratégie Europe 2020, ainsi que
dans la mise en oeuvre des recommandations par
pays.
4. Les chefs d'État ou de gouvernement des États membres
participant au pacte pour l'euro plus ont passé en revue les
progrès accomplis dans la mise en oeuvre des
engagements au niveau national.
Ils ont estimé d'un commun accord qu'il faudra procéder, en
mars 2012, à une évaluation plus poussée des efforts
déployés au niveau national pour atteindre les objectifs du
pacte.
Ils sont également convenus de prendre des engagements plus
précis et mesurables dans chacun des domaines couverts par le pacte et
de rendre compte des progrès accomplis dans leurs programmes nationaux
de réforme.
La nouvelle gouvernance économique doit être
complétée par un meilleur suivi des politiques de l'emploi et
des politiques sociales, en particulier de celles qui peuvent avoir une
incidence sur la stabilité macroéconomique et la croissance
économique, conformément aux conclusions du Conseil du 1er
décembre.
5. À la lumière du rapport du président du Conseil
"EPSCO" [conseil
des ministres de l'emploi et des affaires sociales] et de
l'examen annuel de la croissance, les chefs d'État ou de gouvernement
ont eu un premier échange de vues sur les meilleures pratiques en ce
qui concerne leurs politiques de l'emploi et sont convenus qu'il était
particulièrement nécessaire de mobiliser pleinement le travail
au service de la croissance.
S'il faut poursuivre les réformes structurelles avec
détermination, il est également urgent de prendre, aux niveaux tant national qu'européen, des mesures
ciblées en faveur des catégories les plus vulnérables,
en particulier les jeunes chômeurs.
Le renforcement des mesures d'activation devrait être
complété par des efforts visant à accroître les
compétences, notamment par un ajustement des systèmes
d'éducation et de formation aux besoins du marché du travail.
Promouvoir l'emploi et les débouchés professionnels pour ceux
qui entrent sur le marché du travail et envisager de nouvelles
politiques de flexicurité
équilibrées pourrait contribuer de
manière significative à l'amélioration des perspectives
offertes aux jeunes sur le marché du travail.
6. Les chefs d'État ou de gouvernement ont accueilli favorablement les
rapports présentés par les ministres des finances des
États membres participants et par la Commission concernant les
progrès réalisés dans les discussions structurées
sur les questions relatives à la coordination des politiques fiscales.
Ces travaux seront poursuivis conformément au pacte pour l'euro plus,
en mettant l'accent sur les domaines où des actions plus ambitieuses
peuvent être envisagées.
Il convient d'accorder une attention particulière à la
manière dont la politique fiscale peut appuyer la coordination des
politiques économiques et contribuer à l'assainissement des
finances publiques et à la croissance.
Les ministres des finances et la Commission rendront compte des
progrès accomplis en juin 2012."
Au début de la semaine politique qui allait se terminer par cette
réunion et ce document, Madame Merkel,
chancelier de l'Allemagne, et Monsieur Sarkozy, président de la
République française, étaient convenus de ses bases pour
sauver l'euro, la cinquième rencontre du genre en dix
neuf mois - un seizième sommet de la dernière chance
depuis les débuts de la crise, en 2009, selon un journaliste du
quotidien Le Monde -
en se mettant d'accord sur un contrôle central plus grand des budgets
de chaque pays.
Cela va impliquer la modification des traités de l'Union
européenne - sous réserve d'approbation dans les formes
constitutionnelles de chacun des vingt sept pays,
et pas seulement de leurs dirigeants qui se réunissent à
Bruxelles. Dans certains pays, cela pourra même exiger un
référendum, ce qui est le pire cauchemar d'un homme de l'Etat.
Dès à présent, dans un affrontement qui pourrait
remodeler l'équilibre des forces en Europe, les "utilisateurs
d'euros" ont appris la nouvelle approche qui consiste à inscrire
des règles de dette dans un nouveau traité qui laisse de
côté le Royaume-Uni, au lieu de modifier les accords de l'Union
européenne qui remontent à la décennie 1950.
Neuf des dix pays non membres de l'euro - le Danemark, la Pologne, la
Bulgarie, la Hongrie, la Suède, la République tchèque,
la Lettonie, la Lituanie et la Roumanie - ont indiqué qu'ils
pourraient emboîter le pas, après consultation, avec leurs
parlements.
L'élément déclencheur a été le refus de
David Cameron, Premier ministre britannique, de soutenir un pacte entre 27
pays sans garanties à toute épreuve d'un droit de veto
britannique sur la réglementation financière future. Cameron
l’a appelée une menace pour la position de Londres comme centre
financier de premier plan de l'Europe.
"Ces plans d'union budgétaire font partie du processus
destiné à éviter la prochaine crise budgétaire de
la zone euro, mais ils ne font rien pour traiter l'actuelle", a
expliqué à Bloomberg, Carl Weinberg, économiste en chef
chez High Frequency Economics
de Valhalla, New York. "C'est un accord
prénuptial".
Seulement, il pourra ne pas avoir l'autorité d'un tel contrat.
2. La "bande
annonce".
"Mais n'avons-nous pas déjà vu le film, au moins la bande
annonce?"
se demande Caroline Baum, chroniqueuse de Bloomberg.
Et celle-ci de répondre :
"Elle s'appelait le 'pacte de stabilité et de croissance'".
Le pacte de stabilité et de croissance (P.S.C.) modèle 1997
était conçu pour maintenir la discipline budgétaire,
avec des règles adoptées à partir des critères
énoncés dans le Traité de Maastricht de 1992 comme
préalable à l'adhésion à l'Union monétaire
européenne (cf. ce billet de février 2010 par
exemple).
Ne pas se conformer aux mesures prescrites, comme dépasser le taux
maximum du déficit au P.I.B. fixé à 3% ou le taux
maximum fixé à 60% de la dette au P.I.B., était
censé déboucher sur des sanctions.
"Devinez combien de
pays membres ont dépassé les limites?
Devinez combien ont
été sanctionnés? "
A ces deux questions, la chroniqueuse de Bloomberg répond:
"Si vous avez répondu «beaucoup» et
«aucun», vous avez « bon »".
Il y avait beaucoup de circonstances atténuantes pour lesquelles les
pays en déficit excessif pouvaient échapper aux sanctions: des
choses comme des «circonstances inhabituelles» non
précisées - sur quoi Caroline Baum fait de l'humour en
écrivant "guerre, actes de Dieu, mort dans la famille?" - ou
une récession prolongée.
Le P.S.C. établissait même un protocole pour la procédure
de déficit excessif.
En pratique, les trous dans le P.S.C. ont été assez grands pour
que des pays comme la Grèce s'y glissent.
Quand l'Allemagne et la France vinrent à être pris de court en
2003, le Conseil de l'Union européenne a suspendu le P.S.C., pour le
réintroduire seulement en 2005 avec un cadre plus «flexible» .
Désormais, afin de former une union plus parfaite, les vingt sept pays de l'U.E. (Merkel
se contentera des dix sept qui utilisent l'euro)
devront soumettre leurs budgets à des bureaucrates de Bruxelles non
élus.
Le nouvel accord fiscal va au-delà d'un durcissement des règles
déjà prévue pour prendre effet la semaine prochaine.
Il réduit les déficits structurels à 0,5 pour cent du
produit intérieur brut et exige de chaque pays qu'il établisse
un "mécanisme de correction automatique" quand les budgets
s'écartent de la cible. Cette «règle d'or» sera
ancrée dans les constitutions nationales.
3. Qui fera quoi,
exactement, avec les pays dont les déficits et les dettes
dépasseront les limites prescrites?
Dans une lettre ouverte à Herman Van Rompuy,
président en exercice du Conseil européen, Merkel
et Sarkozy se sont mis d'accord sur un "cadre de
prévention», incluant des règles d'équilibre
budgétaire et les "conséquences automatiques" pour
les contrevenants, à moins, bien sûr, que des
«circonstances exceptionnelles» s'appliquent.
Mme Merkel s'est apparemment convaincu des
mérites qu'il y avait à protéger les investisseurs
privés car elle a concédé que les détenteurs
d'obligations ne devraient pas être forcés de supporter une
perte en cas de restructurations d'une dette souveraine, comme ils l'ont
été avec la Grèce.
Pris au pied de la lettre, cet engagement signifie qu'il y aura pas de
défauts de paiements souverains, toutes les obligations seront
payées à leur valeur nominale à
l'échéance.
"Aussi allons-y et achetons des obligations à haut rendement de
l'Italie, du Portugal et de l'Espagne, car ils sont vraiment des Bunds
allemands en déguisement! "
C'est d'ailleurs apparemment ce qui s'est arrivé.
Dirigées par l'Italie, dont le nouveau Cabinet a approuvé un
paquet de mesures d'austérité, les obligations
européennes ont recouvré leur forme la semaine dernière,
sans doute conduites par une couverture à court terme au cas où
le sommet tirerait un lapin d'un chapeau.
Les obligations de l'Italie ont reperdu une partie des gains lorsque la
Banque centrale européenne n'a pas réussi à s'engager
à acheter des obligations gouvernemental en
quantités suffisantes pour limiter les rendements.
4. La Banque centrale européenne.
Comme prévu, la B.C.E. - dont les comptes ne sont pas sans poser
problème (cf. ce billet) - a abaissé de 25
points de base son taux directeur - taux à court terme - à 1%
le jeudi 8 décembre 2011, la veille du "sommet".
Mais quid des
taux à long terme auxquels la banque achète les dettes
souveraines?
Après la réunion, à une conférence d'informations
(cf. son discours introductif), Mario Draghi, le nouveau président
de la B.C.E., a annoncé des mesures additionnelles temporaires,
incluant des prêts à trois ans, sans limite, aux banques et des
exigences de garanties plus faciles, pour aider à satisfaire les
besoins de liquidité du système bancaire.
A quel taux ?
Il a été moins question des mesures pour traiter les questions
de solvabilité qui frappent les banques européennes.
Merkel et Sarkozy sont convenus de mettre en oeuvre un fonds de secours permanent dès
l'année prochaine, mais les marchés financiers vont vouloir
quelque chose de concret, pas un autre palliatif qui redonne confiance pour
une semaine ou un mois.
5. Proche horizon.
Il faut savoir que les Etats de la zone euro doivent rembourser plus de :
€ 1100 milliards
de dettes à long et à court termes en 2012, et :
environ € 519 milliards
de dettes italienne, française et allemande à
échéance du seul premier semestre, selon les données
compilées par Bloomberg.
Les banques européennes, pour leur part, ont environ :
$ 665 milliards
de dette arrivant à échéance dans les six premiers mois
de 2012 (selon Citigroup Inc. et les données de Dealogic).
A ce sujet, Holger Schmieding, chef
économiste Europe à la Berenberg Bank
à Londres, a informé Bloomberg que l' "avalanche" des
besoins de refinancement dans les deux prochains mois signifie que la crise
pourrait s'aggraver et que "la B.C.E. serait alors en définitive
contrainte d'intensifier son action anti-crise pour sauver l'euro et
elle-même."
Au moment même du 20ème anniversaire du sommet de Maastricht qui
a ouvert la voie de l'euro et dix neuf mois
après que les dirigeants européens ont forgé leur
premier plan pour contenir la tourmente de la dette souveraine (cf. ce billet par exemple), les mêmes
affichent ajouter € 200 milliards à des
règles plus strictes pour limiter les dettes futures.
Le pacte budgétaire du sommet met l'Europe sur la voie d'un
«euro durablement stable", a déclaré à des journalistes
Madame Merkel qui a conduit le mouvement en faveur
de règles budgétaires plus strictes. "La percée
vers une union de stabilité a été atteinte ».
En mettant quelques € 200 milliards supplémentaires
sur le tapis, ils retirent, pour la première fois, une contribution
des banques centrales nationales de la région euro, en les amenant
à prêter :
€ 150 milliards
aux ressources générales du Fonds monétaire
international.
Les États non-euro de l'U.E. participeront à hauteur de près
de :
€ 50
milliards.
Les dirigeants européens doivent confirmer dans les dix jours comment
ils vont canaliser les fonds vers le F.M.I. qui serait alors mieux en mesure
d'aider les États européens en difficulté.
Ils ont fixé la date de Mars 2012 pour se mettre d'accord sur la
langue du nouveau livre de règles et pour réévaluer les
plans pour plafonner le prêt global de la facilité de sauvetage
permanente à
€ 500 milliards.
Ils ont dilué la demande que les détenteurs d'obligations
assument des pertes dans les sauvetages.
Les dirigeants européens visent à mettre en place le fonds de
sauvetage permanent, connu comme le "Mécanisme européen de
stabilité", dès juillet 2012, soit avec un an d'avance sur
ce qui avait été admis à des réunions
antérieures.
L'Allemagne a dévié un mouvement pour accorder au
"mécanisme" une licence bancaire, ce qui lui
permettrait de multiplier sa puissance de feu en empruntant
auprès de la B.C.E.
Selon certains, l'Allemagne a reculé pour le fonds permanent.
Celui-ci suivra les pratiques du F.M.I. qui imposent des pertes potentielles
aux détenteurs d'obligations d'Etats couverts de dettes.
Mme Merkel a en effet défendu
"l'implication du secteur privé" comme un moyen
d'alléger le fardeau du sauvetage qui pèse sur les
contribuables, tout en reprenant les avertissements de la B.C.E. et des
investisseurs qu'un tel stratagème empêche la contagion.
"Pour le dire plus crûment: notre première approche de
l'implication du secteur privé, approche qui a eu un effet très
négatif sur les marchés de dette, est maintenant
terminée", a déclaré Herman Van Rompuy,
président de l'U.E.
Dont acte.
Le 8 décembre 1991, veille de la réunion de Maastricht,
l'U.R.S.S. disparaissait, après six années de perestroïka
et soixante quatorze années de traitement
des femmes et des hommes par "le parti communiste" comme un cheptel
mal entretenu : elle avait vu le jour en 1917 (cf. ce billet). Qui l'eût cru le
7 décembre 1991?
A bon entendeur, salut.
Addendum audio du
12 décembre 2011.
Faiblesses des accords européens.
http://www.box.com/shared/static/fmaqovtpasy722yyvg43.mp3
Georges Lane
Principes
de science économique
Georges
Lane enseigne
l’économie à l’Université de Paris-Dauphine.
Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du séminaire
J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi les très
rares intellectuels libéraux authentiques en France.
Publié
avec l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits
réservés par l’auteur
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