Au risque d’atteindre la surchauffe, la mécanique économique semble bloquée en mode “plus haut, plus fort, plus loin” sans que ça n’inquiète qui que ce soit. La situation est tellement exceptionnelle et inédite qu’on parle tous les quatre matins “d’alignement des planètes” de “moment historique” ou même d’occasion rêvée pour changer nos modèles obsolètes. Mais l’euphorie du court terme ne serait-elle pas surtout en train de tuer la raison du long terme ?
Le fameux “alignement des planètes”
En économie, on parle “d’alignement des planètes” lorsqu’un certain nombre de facteurs clés s’orientent simultanément en position favorable pour créer les conditions idéales à une amélioration substantielle d’une situation politique, financière, monétaire… ou même des trois à la fois. L’analogie cosmologique est assez bien trouvée car ce genre de configuration est assez rare, et surtout particulièrement bref, pour inciter les acteurs économiques à en profiter dès que l’occasion se présente. Cela leur permet d’engranger des bénéfices, ou encore de renforcer leurs positions pour continuer à prospérer lorsque les “planètes” se seront “désalignées” et que l’économie aura retrouvé son état naturel plus ou moins chaotique.
Or, il se passe un phénomène étrange depuis quelque temps, et plus précisément depuis le dernier alignement des planètes qui remonte maintenant à deux ou trois ans. C’est que, justement, les planètes de l’économie mondiales semblent toujours alignées. Et deux ou trois ans, c’est long, très long. Trop long.
Alignement ou effondrement inéluctable et ordonné ?
Pour reprendre l’analogique avec la mécanique céleste, il n’y a qu’une raison pour laquelle des astres se retrouvent subitement alignés et filent ainsi à toute allure dans l’espace, de plus en plus vite et sans paraître vouloir dévier de leur trajectoire. C’est tout simplement parce qu’ils ont été happés par quelque que chose de tellement puissant que cela a brusquement annihilé leur mouvement naturel pour les précipiter en file indienne vers un point bien précis de l’espace. Et le seul objet susceptible d’imposer une telle force d’attraction à des planètes, des astres qu’on pensait immuables, voire des galaxies parfois, c’est un trou noir.
Notre économie est en train d’être aspirée par un trou noir gigantesque. Cela explique notamment pourquoi tous les modèles connus jusqu’ici sont désormais inopérants, pourquoi les marchés ne réagissent plus comme ils l’ont toujours fait. Et surtout pourquoi tout semble aller de plus en plus vite comme un manège qui s’emballe et qui, après avoir amusé les enfants qui montaient et descendaient sur leurs chevaux de bois, commence aujourd’hui à les effrayer sérieusement.
Des circonstances inédites qui ne répondent plus à aucun modèle
Historiquement, les taux d’intérêt n’ont jamais été aussi bas, les masses monétaires n’ont jamais été aussi pléthoriques, les principaux indices boursiers se sont rarement portés aussi bien, et pour tout dire on pourrait presque croire que, oui, cette fois les arbres peuvent pousser jusqu’au ciel.
Aux États-Unis, véritable phare de l’économie mondiale depuis que la devise américaine est devenue la référence au niveau international, rien de ce qui frappe la première puissance de la planète ne semble désormais ébranler l’insolente progression des marchés financiers.
Pourtant, que ce soit sur le plan politique, stratégique, économique et même idéologique, l’arrivée de Donald Trump au pouvoir risque de marquer l’une des plus calamiteuses périodes de l’histoire du pays. Mais peu importe, le Dow Jones s’envole.
Le dollar a désormais perdu près de 95% de la valeur qu’il avait au début des années 70 lorsqu’il fut choisi (imposé ?) comme étalon de richesse à l’échelle planétaire. Mais peu importe, le Dow Jones continue de caracoler vers des sommets.
Les chiffres du chômage aux USA ont été grossièrement truqués pour laisser croire au plein emploi alors que le pays n’a jamais connu d’aussi mauvaises conditions depuis la Grande Dépression. Mais ce n’est rien, le Dow Jones continue à monter.
Les menaces de guerres, qu’elles soient commerciales avec la Chine, militaires avec la Corée du Nord ou même idéologique avec le reste du monde qui commence à voir la Russie comme un pis aller, rien de tout cela ne semble désormais freiner l’indice boursier américain qui abat record sur record chaque semaine.
Les limites d’un système qui ne produit plus rien
Sauf que ces phénomènes ne doivent rien au hasard et que les politiques plus qu’accommodantes menées par les banques centrales n’y sont pas étrangères. En cumulant création de monnaie “no limit” et abaissement du coût de l’argent à des niveaux jamais vus (voire négatifs !), les grands argentiers du monde ont fait le travail dont rêvaient les communistes depuis un siècle : casser la machine capitaliste.
Aujourd’hui, l’argent ne vaut plus grand chose et rapporte encore moins que cela. Et la contrepartie de ces rendements faméliques, c’est qu’à part pouvoir s’endetter gratuitement, on n’a plus vraiment le sentiment de s’enrichir. Certes, on peut acquérir des biens, mais il faut les rembourser. Et pour cela, gagner plus d’argent encore.
L’issue fatale : vendre pour récupérer un peu de plus-value
Aujourd’hui, un bon nombre d’investisseurs réfléchissent à prendre une partie de leurs profits sur les marchés afin de compenser le manque de rentabilité de leurs placements. D’autres cherchent des alternatives et se prennent à rêver à des pseudo-monnaies qui seraient à la fois rentables et déconnectées de ces marchés expansionnistes qui ne rapportent plus rien. Le bitcoin fait partie de ces expériences et, malheureusement pour ceux qui y croient encore, il ne sera rien d’autre qu’une expérience.
Et qui plus est, une expérience douloureuse. Tous les millionnaires, voire les milliardaires en bitcoin, ne sont riches que virtuellement. Certes, quelques uns parviendront à tirer leur épingle du jeu, ceux qui se trouvent en haut de la pyramide et qui auront su revendre leur crypto-devise avant l’effondrement du château de cartes. Mais tous les autres ?
Enfin, il y a les devises, les vraies (enfin, façon de parler, appelons-les plutôt les officielles). Il s’en est créé tellement ces dernières années, à grands coups de quantitative easing, qu’il va bien falloir commencer à réfléchir à ce qu’elles valent en réalité. La désillusion risque d’être brutale. Et la dévaluation aussi…
Les premiers profits signeront le début de la fin
Finalement, lorsque les premiers gros investisseurs vont commencer à prendre leurs profits sur les marchés (histoire de compenser, rappelons-le, le manque de rentabilité de leurs autres placements) et que les actions vont commencer à être massivement mises en vente, qui peut croire encore que le Dow Jones continuera à pousser quasiment à la verticale ?
Et dès les premiers signes de fléchissement de l’indice US (suivi de près par les autres indices majeurs de la planète), d’autres investisseurs vont se dire qu’il est peut-être temps pour eux aussi de récupérer leur mise, avec l’espoir d’une plus-value au passage, faisant encore davantage plonger les indices boursiers sans doute bien plus vite qu’ils avaient remonté la pente depuis la dernière crise de 2008.
Et ce sera vite l’emballement : plus les indices baisseront, plus les gens voudront vendre, et les perdants (ceux qui auront acheté à la hausse) seront de plus en plus nombreux.
Les richesses véritables et intangibles : l’option gagnante
Un scénario bien sombre qui laisse entendre que ceux qui n’auront pas su l’anticiper sont condamnés à plus ou moins brève échéance. Sauf qu’il existe malgré tout une échappatoire.
On les appelle valeurs refuges, et elles n’auront alors sans doute jamais aussi bien porté leur nom. Les terres et l’immobilier pour posséder un point d’ancrage physique en des temps où, peut-être, des millions de gens se retrouveront littéralement à la rue. Mais aussi de l’or et les métaux précieux en guise de réserve de valeur pour quand les jours seront devenus meilleurs, mais aussi pour pouvoir continuer à échanger avec les autres acteurs économiques lorsque les devises ne vaudront plus rien ou presque.
Dé-bancarisés, donc libérés de l’emprise du surendettement organisé par les institutions financières, ces capitaux et leur détenteurs échapperont à la spoliation (l’argent que nous avons en banque n’est qu’une illusion) et pourront attendre que le trou noir économique dans lequel nous nous élançons joyeusement ait fini de digérer les ressources factices dont l’énormité incontrôlable aura poussé le système à s’effondrer sur lui même.
Un retour à des valeurs économiquement humaines
Alors, lorsque l’espace économique se sera assaini et calmé, peut-être pourrons-nous revenir à une conception plus saine de l’économie, pas forcément en retournant à l’étalon-or qui, lui aussi, a montré ses limites à une certaine époque, mais plutôt en comprenant qu’on ne peut indéfiniment vivre à crédit sur le dos des générations futures. Que ce soit sur le plan environnemental, sociétal et même économique.
L’or et l’argent n’ont donc pas forcément vocation à (re)devenir des monnaies, mais plutôt à servir de modèle quant à la nécessité de créer un système économique basé sur des richesses véritables. Des richesses qui peuvent évoluer, certes, au gré des nouveaux apports, et dont l’évolution dépendra surtout, non pas d’une course à la spéculation sans cause, mais de l’amélioration des conditions de vie et de production capables d’accompagner durablement le progrès, la démographie et les besoins de chacun.
Ce système reste majoritairement à créer, mais quand on voit qu’un bête algorithme informatique créé à partir de rien il y a 7 ou 8 ans, sur une idée somme toute relativement vertueuse de liberté et d’égalité, représente aujourd’hui plusieurs centaines de milliards de dollars (totalement virtuels, mais tout de même), on peut raisonnablement garder foi en l’esprit humain pour parier sans grand risque sur une solution pérenne qui saura s’affranchir des excès de ces dernières décennies. Des excès dont le bitcoin n’est rien de plus que la caricature paroxystique qui marque sans doute la fin d’un modèle.