Le dernier livre de Nicholson
Baker intitulé Human Smoke: The Beginnings of World War II, the
End of Civilization est probablement le livre non fictionnel le plus exceptionnel que
vous aurez jamais l’occasion de lire. Basé sur d’anciens
articles de journaux et de magazines, discours radio, mémoires,
journaux intimes et biographies, le livre de 566 pages de Baker plonge son
lecteur dans l’esprit des grands acteurs de l’Histoire à
l’approche de la guerre.
Chaque paragraphe du livre est
rédigé à la manière d’un communiqué
de presse et relate un évènement particulier. Il n’est pas
nécessairement lié aux paragraphes qui le
précèdent et qui le suivent. Au départ, je
m’attendais à ce que ce livre soit plus ennuyeux que jamais et
qu’il n’ait rien de plus excitant que la lecture de vieux
journaux, mais les informations qu’il contient sont si
intéressantes (et parfois si étonnantes) que je l’ai lu
d’un trait (bien que je n’ai pas vraiment eu le choix,
m’étant trouvé forcé de m’asseoir neuf
heures d’affilée lors d’un vol Vienne-Washington DC).
Bon nombre des icônes de
ce que l’on appelle parfois la ‘génération
héroïque’ ne sont pas dépeintes de manière
aussi sensationnelle qu’elles ne le sont par leurs hagiographes et ceux
qui écrivent les manuels scolaires. Peut-être l’exemple le
plus frappant est-il la manière dont Baker présente le vrai Churchill.
Winston Churchill est
dépeint comme ayant ressenti une forte haine pour les Allemands
dès son plus jeune âge. Il aurait lui-même dit en 1914 que
‘le blocus Britannique menaçait l’Allemagne entière
comme s’il s’agissait d’une forteresse
assiégée, et n’avait pour objectif que d’affamer la
population – hommes, femmes et enfants, vieux comme jeunes –
jusqu’à la soumission’. Le général Sherman
n’aurait pas pu mieux dire les choses s’il avait remplacé
‘Allemagne’ par ‘Sud’.
En 1918, Eleanor Roosevelt s’est
plainte d’avoir été invitée à une
soirée organisée par le financier Bernard Baruch et aurait
déclaré ‘Je préfèrerais être pendue
que d’apparaître à cette soirée’ parce que la
majorité des gens qui y étaient invités se trouvaient
être Juifs. Son mari Franklin, ayant découvert en 1922
qu’un tiers des étudiants de première année
à Harvard étaient des Juifs, s’est rendu auprès du
Conseil d’Admission auquel il appartenait, pour demander à ce
que soient modifiés les critères d’admission et que le
pourcentage d’étudiants Juifs soit diminué de 1 à
2% par an jusqu’à n’atteindre pas plus de 15%.
Le 8 février 1920,
Churchill a publié un article dans un journal dans lequel il semble
s’être arrêté un instant de s’en prendre
à tout ce qui est Allemand pour déclarer que son ennemi
réel était ‘la sombre confédération
internationale des communautés Juives’,
confédération qu’il juge coupable de la naissance du
communisme.
Il s’en est ensuite pris
à l’Inde, à l’Irak, et à d’autres
zones récalcitrantes de l’Empire Britannique.
S’étant vu donner la responsabilité de développer
la puissance aérienne de l’Angleterre, il aurait
déclaré à l’un de ses subordonnés
qu’il ‘ne voyait pas d’inconvénient à ce que
soit lâché du gaz empoisonné sur les populations
indigènes’. En conséquence, la British Air Force ‘a
bombardé les tribus rebelles en Irak et brûlé leurs
villages’, après quoi Churchill a félicité le
commandant Britannique pour avoir ‘amélioré la situation
en Irak’. Si une chaîne d’informations
télévisées avait existé à
l’époque, elle aurait sans doute passé des mois à
célébrer les politiques de Churchill.
En 1925, les troupes
Britanniques lâchèrent plus de 150 tonnes de bombes sur l'Inde
pour contenir les tribus rebelles du territoire. La guerre est un enfer pour
ceux qui désirent se séparer d’un Empire qui les
exploite.
Dans les années 1920,
Churchill admirait Mussolini autant que tout autre homme. ‘Je ne peux
m’empêcher de me trouver charmé par la gentillesse et la
simplicité de Signor Mussolini et par son
allure calme et détachée malgré tant de fardeaux et de
dangers’.
Aussi tard que dans les
années 1930, il faisait encore l’éloge d’Hitler.
‘Ceux qui ont rencontré Herr Hitler
ont pu percevoir son côté compétent, calme et très
informé, ses manières agréables, son sourire
désarmant et son subtil magnétisme’. Est-il possible que
quelqu’un ait un jour plus mal jugé un personnage que Winston
Churchill ?
L’homme dont la statue
vient d’être érigée au Hillsdale
College était l’expert-conseil
très bien payé de l’industrie de l’armement durant
les années 1920-1930. Il recevait 12.500 dollars par discours, qui lui
étaient offert par des personnages tels qu’Harry McGowan, directeur d’Imperial Chemical
Industries, une société spécialisée dans la
manufacture de TNT, de bombes, de munitions et de gaz empoisonné. Il
s’est rendu dans plusieurs villes pour mettre en garde contre les
conséquences dont souffrirait le pays s’il ne s’armait pas
lourdement. Pour en faire une analogie Américaine, disons qu’il
était le Richard Perle, le Bill Kristol ou le
Dick Cheney de son temps.
Dans les années 1930,
aussitôt que Gandhi commença à influencer des millions
d’Indiens, 60.000 de ses disciples furent emprisonnés, ce qui
poussa Churchill à déclarer que ‘le Gandhi-isme et tout ce qu’il représente (la
résistance pacifique à la tyrannie) devrait tôt ou tard
être écrasé’. Comme l’écrit Baker,
‘Gandhi avait remplacé Lénine en tant qu’ennemi
juré de Churchill’.
Baker discute la
manière dont le diabolique Staline, grand ami de FDR et Churchill, fit
mourir de faim des millions d’Ukrainiens au début des
années 1930 et força les survivant à manger des rats,
des insectes et des corps d’enfants morts.
Baker apporte également
la preuve que FDR savait parfaitement quel traitement horrible était
réservé aux Juifs d’Allemagne et d’ailleurs, et néanmoins
refusa de lever le petit doigt pour leur venir en aide. Lorsqu’un
journaliste lui demanda s’il existait quelque part sur Terre un endroit
où les Juifs d’Europe pouvaient espérer trouver refuge,
FDR répondit ‘Il n’est pas encore l’heure de
considérer cela’. En 1938, FDR déclara qu’il lui
serait impossible d’accueillir des immigrants Juifs sur son territoire
pour des ‘raisons de quotas’.
Baker apporte également
des complémentes à l’ouvrage de Robert Stinnett, Day of Deceit, en expliquant que FDR savait que Pearl Harbor allait être attaqué, et qu’il
tentait alors depuis des années de pousser les Japonais à
attaquer les Etats-Unis. Il savait que ce serait là la meilleure
excuse de pouvoir intégrer le conflit en Europe. Il cite le journal
d’Henry Stimson après avoir
relaté une réunion à la Maison Blanche le 25 novembre
1941 lors de laquelle Stimson aurait
déclaré : ‘La question était de savoir
comment nous pouvions pousser les Japonais à tirer les premiers sans
nous mettre trop en danger’.
Une fois que la guerre fut
lancée, Churchill déclara la guerre totale contre les citoyens
Allemands au même titre que contre leur armée. Lorsqu’il
se vit demander pourquoi il ne bombardait pas plus de villes peuplées majoritairement
de civils, il répondit : ‘J’ai l’habitude de
faire des affaires avant de m’amuser’.
Des sujets Britanniques furent
sacrifiés afin de faire monter la température du conflit, de la
même manière que 2000 Américains furent sacrifiés
à Pearl Harbor. Ayant eu connaissance de la
prévision d’une attaque de Coventry par les Allemands, Churchill
s’arrangea pour que personne ne soit mis au courant. 500 personnes
trouvèrent la mort lors de l’attaque, et une grande partie de la
ville fut détruite. Churchill n’a pas visité Coventry
après l’attaque, mais a toutefois demandé à ce que
les dégâts soient largement publicisés.
Baker cite également
certains discours et écrits de personnes qui ont rencontré
Hitler et s’en sont fait une opinion diamétralement différente
de celle qu’en avait Churchill dans les années 1930. Certains
ont dit que ses yeux sortaient de leurs orbites de manière peu
naturelle, qu’il était un personnage maniaque au
tempérament instable, et qu’il était clairement
dérangé. Une majorité des Américains de ma
génération ont toujours partagé cet avis, mais il est
toutefois intéressant de lire l’opinion que se faisaient les
gens de l’époque de ce monstre.
Certains récits
d’opposants à la guerre sont également cités dans Human Smoke, ce
qui suffit selon moi à justifier le prix du livre –
jusqu’alors, ces informations avaient toujours été
laissées de côté. Le lire leur est dédié
pour avoir pour la plupart héroïquement mais sans succès
tenté de ‘protéger des réfugiés Juifs,
nourrir l’Europe, réconcilier les Etats-Unis et le Japon et
mettre fin à la guerre’.
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