En analysant
les différentes négociations portant sur l’introduction
des nouvelles taxes, on observe que dans les domaines d’activité
où les groupes d’intérêt sont bien
organisés, il s’agit souvent de fausses taxes car elles sont
compensées par d’autres privilèges fiscaux, voire par des
subventions. Ce billet discutera un autre aspect important de certaines de
ces nouvelles taxes : leur rétroactivité.
Car dans la
mesure où la fameuse taxe à 75% s’appliquera aux salaires
supérieurs à un million d’euro payés en 2013, elle
aura forcément un effet rétroactif. Il s’agit d’une
loi adoptée en octobre 2013 qui concerne les calculs comptables de
l’année qui vient de passer. Il est donc vraisemblable que ces
dépenses imprévues n’ont pas pu être
intégrées et devront être déduites des profits de
l’année suivante.
Alors que
cette taxe à 75% avait été annoncée lors des élections
de 2012 et qu’il était donc prévisible que François
Hollande président allait la mettre en application, d’autres
taxes au caractère rétroactif ont été
ajoutées au cours des derniers mois.
Dans le cadre
du Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2014 (finalement voté
à l’Assemblée nationale le 23 octobre), le gouvernement
s’est attaché à revoir les prélèvements
sociaux sur les produits de placement exonérés dans l’objectif déclaré
d’apporter environ 600 millions d’euros au budget, dont la plus
grande partie sera reversée à la sécurité sociale
afin de réduire le déficit qui dépasse actuellement les
13 milliards d’euros.
Plus précisément, sous le couvert d’une
uniformisation, de nombreux prélèvements sur des contrats
d'assurance-vie, des plans d'épargne en actions (PEA) et des plans
d'épargne-logement (PEL) et l’épargne salariale ont
été augmentés à 15,5% quelle que soit la date de
leur souscription. Ce qui est frappant dans ce projet de loi c’est
qu’il s’agit donc d’une modification implicite des contrats
souscrits précédemment, qui plafonnaient déjà les
taux de prélèvement en fonction de la date à laquelle le
contrat avait été souscrit. Par exemple, pour les gains
réalisés en 1996, les taxes sur les plus-values et les
dividendes étaient plafonnées à 0,5 %, (à 3,9% en
1997, à 10% en 2004
et à 15,5% pour les gains réalisés depuis juillet 2012).
À peine
voté en première lecture, le texte du 23 octobre est
modifié quelques jours plus tard et exempte de cette décision
les PEA et le PEL, mais pas les assurances-vie. Les modifications prises en
compte dans la nouvelle mouture de la loi annuleraient certains effets
rétroactifs mais laissent tout de même une impression
générale d’instabilité fiscale.
Imaginez que
l’on modifie rétroactivement non seulement les montant des taxes
mais aussi les peines et les infractions ou encore la loi électorale
pour changer ex-post les
résultats des élections. Si ces exemples nous choquent, alors
on devrait aussi l’être
dans le cas de ces taxes rétroactives, car le principe à
l’œuvre est identique.
Il faut noter
au passage que dans le droit pénal français, les lois
rétroactives ne sont acceptées que si elles sont en faveur de
l’inculpé (remise des peines ou annulation des infractions),
suivant le principe de von Feuerbach introduit en 1813 dans le code de
Bavière : Nullum crimen, nulla poena sine praevia lege poenali (il n’y a pas de crime et de punition sans
loi préexistante). Depuis, ce principe est devenu l’un
des piliers de l’État de droit, qui permet de le distinguer des
régimes politiques arbitraires. Ainsi, la Cour européenne des droits
de l’homme avait précisément utilisé
cet argument pour condamner la décision du gouvernement hongrois
d’instaurer une taxe rétroactive à 98%.
Somme toute,
en dehors du fait qu’une décision rétroactive semble
souvent injuste (puisqu’il s’agit d’une décision
arbitraire), elle a des conséquences économiques très
graves. Elle contribue à l’instabilité économique
dans la mesure où elle complique davantage les calculs comptables des
entrepreneurs (une activité qui était profitable les
années passées pourrait ne plus l’être
soudainement) et surtout, décourage les agents économiques
d’engager des ressources dans des projets à longue terme. Il
faut être conscient du fait que la confiance dans un environnement
d’affaires se construit difficilement, alors qu’elle peut
être défaite par la signature d’un projet de loi.
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