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Le projet de loi
relatif à la consommation, défendu par Benoît Hamon
et adopté définitivement le 13 février, a
été décrit dans la presse comme un texte de loi visant
à dérèglementer des métiers (le transport des
personnes, les assurances, la vente des produits optiques etc.) actuellement
monopolisés par des acteurs privilégiés. Bien que cette
nouvelle loi ait été très bien accueillie par les
associations de consommateurs, une lecture attentive du texte voté au
Sénat nous fait douter de sa volonté et capacité
à dérèglementer.
Prenons
l’exemple d’un des objets de cette loi sur la consommation les
plus discutés ces derniers temps dans la presse, le marché des
lunettes. La proposition majeure de la loi Hamon consiste à obliger
les ophtalmologues à renseigner l’écart pupillaire sur
l’ordonnance qu’ils délivrent. Cet écart n’est
actuellement pas forcement pris par les ophtalmologues. Il l’est plus
habituellement par les opticiens-lunetiers et parfois par les clients eux-mêmes
(à l’aide d’une photo et d’une règle).
L’intérêt de cette mesure serait de permettre aux clients
de pouvoir s’acheter directement des lunettes sur l’un des
nombreux sites internet qui le proposent (http://www.happyview.fr/, http://www.malentille.com/, http://www.sensee.com/), contournant ainsi les enseignes
traditionnelles ayant pignon sur rue.
À première vue, cette obligation envers les
ophtalmologues permettrait à de nouveaux marchands de lunettes d’entrer
sur le marché et aurait donc le potentiel à terme de faire diminuer
le prix des lunettes. Il est toutefois difficile de voir dans cette mesure
une véritable déréglementation, car elle ne fait en
réalité qu’obliger les ophtalmologues à fournir un
service qu’ils pouvaient de toute manière déjà
proposer puisque l’écart pupillaire n’est pas un monopole
légal détenu par les opticiens-lunetiers. Tandis que cette loi
ne brise aucun monopole, elle crée des privilèges. D’où
l’optimisme de Marc Simoncini (le PDG de http://www.sensee.com/) qui, grâce à cette nouvelle loi,
estime pouvoir conquérir de 5% à 10% des parts de
marché.
Ainsi, au lieu de dérèglementer le marché des
produits optiques, cette loi le réglemente davantage. Si ce
modèle économique était à même de stimuler
véritablement la concurrence, il suffirait de l’appliquer
à tous les services et d’obliger, par exemple, les
aéroports à fournir des services d’embarquement gratuits
pour tous les voyageurs des compagnies aériennes. De telles lois
pourraient certes augmenter l’offre de certaines compagnies
aériennes qui verraient ainsi leurs coûts diminuer, mais elles
pénaliseraient indirectement les autres compagnies aériennes
ayant déjà réussi à négocier des tarifs
avantageux. Si cette situation était généralisée,
elle déséquilibrerait durablement les relations de
marché car elle encouragerait les entreprises à mettre
davantage la pression sur le gouvernement pour décréter
d’autres servies gratuits au lieu de négocier par leurs propres
moyens des prix avantageux.
De ce point de vue, il est important de noter que les
véritables réglementations dans le secteur des produits
d’optique correctrice sont l’obligation de fournir une ordonnance
pour l’achat des lunettes, ou encore celle de détenir une
licence pour les praticiens (les ophtalmologues et les opticiens). En effet,
le métier d’opticien-lunetier est strictement
réglementé par l’article L4362
du Code de la Santé Publique avec l’obligation de déposer un
diplôme d’État (BTS Opticien Lunetier) auprès de l’Agence
régionale de la santé pour pouvoir exercer ce métier.
Donc, au lieu d’une véritable
dérèglementation de ces métiers, qui aurait pu apporter
une réelle concurrence à tous les niveaux (diplômes,
licences, services et produits) et augmenter la palette de choix dans ce
domaine (tant en ce qui concerne le prix que la qualité des produits
optiques), le gouvernement a simplement décidé de fournir un
privilège à certains commerçants.
Somme toute, il n’est pas du tout certain que cette loi puisse
atteindre son objectif déclaré: « des lunettes
de qualité et bon marché ». Dans la mesure où
cette loi ne fait que faciliter la vie de certains entrepreneurs, son application
ne profitera pas directement aux consommateurs de services optiques mais aux
marchands de lunettes en ligne.
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