Il ne s’agira pas ici de la querelle qui oppose les
automobilistes parisiens et les partisans du Vélib’,
les uns accusant les autres, non sans raison parfois, de tous les maux et vice versa.
Je veux plutôt vous entretenir, alors que le Tour de France a achevé
le 27 juillet sa 101ème édition, de l’affrontement,
au début du siècle, du journal Le Vélo à son confrère L’Auto.
Au commencement était Le
Vélo, quotidien fondé en 1891 par Pierre Giffard et
consacré à la petite reine. En 1896, Le Vélo s’ouvre à tous les sports et
crée de nombreuses manifestations sportives : courses à
pied, jusqu’au marathon, et courses automobiles. Le quotidien ne se
désintéresse pas du vélo pour autant et crée
également des épreuves cyclistes : Paris-Brest-Paris
dès 1891, puis Paris-Roubaix et Bordeaux-Paris, parmi les plus
célèbres.
En 1897, une nouvelle rubrique apparaît, « Le Carnet
du jour » consacrée à des sujets de politique
générale. C’est alors, qu’en 1898, à la
suite de la célèbre tribune d’Émile Zola dans L’Aurore –
« J’accuse… ! » - Le Vélo soutient le capitaine Dreyfus.
Cela n’est pas du goût des annonceurs. Et l’est de
moins en moins au fur et à mesure que l’affaire s’envenime
et rebondit (suicide du colonel Henry, cassation du procès,
manifestation royaliste, procès en révision), et que Le Vélo prend de plus en plus
partie, faisant passer les nouvelles sportives au second plan.
C’est alors que le principal annonceur du quotidien – le
comte de Dion-Bouton – convainc quelques industriels comme lui
liés à l’automobile – tels Michelin ou
Clément – et comme lui dreyfusards, de lancer un nouveau journal
qui viendra concurrencer directement Le
Vélo. Le 16 octobre 1900 paraît le premier numéro de L’Auto-Vélo.
Les deux quotidiens se livrent alors une guerre sans merci. L’un
et l’autre débauchent des journalistes et créent de
nouvelles manifestations sportives.
En 1902, Le Vélo
intente un procès à L’Auto-Vélo
pour le priver d’utiliser le mot « vélo ».
L’humoriste Alphonse Allais, plume de L’Auto-Vélo, s’en amuse : dans sa
chronique du 8 novembre 1902, il invente l’histoire d’un restaurateur
venant de recevoir, de la main d’un huissier une
« injonction de n’avoir plus à servir chez lui la
moindre cervelle au beurre noir, ou, tout au moins, défense de
mentionner ce mets sur la carte de son menu, le terme cervelle au beurre noir contenant les deux syllabes velle au ».
Quoi qu’il en soit, Le
Vélo gagne son procès et L’Auto-Vélo est contraint de se débaptiser.
Le 16 janvier 1903, il devient L’Auto.
Mais Le Vélo reste toujours
en tête des ventes. Henri Desgrange,
directeur de L’Auto, cherche
alors l’idée qui pourrait terrasser son adversaire. C’est
Géo Lefèvre, un de ses journalistes, qui la lui donne :
« Pourquoi pas un Tour de France cycliste. Une course de plusieurs
jours, plus longue et plus dure que toutes celles qui existent
déjà. Quelque chose comme les Six-Jours mais sur la route ».
Et le 1er juillet 1903, 60 coureurs prennent le départ du
premier Tour de France.
Le
Vélo ne se remettra pas de coup fameux et disparaît en novembre
1904.
Force est de constater qu’Henri Desgrange
s’est comporté en véritable entrepreneur puis qu’il
l’a emporté sur son concurrent en innovant. S’il avait
voulu réitérer la chose aujourd’hui, et organiser le Tour
de France, il aurait probablement eu les plus grandes peines du monde pour
arriver à ses fins.
Comme l’affirme l’Ufolep dans un
dossier,
« organiser un événement sportif s’apparente
de plus en plus à un parcours du combattant tant les contraintes sont
nombreuses et complexes… Juridiques, administratives,
financières ou sécuritaires […] ». La
fédération sportive donne des exemples :
« […] un champ de blé situé à
proximité du terrain utilisé peut inciter les pompiers à
interdire une manifestation afin d’éliminer tout risque
d’incendie ». Ou bien ce sont les collectivités
locales qui exigent des organisateurs désirant vendre quelques merguez
l’utilisation de barbecues électriques et non plus à gaz.
Pour une épreuve cycliste sur route, il faut placer des
bénévoles à chaque carrefour ou rond-point. Des
bénévoles qui doivent avoir le permis de conduire, alors
qu’il n’y en a pas besoin pour circuler à Vélib’ dans Paris !
Le Tour de France est aujourd’hui une institution et il connaît
un tel succès qu’il n’est pas envisageable de le voir
disparaitre. Et le groupe Amaury, son propriétaire, par ailleurs
détenteur de L’Équipe
(qui prit la suite de L’Auto,
interdit en 1944 pour avoir été trop favorable à
l’occupant allemand), est un professionnel des manifestations
sportives. Il a un savoir-faire indéniable et les capacités et
les compétences pour s’adapter aux nouvelles normes.
Tout cela illustre bien un des maux actuels de la France : les
réglementations et toutes les barrières mises à
l’entrée d’un marché empêchent
l’innovation et donc la création d’emplois.
Regardons l’actualité : les taxis ne sont-ils Le Vélo
d’aujourd’hui, et les créateurs de sociétés
de VTC (voiture de tourisme avec chauffeur) autant d’Henri Desgrange qu’on empêche d’innover ?
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