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Je propose de
revenir sur les dernières élections présidentielles roumaines, qui ont eu lieu
le 2 et le 16 novembre dans le plus grand mutisme médiatique alors qu’elles
se sont avérées lourdes de significations politiques pour la conception de la
démocratie au sein de l’Union européenne.
Ces élections
opposaient, au deuxième tour, l’actuel premier ministre roumain Victor Ponta
(candidat du Parti social démocrate, membre de la famille socialiste
européenne) au candidat de l’Alliance libérale et chrétienne, Klaus Iohannis,
issu de la minorité allemande et actuel maire de la ville de Sibiu (importante
destination touristique et ancienne capitale européenne de la culture). Un
scrutin au premier abord tout à fait anodin, en particulier vu de France, qui
ne justifiait pas une couverture médiatique particulière.
Pourtant,
alors que le 16 novembre les chaînes d’information en continu et la presse en
ligne se contentaient de diffuser en boucle des dépêches d’agences portant
sur l’importante affaire Nabilla
et la vente d’un chapeau
de Napoléon, les habitants et les passants dans la rue saint Dominique à
Paris se montraient intrigués par le déroulement du scrutin. Depuis 7 heures
du matin, et même
pour certains depuis la veille au soir, dans le froid et sous la pluie,
plusieurs milliers d’électeurs roumains étaient rangés en une épaisse file
d’attente qui tournait
en suivant les rues du 8ème arrondissement. Alors que vers 21 heures, en
répondant à un appel des officiels de l’ambassade, des CSR sont intervenus
violement pour disperser avec des gaz lacrymogènes les quelques centaines
d’électeurs qui attendaient encore patiemment leur tour, la votation s’est
transformée en manifestation pour le droit de vote, accompagnée de slogans
anti-gouvernementaux, anti-communistes issus de la révolution du 1989, de
l’hymne roumain ou encore de la marseillaise. De quoi étonner non seulement
les témoins mais aussi les CRS eux-mêmes, qui n’ont pas l’habitude
d’intervenir pour disperser des électeurs !
Comment a-t-on
pu en arriver là, en 2014 et dans l’Union européenne? Voilà une question que,
faute de couverture médiatique, peu de Français ont eu l’occasion de se
poser. Aussi bien pour le premier tour de scrutin que pour le second, le
gouvernement roumain, directement intéressé par l’issue du scrutin
présidentiel (car, rappelons-le, le premier ministre lui-même était
candidat), a sciemment limité le nombre des bureaux de vote dans les
circonscriptions à l’étranger qui, selon les sondages, donnaient pour favori,
son rival libéral - les résultats du vote ont, en effet, confirmé
que les expatriés roumains en France ayant réussi à introduire un bulletin
dans l’urne ont plébiscité Klaus Iohannis à hauteur de 93,46%. Le fait que
l’affluence du second tour n’était pas inattendue démontre que rien de
concret n’avait été fait après le premier tour, alors que des milliers
d’électeurs avaient déjà été empêchés de voter dans les capitales européennes.
Il aurait, dans tous les cas, été mathématiquement impossible, pour les
quelques bureaux de vote prévus, d’accueillir plus de quelques
centaines de milliers d’électeurs parmi les 3 millions d’expatriés roumains.
Dans ces
conditions, le plus étrange n’est pas seulement le manque de couverture
médiatique mais aussi, et surtout, le silence des responsables politiques
français et européens. Mis à part quelques députés européens du PPE
(soutenant le candidat libéral Klaus Iohannis), peu de responsables
politiques ont réagi à cette pénurie électorale organisée. Si l’on ajoute que
le président du Parlement européen Martin Schulz avait publiquement offert
son soutien au candidat social démocrate, il faut conclure que ce dernier ne
voyait pas d’un mauvais œil cette conception de la démocratie qui trie les
électeurs non plus en fonction de leurs revenus (comme le faisait le suffrage
censitaire) mais en fonction de leur rang dans une file d’attente.
Ce silence
médiatique et politique européen à l’égard du déroulement des élections
roumaines nous enseigne aussi qu’il a été beaucoup plus facile pour le
gouvernement Ponta de redéfinir la démocratie, en tant que membre d’une
grande famille politique européenne, que s’il avait été à la tête d’un parti
labélisé comme extrémiste tel que celui de Viktor Orban en Hongrie. Car même
si l’on ne peut pas attribuer au gouvernement Ponta les dérives autoritaires
du gouvernement Orban, on peut tout de même recenser maints cas de corruption
au sein de son parti comme de son gouvernement. L’exemple le plus anecdotique
est le scandale, relevé par Nature,
du plagiat de sa propre thèse de doctorat en droit soutenue sous la direction
d’Adrian Nastase – lui-même ancien Premier ministre et président du Parti
social démocrate, condamné à plusieurs années de prison ferme pour corruption
et détournement de plusieurs millions d’euro de fonds publics. Alors que le
conseil des diplômes universitaires s’était autosaisi et avait décidé
d’annuler le titre de docteur du Premier ministre, son ministre de
l’éducation a tout simplement enlevé à cette commission le droit de retirer
des diplômes frauduleux, blanchissant ainsi le premier ministre Ponta en
semblant signifier qu’il est acceptable d’oublier de placer plus de cent
pages de texte entre guillemets…Le fin mot de l’histoire est que le candidat
Iohannis a gagné les élections. Le candidat Ponta reste donc premier
ministre, et tout est rentré dans l’ordre en Roumanie, ou presque...
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