Au départ, tout ce que
voulaient Josh Crumb et son collègue, c’était de permettre aux gens de payer
pour un café avec de l’or.
Vous avez bien lu. Avec de
l’or.
Au cours des quatre décennies
qui se sont écoulées depuis que Nixon a aboli l’étalon or – qui garantissait
la convertibilité d’un dollar en 1/35e d’une once d’or – aucun
lien formel n’a existé entre la valeur du métal précieux et celle du dollar
ou de toute autre devise majeure. Selon un groupe d’économistes et de
législateurs, la fin de l’étalon or se cache derrière tous les maux dont a
souffert l’économie américaine depuis l’édit de Nixon en 1971. Rand Paul,
l’un des candidats républicains aux prochaines élections présidentielles,
pense qu’il est temps de ne serait-ce qu’étudier le possible rattachement du
dollar à l’or.
Pour Crumb et Roy Sebag, les
fondateurs de BitGold Inc,
la décision que prendront les politiciens et banquiers centraux du monde
concernant l’or et le dollar (ou l’euro, ou encore le yen) est intéressante,
mais n’a aucune conséquence sur leur entreprise. Ils ont déjà marié l’or et
le dollar, dans le cadre de ce que Crumb décrit comme étant un « étalon
or personnel ». Le produit de la compagnie, basée à Toronto, est très
simple : il offre à ses clients la possibilité de déposer leur or sur
des comptes BitGold, et puis d’utiliser ces fonds
(ou leur valeur en devise locale) afin de rembourser leur prêt immobilier ou
leur voiture – ou tout simplement de se payer un café.
Avec BitGold,
l’une des plus récentes innovations financières du monde moderne - la
monnaie digitale – a de nouveau pu rejoindre l’un de ses plus anciens
concepts, l’utilisation de l’or comme moyen d’échange. Ce concept remonte à
des milliers d’années, et les devises digitales redéfinissent aujourd’hui
jusqu’à sa signification même, au point d’avoir entamé un véritable
renversement du fonctionnement des systèmes financiers globaux.
Bitcoin est bien évidemment la
variante la plus familière de ces devises digitales. Aujourd’hui âgé de six
ans, il a traversé une véritable débâcle au cours de ces derniers mois. Les
forces de l’ordre ont fait fermer Silk Road, le
marché noir en ligne sur lequel il était possible d’engager des tueurs à gage
contre un paiement en Bitcoins, tout en passant au travers des filets des
banques centrales et des déclarations fiscales. Katherine Forrest, juge de
tribunal de district, a condamné le fondateur de Silk
Road, Ross Ulbricht, à une peine d’emprisonnement à vie vendredi dernier.
Bitcoin attire à la fois ceux
qui pensent que l’argent liquide est mort et que l’avenir des devises est
digital, et les libertaires qui préfèrent que leurs transactions financières
demeurent cachées du regard des agences gouvernementales. Ses premières
années ont été chaotiques – le marché Mt Gox a
sombré dans la banqueroute après que des pirates ont dérobé quelques 500
millions de dollars d’actifs à leurs clients – et son avenir de long terme
demeure incertain. Après tout, il s’agit d’un concept entièrement nouveau, et
sa valeur (en dollars) a été très volatile. Si votre patron décidait de vous
payer en Bitcoins plutôt qu’en dollars, et que vous viviez intégralement au
sein de l’économie Bitcoin, les choses ne fonctionneraient pas aussi
facilement que si vous aviez conservé votre compte chez Bank of America.
Mais BitGold
est différent. Ne laissez personne vous duper, Crumb et son collègue
n’essaient pas de convertir votre or en Bitcoins. « Ce serait une
mauvaise idée. »
Ceci étant dit, il s’agit d’un
concept bancaire nouvelle génération, qui repose sur certains concepts
similaires à ceux de Bitcoin ou d’autres devises digitales. « BitGold fonctionne à la manière d’une banque, mais il
s’agit de dépenser de l’or », explique Crumb, ancien trader spécialisé
dans les métaux précieux et les banques d’investissement. Ses similitudes
avec Bitcoin ou n’importe quelle autre devise digitale sont liées au fait que
ceux qui l’utilisent peuvent utiliser ce qu’ils désirent comme monnaie – dans
le cas de BitGold, de l’or. « Tant que vous
pouvez payer à Starbucks les dollars ou n’importe quelles autres unités de
devise réclamés par leur caisses, tout fonctionne très bien. »
C’est le travail de BitGold que d’établir cette connexion, de changer de l’or
en dollars, en roubles, en yens ou en n’importe quelle autre monnaie. Leurs
clients perçoivent leur or comme de la monnaie, mais comme Starbucks ne
partage pas leur opinion, BitGold sert d’agent
intermédiaire. BitGold accepte l’or de ses clients,
et leur permet d’effectuer une transaction en or ou de transformer leur métal
en devises au taux dicté par le marché.
Mais le dollar reste encore
une exception. Jusqu’à présent, la start-up canadienne n’a pas tenté de
lancer son service sur le sol américain. « Ce serait incroyablement
complexe », d’un point de vue légal comme règlementaire, bien que les
financements issus de la Silicon Valley dont a pu profiter Bitcoin finiront par ouvrir la
voie à toutes formes de nouveaux modèles bancaires aux Etats-Unis.
« Nous ne voulons pas mener ce genre de combats, mais ce dont nous avons
besoin finira par arriver. »
Cela ne signifie pas que BitGold restera sur le banc de touche à attendre que les
choses se passent avant d’attaquer ce qui pourrait devenir son plus gros
marché : les Etats-Unis, truffés d’avocats de l’or comme Rand Paul. La
semaine dernière, la société canadienne a acheté les opérations et la
propriété intellectuelle de GoldMoney.com pour la somme de 49 millions de
dollars, non seulement pour accéder à ses infrastructures de stockage, mais
aussi pour profiter de son ancrage aux Etats-Unis. Ayant déjà des relations
avec les banques commerciales, GoldMoney pourrait
permettre à BitGold de se développer aux Etats-Unis
« sous quelques mois ».
Les actions de BitGold – cotées en bourse sur le marché de Toronto
depuis que la société a décidé d’acheter une société minière publique dans le
cadre de ce qu’on appelle un rachat inversé – offrent aux avocats de l’or le
goût du risque et de l’aventure et un autre moyen de rejoindre la partie.
Quand la transaction a été approuvée, BitGold a
commencé à s’échanger sur le TSX Venture Exchange le 21 mai pour 90 cents
l’action. La société vaut désormais 8 dollars par action. Voilà qui a laissé
certains analystes – dont beaucoup ont pu observer les sociétés minières
aller et venir au Canada – plutôt incrédules.
Crumb est imperturbable. Pour
commencer, il compte certains puissants parmi ses amis et alliés – non
seulement des avocats de l’or comme Eric Sprott, gestionnaire de fonds canadien, mais aussi des
gens comme Alex Soros, fils du célèbre directeur de
hedge fund George Soros. Soros Brothers Investments compte
parmi les investisseurs de BitGold. Le public
réclame également un produit comme celui-là – notamment les gens qui
disposent de plusieurs milliers de dollars d’épargne et à qui on offre des
comptes bancaires qui n’offrent aucun intérêt. BitGold
leur permettra de stocker leur métal gratuitement et – selon Crumb – de se
protéger contre l’inflation susceptible de ronger la valeur de leur épargne.
Officiellement, l’inflation
est presque inexistante. Mais Crumb nous rappelle qu’en réalité, la
volatilité des prix des produits alimentaires, du pétrole et des autres biens
de la vie de tous les jours prouve que ce n’est pas le cas. La réponse à ce
problème ? L’or, pardi. Et un compte en banque lié à l’or, comme ceux
offerts par BitGold.
Crumb et ses collègues n’ont
pas lancé leur entreprise dans l’objectif de spéculer sur le marché de l’or,
bien qu’un simple coup d’œil aux actions de la société suffise à prouver que
certains investisseurs pensent le contraire (mais nous ne devrions pas leur
en vouloir, compte tenu du marché baissier de l’or en dollars). Ils ne
prévoient même pas de s’opposer aux économistes qui pensent qu’un retour à un
étalon or est l’idée la plus idiote depuis New Coke (selon de récents
sondages, pas un seul économiste ne pense qu’un étalon or nous assurerait une
stabilité des prix ou améliorerait le marché du travail).
« Si nous avons raison,
alors nous aurons établi le prochain PayPal. Si nous nous sommes trompés,
nous aurons établi une autre de ces entreprises de négoce de l’or
physique. »
Quoi qu’il en soit, tout ce
qui brillera encore sera l’or.
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Source : the Guardian